Cloud Atlas
Warner Bros

Le film des Wachowski et de Tom Tykwer fête son 10e anniversaire.

Sorti aux Etats-Unis en octobre 2012, Cloud Atlas, le film incomparable de Tom Tykwer, Lana et Lilly Wachowski a mis plusieurs mois avant d'arriver en France. Où il a fait un flop (moins de 500 000 entrées). Mais en dix ans, ce projet hors normes, qui représente six films en un et dont chaque histoire est portée par les mêmes comédiens mais dans des rôles différents, a peu à peu gagné un le statut de film culte. Ou en tout cas d'oeuvre majeure dans la filmographie de ses créateurs. En tournant Matrix Resurrection, Lilly Wachowski nous racontait ainsi l'influence importante qu'avait eue cette production ambitieuse sur sa nouvelle façon de filmer.

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A sa sortie en 2013, Première avait posé quelques questions aux cinéastes. Nous republions cet entretien à l'occasion du 10e anniversaire du film.

Commençons par le commencement : comment vous êtes-vous rencontrés, tous les trois ?
Lilly Wachowski : Ah bah, en ce qui concerne Lana et moi, c’est vite vu : on sort du même vagin, voilà comment ! (Rires démoniaques de Lilly et Lana)
Lana Wachowski : Vous vouliez sans doute parler de notre rencontre avec Tom ? C’est très simple : un jour, j’ai vu Cours, Lola, Cours ! et… des cheveux roses ont poussé sur ma tête ! (Lana rigole en secouant ses dreadlocks)

Super, ça commence bien…
Lana : Je ne plaisante qu’à moitié : Cours, Lola, Cours ! a vraiment changé ma vie. Je l’ai vu plusieurs fois d’affilée à l’époque et je n’avais plus qu’une seule obsession après ça : faire connaissance avec ce Tom Tykwer.
Tom Tykwer : La rencontre a finalement eu lieu alors que Lilly et Lana achevaient Reloaded et Revolution. J’étais très curieux de savoir quelles têtes pouvaient bien avoir des réalisateurs qui venaient d’enchaîner deux films aussi imposants. 277 jours de tournage !
Lana : C’est vrai qu’on était au bout du rouleau, enfermés dans notre bulle, mais Tom nous a apporté une énergie incroyable. En parlant avec lui, c’est comme si on se souvenait de la raison pour laquelle on faisait du cinéma, la flamme qu’on avait quand on était ados. Ensuite, pendant plusieurs années, on s’est croisés de loin en loin, on est allés traîner chez lui à Berlin… Mais nos emplois du temps étaient trop souvent incompatibles, on avait le sentiment que l’univers voulait nous séparer. On était comme Roméo et Juliette… sauf qu’on était trois. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à réfléchir à un projet qui serait en réalité un prétexte pour passer plus de temps ensemble.

Tom a filmé trois segments de Cloud Atlas, Lilly et Lana les trois autres. Comment vous êtes vous réparti le boulot ? Qu’est-ce qui a présidé à ces décisions ?
Tom : La vraie réponse à cette question implique surtout des problèmes de logistique, de lieux de tournage, d’agendas… Franchement, c’est très ennuyeux. Je n’ai pas envie de vous répondre précisément parce que je préfère insister sur ce point : nous avons fait ce film ENSEMBLE. On a écrit le scénario ensemble, cherché les financements ensemble, préparé chaque détail ensemble… On s’est effectivement séparés au moment du tournage mais ça représente… quoi ? Trois mois sur un processus de quatre ans ? Et même quand on était séparés physiquement, on passait notre temps à parler, par téléphone, sms, Skype… A la fin du montage, qui a duré cinq mois, à force d’avoir le nez sur nos images, on était incapables de dire qui avait tourné quoi.
Lilly : Nous ne voulions surtout pas faire une anthologie. Cloud Atlas est l’antithèse d’un film à sketchs, dont le principe se résume en général à un concours entre cinéastes pour savoir qui a la plus grosse…
Tom : On est également venu sur ce projet avec nos familles artistiques respectives. C’est vraiment une œuvre collective. Comme le financement a été très long à rassembler, ça nous a laissé énormément de temps en amont pour penser chaque détail, chaque question esthétique. C’est vraiment ringard de penser que la réalisation d’un film ne se joue que sur le set.
Lilly : Ce n’est pas que c’est ringard, c’est juste que l’histoire du cinéma a enseigné au public qu’un film, c’est UN réalisateur, UNE vision. Mais c’est totalement faux. Le cinéma est par essence un art collectif.
Lana : Nous ne croyons pas à la mystique de l’Auteur.

Cloud Atlas, c'est quoi ?

Voir Cloud Atlas est une expérience euphorisante. Comme découvrir une nouvelle drogue. Une très bonne drogue…
Lana, levant les poings au ciel en signe de victoire : Yeah !!!

