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En octobre 1997, Première rencontrait Curtis Hanson accompagné de James Ellroy à l'occasion de la sortie de L.A. Confidential. Archives

D'un côté The Dog, une star monstre du polar qui venait de voir son chef d'oeuvre inadaptable enfin adapté par Hollywood.
De l'autre un cinéaste passé par l'école de la cinéphilie pure et dure (le journal Cinema et l'écurie Corman) qui signait un joyau, une merveille de film noir.
C'était en 97, dans les pages de Premiere.
Curtis Hanson et James Ellroy parlaient roman noir, cinéma et crimes atroces. Gérard Delorme était au micro. A l'occasion de la disparition du cinéaste, retour sur une rencontre culte.

Mort de Curtis Hanson

Première : James Ellroy, comment avez-vous réagi quand vous avez su que Curtis Hanson s’attaquait à l’adaptation de L.A. Confidential ?
James Ellroy : Au sujet des droits de cinéma de mes livres, j’ai toujours eu la même attitude : "Merci pour l’argent, je suis de tout cœur avec vous. Si vous faites le film et que vous le foirez au-delà de toute rédemption, je ne ferai pas de commentaires parce que, depuis le début, j’ai eu le choix et j’ai choisi de prendre l’argent." On prend des options sur beaucoup de livres pour en faire des films, mais il y en a très peu qui se font. Curtis et Brian Helgeland ont écrit l’adaptation et ne m’ont contacté que lorsqu’ils ont été satisfaits de leur travail. Avant ça, ils n’avaient jamais sollicité mon avis. J’ai tout à fait compris cette manière de faire, j’ai même trouvé ça bien. Le grand changement qu’ils ont opéré, c’est de mettre l’accent sur les itinéraires des trois personnages, Jack Vincennes, Bud White et Ed Exley. Puis il y a eu des discussions entre Curtis, Brian et moi. Et très vite, les choses ont pris forme.

Curtis, comment vous est venue l’idée d’adapter L.A. Confidential ?
Curtis Hanson : J’ai toujours lu les livres d’Ellroy pour le plaisir, comme simple lecteur, sans jamais penser à une quelconque adaptation. J’ai lu L.A. Confidential tout simplement parce que dans l’ordre de publication, il suivait Le Grand Nulle Part. Mais en le lisant, je me suis surpris à avoir une réaction tout à fait inattendue vis-à-vis des personnages. Je les voyais comme des êtres de chair et de sang, comme des personnages de film qui changeaient au fur et à mesure de l’histoire. Ça m’a d’autant plus frappé que j’imaginais aussi très bien l’emprise que Los Angeles pouvait avoir sur eux. Los Angeles est un lieu qui bouge, qui évolue, de la même manière que les acteurs du livre. James a fait de cette ville un personnage à part entière. Petit à petit, l’idée d’en faire un film m’est apparue de plus en plus clairement. Pour Brian et moi, le défi de l’adaptation du roman a donc consisté à être fidèle aux personnages et aux thèmes de la dualité et de l’ambiguïté.

