Il n’y a pas que l’extraordinaire séquence de crash. La force de Flight, le nouveau film de Robert Zemeckis, réside surtout dans son incroyable script, un scénario que John Gatins aura traîné avec lui pendant plus de 10 ans avant de croiser la route de Denzel Washington et Robert Zemeckis. Alors qu’il est l’un des concurrents les plus sérieux pour l’Oscar du meilleur scénario original, rencontre avec un rescapé d’Hollywood et de l’alcool.Propos recueillis par Gaël GolhenJohn, je regarde votre fiche IMDB et je vois que, avant d’écrire Flight, vous avez joué dans Leprechaun 3. Pas commun comme parcours. Comment on passe de l’un à l’autre ?Ce n’est pas si difficile ; dans les deux cas, il s'agit de gros crashs (rires)... A l’origine, je voulais être acteur. J'ai galéré pendant quelques années avant qu’un ami me demande d'écrire un script. Ca a marché, j'ai continué...Mais Flight est différent, parce qu’il s’agit d’un sujet très personnel que vous avez porté pendant 10 ans.J’ai beaucoup bu quand j’étais jeune. Et pris de la drogue aussi ; donc je connais bien le sujet effectivement. J’ai écrit un premier traitement du film en 99. Pendant plus de 5 ans, j’ai traîné ce script avec moi ; sans résultat. D’autant plus que je voulais le réaliser. Après avoir écrit et tourné Dreamer les patrons de Dreamworks m'ont demandé si j'avais un truc à leur montrer… je leur ai fait lire le début de Flight, mais ils n’en ont pas voulu. Trop compliqué m’ont-ils dit. Trop sombre, trop dark. Trop risqué. On m’expliquait que les spectateurs n’étaient pas prêts pour ça. Les drames R-Rated étaient devenus pire que Satan à Hollywood. Et le scénario est resté dans les limbes…Jusqu'à ce que Denzel tombe dessusExactement. C'est son agent qui lui a filé le script et Denzel a adoré. Il m'a invité à dîner un soir pour en parler, m'expliquer qu'il adorait, que c’était exactement ce qu’il cherchait...…mais que vous n'alliez pas le réaliser. Ca a dû être frustrant ?Un peu mais pas tant que ça. Et je comprends au fond. Les mecs de cette stature ont deux ou trois réalisateurs avec lesquels ils veulent vraiment travailler. Ce qui fut vraiment frustrant, ce furent les huit années de refus. Personne ne voulait entendre parler du film et là, d'un coup, avec Denzel, tout se mettait en marche. C'est d'ailleurs pour ça qu'il m'a invité, pour me dire qu'il voulait faire le film, mais à une condition, que Zemeckis le réalise. Il savait ce qu'il voulait et moi aussi : que Flight décolle.J’imagine que Zemeckis a beaucoup transformé votre script.Tu te trompes. 85% de ce que j'ai écrit est à l'écran.Et les 15% restant ?Des détails sur le point de vue de l’histoire. J’avais notamment développé le personnage de Don Cheadle et je lui avais même offert quelques scènes clés du film, à la Michael Clayton. Mais on changeait de focus. Et Robert voulait rester centré sur l’histoire de Whip. Robert a surtout apporté son sens inouï du cinéma. L'une des scènes qu'il a considérablement changé, c'est celle de l'hôtel avant le procès. Dans mon scénario, on voyait Whip prendre la mignonette de vodka et on enchaînait avec une grande scène de beuverie. Je me suis battu pour qu'on le voie boire. Mais Bob n'a pas flanché. « C'est un film d'adulte, on doit continuer de respecter le spectateur. On le prend pour un grand, depuis le début, pourquoi on changerait ? ». Il ne l'a jamais filmé et il a eu raison. La scène est géniale comme ça et c'est là que tu reconnais le génie du type : le fait de montrer la main qui empoigne la bouteille et de couper sur le chaos qui en résulte, c'est une idée brillante. Une pure idée de cinéma.La richesse du script tient surtout à son ambiguïté. Mais du coup, quand j’en parle autour de moi, les gens lisent le film de manière différente. Au fond, de quoi parle Flight ?C'est évidemment un film sur l'alcoolisme, mais ce que je voulais d'abord traiter c'est la valeur de la vérité. Quel est son prix ? A la fin, je voudrais que le spectateur se dise : « Quoi ? Est-ce que j'ai vraiment aimé ce type ? Mais pourquoi ? ». Ce mec est un héros, mais il a triché, il n'a pas respecté les règles... Mais c’est quoi le plus important ? Que ce soit un sale type ? Que la vérité soit révélée ? Ou qu'on en ait fait, nous, un héros ?C'est marrant, parce que c’est ce qui m’a fait pensé à Lance Armstrong en voyant le film. Le type porté aux nues et soudainement brisé par le public.Et c'est exactement ça. L’histoire d’Armstrong est shakespearienne... Comme tu dis, c’est un héros parce qu'on a voulu en faire un. C'est un modèle pour beaucoup de monde. Il a combattu son cancer, gagné le tour, euphorisé les gens... Et d'un seul coup, il tombe parce qu'il a menti, trahi, triché. Mais c'est nous qui en avons fait ce qu'il est devenu. C'est nous qui le faisons tomber en creusant, en cherchant le truc qui cloche. C’est ce qui arrive à Whip. Il paye pour ce qu'il a fait, alors qu’il a sauvé les gens. Et on en revient à ce qu’on disait sur Hollywood : cette ambiguïté foutait la trouille aux financiers…Bizarrement, ceux qui n’aiment pas le film lui reproche précisément sa fin moralisatrice – notamment le monologue en prisonJe sais, on me l’a déjà dit. Mais pour moi, ça n’a rien de moralisateur. Le film s'ouvre sur une scène extraordinairement dramatique et très impressionnante, le crash. Je voulais qu'il s'achève sur un truc aussi fort, mais dans le registre de l'émotion. OK, il y a le procès. Il décide d’avouer… Mais après ? Dans les films, je me demande souvent ce que devient le héros après le plan de fin et là, j’avais envie de montrer ce qui suit ses aveux. Il tombe. Il va en prison. Et il fait un pas vers la rédemption, mais il est en tôle. Et pour un long moment. Tu trouves ça moralisateur ?Au contraire, je trouve que ça l’humaniseExactement… Tu sais, je me suis récemment rendu compte que Flight était pour cette raison précise un film qui appartenait autant à Zemeckis qu’à moi. L’humanité des personnages principaux, leur faille, c’est un thème qui revient dans tous les films de Bob et c’est parce qu’on partage cette vue là qu’on a pu travailler aussi bien ensemble.Quel est le sens à donner à la dernière question du film ? Le « qui es-tu ? » du fils adressé au père ?Le film montre un type à la cinquantaine finissante dont on ne sait rien. Et dont son fils ne sait rien. Un type qui ne s’est jamais vraiment posé la question non plus ; qui a toujours refusé de s’interroger sur ses origines, sur ce qu’il a fait de sa vie. C’est à la fois une remise en cause et une mise en perspective. Il est sur le chemin de la rédemption. Mais putain, ça risque d’être long et douloureux…
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- John Gatins : « le héros de Flight me fait penser à Lance Armstrong »
John Gatins : « le héros de Flight me fait penser à Lance Armstrong »
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