C’était l’idée ? Proposer un film qui fasse l’effet d’une drogue ?
Lana : Les drogues permettent l’expansion de la conscience. Et l’art aussi. Disons que l’art, c’est notre drogue à nous. Nous souhaitons faire des films qui peuvent libérer le spectateur, lui faire abandonner ses préjugés, changer ses perspectives, son point de vue sur le monde. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes entichés du livre de David Mitchell : il embrassait et transcendait tout un tas de styles littéraires différents. Nous voulions faire la même chose avec le film : explorer la gamme la plus large des genres cinématographiques que nous aimons. Dans Cloud Atlas, il y a de la science-fiction, un film d’époque, un thriller, une comédie… Autant de formes classiques que nous agrégeons et ré-agençons pour délivrer une sensation proche des états de conscience modifiée.
Lilly : Et on ne pouvait pas faire l’impasse sur le fait que Speed Racer nous a valu une petite popularité chez les fumeurs de joints. On n’allait quand même pas les laisser tomber… Solidarity, my pot-smoking brothers and sisters !!!
Lana : Si 2001 a été un hit, c’est grâce aux fumeurs de joints…
Lilly : … et aux amateurs d’acides.
Lana : Il y avait quatre cinémas à New York qui passaient le film, et les salles étaient pleines à craquer de spectateurs complètement défoncés. Au début, les gens de Warner ne comprenaient pas ce qui se passait quand ils regardaient les chiffres d’exploitation, pourquoi ces salles ne désemplissaient pas. Puis quand ils ont pigé, ils ont redéfini la campagne marketing afin de vendre le film comme un trip.
Tom : Un « trip », oui, c’était écrit sur l’affiche allemande.

D’Avatar à Tree of Life en passant par Prometheus, tous les films un tant soit peu ambitieux ces jours-ci semblent vouloir se mesurer à 2001
Tom : C’est le film qui nous a donné envie de faire des films, il fait partie de notre ADN. Tous les cinéastes de notre génération lui doivent quelque chose. L’intrication d’une quête philosophique et d’une quête esthétique, l’ambition de voir les choses en grand… Pour nous, tout part de là. 

Comme MatrixCloud Atlas est un film sur l’anarchie et la révolution. Et à chaque fois, j’ai l’impression que c’est votre histoire que vous racontez, votre propre rapport à la question de l’indépendance. Avouez-le, vous êtes de dangereux révolutionnaires infiltrés au sein du système des studios…
Lana : Oui, oui, bien sûr, on va aux réunions de la Warner en portant le masque de V (symbole des Anonymous et héros de V pour Vendetta, qu’ils ont produit) !
Lilly : Une ceinture d’explosifs planquée sous notre veste, ah ah !
Lana : Les œuvres qui nous ont influencés ont toutes une dimension philosophique et politique, c’est logique que ça se reflète dans nos films.
Lilly : Je crois qu’on est à la recherche d’une certaine forme de vérité. Je peux raconter une anecdote ? Il y a quelques années, j’ai écouté une interview radio de Carol Leifer, une comique américaine. Pour info, c’est elle qui a inspiré le personnage d’Elaine dans la sitcom Seinfeld… Bref. Elle expliquait qu’elle était allée au cinéma voir Bound (premier film des Wachowski, un thriller lesbien avec Jennifer Tilly et Gina Gershon). Elle l’a vu une fois, deux fois, trois fois. Ça lui a en fait tellement plu qu’elle s’est dit qu’elle allait essayer les filles… Et elle est finalement devenue lesbienne ! Grâce à Bound ! Vous vous rendez compte ? Je ne sais pas si c’est une révolution, ou juste une « révélation », mais je trouve génial que nos films puissent provoquer ça.

Interview Frédéric Foubert 

Synopsis : Adapté du roman éponyme de David Mitchell, Cloud Atlas conduit le spectateur à travers des lieux et des époques différentes, du Pacifique Sud au 19ème siècle jusqu'à un futur post-apocalyptique. Six histoires composent le film et chacune de ces histoires est narrée par le protagoniste de la suivante.

À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces-temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement...Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié

Épopée ambitieuse, Cloud Atlas se déroule sur cinq siècles et s’interroge sur les questions existentielles qui ne cessent de hanter les hommes. Alternant entre action et scènes plus intimistes, il met en scène des êtres liés les uns aux autres comme un chapelet à travers le temps. il suggère ainsi que chaque individu a un cheminement personnel qui traverse les siècles. Les âmes se réincarnent et renouvellent leurs liens entre elles à l’infini. les erreurs peuvent être corrigées... ou répétées. La liberté peut être gagnée ou perdue, mais elle est toujours l’objet d’une quête. Et comme toujours, l’amour triomphe.

Bande-annonce :


Comment donner vie à l’inadaptable roman de David Mitchell, Cartographie des nuages ? [critique]