N’avez-vous pas l’impression d’avoir fait un film sur trois personnages et d’avoir mis de côté le portrait d’une ville, Los Angeles, et d’une époque, les années 50 ?
Hanson
 : Peut-être. Mais le roman offre une très riche galerie de personnages complexes. Et pas simplement les trois principaux. J’ai l’impression que la ville et l’époque sont perçues à travers tous ces portraits. Nous avons choisi de mettre les personnages en avant. Au moment du tournage, j’ai discuté de ces options avec mon chef opérateur, Dante Spinotti. Il fallait que la manière dont il photographiait les scènes cadre bien avec ma vision des choses. Le film n’était pas la retranscription d’une époque, il fallait absolument éviter de mettre en avant la décoration, l’architecture ou les belles voitures de ces années-là. Je voulais que cela soit clair car il y a toujours une tendance à replonger dans cet univers magnifique et enivrant qui est la marque du film noir de la période Chandler – voir Le Grand Sommeil et tous les chefs-d’œuvre qui ont suivi.
Ellroy : Je ne pense pas que les choix de Curtis et de Brian enlèvent quoi que ce soit au livre. Dès le début, ils ont décidé que Sid Hudgeons [Danny DeVito] raconterait l’histoire en voix off. Avec lui, on plonge dans un monde de duplicité. Il est aussi implicite que White, Vincennes et Exley sont des hommes qui ont réussi parce qu’ils sont au cœur du Los Angeles de cette époque. L’histoire de la littérature criminelle mondiale se confond avec celle des mauvais Blancs faisant de mauvaises choses au nom de l’autorité. Dans le film, L.A. est présent et épanoui. Les points de repère sont tous là : l’hôtel de ville etc. Mais l’époque n’est jamais envahissante. D’ailleurs, la bande son fait un usage judicieux des chansons pop et de la musique du moment. Certains critiques ont dit à propos de mon livre qu’au fur et à mesure que se déroule l’intrigue, les personnalités de ces trois hommes viennent au premier plan et que leur destin devient plus important que la résolution de l’affaire. Je pense que c’est la même chose dans le film. Quant à mon véritable sentiment sur les adaptations du Grand Nulle Part, L.A. Confidential et, à un degré moindre, Le Dahlia noir, je les imagine comme des films de 3h40 en noir et blanc. Si vous trouvez des producteurs pour signer, amenez-les moi.

Que pensez-vous du casting ?
Ellroy
 : Il est surprenant de voir son œuvre mise à l’écran, d’autant que je n’aurais jamais imaginé ce casting. Mon épouse et moi avions souvent discuté de l’acteur qui pourrait interpréter Dudley Smith. On avait pensé à Donald Moffat. C’est d’ailleurs étonnant de voir à quel point James Cromwell, l’acteur choisi pour jouer Smith, ressemble à Donald Moffat. Jamais de ma vie, je n’aurais eu l’idée de Danny DeVito dans le rôle de Sid Hudgens, et je ne savais pas non plus qui était Kevin Spacey [Jack Vincennes] quand j’ai écrit le roman, à la fin des années 1980. Curtis, Brian et tous ceux qui sont partie prenante dans ce films sont parvenus à atteindre un parfait équilibre en ce qu’attendent les foutus bouffeurs de pop-corn qui vont au ciné le samedi après-midi et ce que recherchent les gens qui veulent une expérience cinématographique plus profonde, une intrigue dense et des personnages complexes et ambigus.

Curtis, votre filmo n’est pas très importante mais vous semblez aimer le genre policier.
Hanson
 : J’ai plutôt fait des films à suspense. J’aime vraiment ça et j’espère en faire d’autres. Les films sont comme des rêves, et ce type de films se rapproche le plus des rêves que je fais. J’aimerais avoir les mêmes rêves que Lubitsch pour tourner des comédies brillantes et sophistiquées, mais malheureusement, ce n’est pas le cas.

Et vous James, vous rêvez de Lubitsch ?
Ellroy
 : Je rêve d’animaux, de lions. Je fais des rêves éveillés et je pense aux tigres et aux cougars, aux gros animaux. Voilà ce à quoi je rêve. Mais ce à quoi je pense de manière consciente, c’est le crime, et c’est là-dessus que je veux écrire. Le crime dans l’histoire américaine.

Si on vous proposait de travailler un an sur un scénario sans avoir le temps d’écrire un roman, vous diriez oui ?
Ellroy
 : Non. J’ai adapté White Jazz et il faudra évidemment que je le retravaille. C’est Nick Nolte qui en a acheté les droits. J’ai aussi écrit le synopsis d’un scénario original. Une fois cette tâche terminée, je commencerai à écrire mon prochain roman. Ensuite, si l’occasion se présente d’écrire un autre film, pourquoi pas ? Jusqu’ici, je n’ai jamais eu à affronter des metteurs en scène complètement givrés et foireux qui feraient de ma vie un enfer vivant. Donc je peux continuer.

Quel est le plus beau film adapté d’un roman noir que vous ayez vu ?
Ellroy
 : Le Parrain 2. Le numéro 2, et uniquement celui-là. Une vision épique de l’Amérique corrompue.
Hanson : Dans la mesure où le meurtre nous autorise à définir le genre, le plus grand film pour moi est Sueurs froides, d’Alfred Hitchcock, adapté du roman français D’entre les morts.

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