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Première : Était-ce une bonne idée de montrer Insensibles en France avant de le sortir en Espagne ?Juan Carlos Medina : Il faudrait poser cette question au distributeur. Insensibles s’est fait grâce au producteur François Cognard et à nos premiers partenaires français, Canal+ et Wild Bunch. Mais la France n’est pas un pays très ouvert aux films de genre. Les exploitants n’en veulent pas, soi-disant parce que ça attire la "racaille". S’ils continuent, ils ne passeront plus que des comédies familiales. Pour ne rien arranger, Insensibles a été interdit aux moins de 16 ans. Du coup, on n’est sortis que dans seize salles. En Espagne, le film sera distribué fin février sur - deux cents écrans. Si ça marche, on aura des arguments encore plus forts face aux exploitants.Pourtant, Insensibles échappe aux catégories...C’était un peu mon but. J’adore le cinéma asiatique, qui transcende les genres et n’hésite pas à élargir sa palette pour raconter une histoire. De même, Insensibles est à la fois un thriller, un film d’horreur et un drame historique avec des connotations politiques. L’interdiction aux moins de 16 ans vient du fait que j’ai voulu évoquer une époque sans chercher à en cacher la dureté et la noirceur. C’est une réflexion sur la façon dont l’histoire et l’environnement peuvent pervertir l’innocence et la transformer en mal absolu.Peut-on dire que l’occultation du passé est un thème spécifiquement espagnol ?Oui, dans la mesure où notre société s’est construite sur l’oubli. Une loi d’amnistie votée en 1977 interdit en effet de poursuivre les personnes ayant commis des crimes pendant la dictaturefranquiste. Faute de purger son passé, qui est une zone de cauchemars, l’inconscient collectif se réfugie donc dans un imaginaire un peu maladif, donnant naissance à des œuvres très belles, comme les films espagnols de Guillermo del Toro, et surtout comme L’Esprit de la ruche (Victor Erice, 1973), semble-t-il à l’origine de toutes ces mythologies. La vision des atrocités de l’histoire à travers les yeux innocents d’un enfant est une façon d’exprimer à quel point ce qu’on montre est indicible, au-delà des mots.Interview Gérard DelormeBande-annonce du film