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A l'affiche d'Une vie entre deux océans, l'acteur hyperactif nous explique d'où vient sa boulimie de tournages.

En attendant Assassin’s Creed, l’adaptation du jeu Ubisoft attendue à Noël, Une vie entre deux océans est le troisième film de Michael Fassbender à nous parvenir cette année, après Steve Jobs et X-Men : Apocalypse. Il y en aura au moins trois autres l’année prochaine (un Terrence Malick, la suite de Prometheus, une adaptation de Jo Nesbo par Tomas « Morse » Alfredson) et il y en a en moyenne trois par an depuis que l'acteur a explosé à la fin des années 2000 grâce à Fish Tank, Inglourious Basterds et sa collaboration coup de poing avec Steve McQueen (Hunger, Shame, 12 Years a Slave). Sans crever le plafond de verre qui en ferait une superstar à la DiCaprio, sans creuser non plus un sillon indé intransigeant façon Jake Gyllenhaal, Fassbender se bâtit une filmo dédiée aux performances extrêmes, vers laquelle convergent irrésistiblement les grands cinéastes et les projets les plus excitants du moment. De passage à Paris début septembre après un saut à la Mostra de Venise, le rouquin charismatique nous expliquait pourquoi il n’arrive définitivement pas à poser de RTT.

Michael, vous revenez de la première mondiale d’Une Vie entre deux océans à Venise. C’était agréable ou ça donne l’impression de jeter son film dans la fosse aux lions ?
Michael Fassbender :
Non, montrer un film dans un festival, c’est toujours une expérience géniale. D’abord parce que le public n’est composé que de cinéphiles, ensuite parce que tu obtiens une réaction immédiate, viscérale, à ton travail. Mais est-ce que j’ai le trac dans ces moments-là ? Bien sûr. Systématiquement.

Vous lisez les critiques ?
Oui. Malheureusement !

Pourquoi malheureusement ? Ça ne doit pas être si désagréable que ça, j’ai l’impression que tous les journalistes de la planète sont dingues de vous…
Je n’en sais rien. De toute façon, tu as beau lire cent critiques, tu retiens toujours la plus mauvaise, celle qui appuie là où ça fait mal. Parfois, ça m’aide à progresser. Mais c’est très étrange, en fait, de lire des commentaires sur ton travail. Je ne sais pas si c’est très sain. Il y dix ans, je jouais au théâtre avec Mel Smith, une grosse star en Angleterre, qui m’avait dit : « Ne lis jamais les critiques. JA-MAIS. Ceux qui vivent par le glaive périssent par le glaive. » Bon, je suis obligé de constater que je n’ai jamais suivi son conseil… (Rires)

Plein de critiques adorent théoriser sur votre filmo, sur l’obsession du contrôle, ce côté cérébral qu’on retrouve dans beaucoup de vos rôles : l’androïde de Prometheus, Magneto dans X-Men, Steve Jobs… Même Derek Cianfrance (le réalisateur de Une vie entre deux océans) dit qu’il vous a proposé un mélo pour qu’on vous voit enfin lâcher prise, faire appel à votre cœur plutôt qu’à votre cerveau. Vous êtes conscient de tous ces échos dans votre œuvre ?
Quand un journaliste souligne tel ou tel trait saillant de ma filmo, ça m’intéresse, oui, et je peux être d’accord à l’occasion. Il est évident que j’incarne un certain type de personnages : intense, fêlé. Je ne suis pas le bon gars qu’on caste dans des rôles romantiques. Et pourtant, je fais tout pour fuir les étiquettes. Après Fish Tank, tout le monde voulait me voir jouer des séducteurs qui tournent autour de filles plus jeunes qu’eux. J’ai refusé tout ce qui allait dans ce sens. Mais, très honnêtement, je ne réfléchis pas à ce point. Parfois, faire un film, c’est juste vital. Tu peux n’être alors qu’une pièce du puzzle. 12 Years a Slave, par exemple, peu importait la taille du rôle. Ce n’était que deux jours de tournage, mais je voulais absolument y participer. Raconter cette histoire-là.

Au cours des prochains mois, on vous verra dans Assassin’s Creed, dans un Terrence Malick, dans le nouveau Thomas Alfredson, dans Alien : Covenant
Il y aussi Trespass against us, qui se passe dans le milieu des gens du voyage, et qui sort en novembre aux Etats-Unis.

La question que je me posais, c’est… est-ce que c’est difficile de dire non ? 
(Il explose de rire). Manifestement, moi, j’ai du mal ! C’est marrant, mes potes aussi me disent ça : « Tu tournes trop. Ralentis. » J’imagine que ce n’est pas forcément une bonne chose, cette surexposition. Mais je crois profondément qu’il y a une période dans la vie d’un acteur où celui-ci donne ses meilleures performances. Il y a une ascension, puis un déclin, c’est inévitable. Je cours contre la montre, là. Je ne sais pas combien de temps ça va durer, ni de quoi demain sera fait. Pourtant, j’essaye de prendre des vacances, je vous assure ! La dernière fois, j’avais planifié un break de six mois entre le tournage d’Une vie entre deux océans et celui de X-Men : Apocalypse. Puis on m’a proposé Steve Jobs… Comment refuser ? Le script était exceptionnel, c’est le genre de proposition qui n’arrive qu’une fois dans une vie. J’en suis à ce stade de ma carrière où des réalisateurs hors du commun veulent travailler avec moi. J’ai la passion, l’énergie, l’appétit, alors je fonce. Il faut aussi se souvenir que je n’ai pas pu vivre de ce métier avant mes 30 ans. Je rattrape le temps perdu.

Est-ce qu’à terme vous fantasmez un rythme de croisière à la Leonardo DiCaprio ? Tourner un film par an, pas plus, transformer chaque nouveau projet en un immense événement…
Oh, s’économiser ? Comme Daniel Day-Lewis ? Je ne sais pas… J’adore DiCaprio mais je crois que je suis un animal différent. Je ne sais pas quoi répondre, je ne veux pas me projeter dans l’avenir. Je me lance dans la production avec Assassin’s Creed, peut-être que ça deviendra une activité de plus en plus importante pour moi dans les prochaines années.

Quels sont les acteurs de votre génération dont vous admirez le parcours ?
J’ai adoré ce que faisait Ryan Reynolds dans Deadpool. Totalement inédit, très frais, il n’y a que lui qui pouvait faire ça. Et Oscar Isaac était parfait dans Ex Machina.

Et chez les anciens ?
Les suspects habituels : Brando, De Niro, Pacino, Gene Hackman, John Cazale. Ce genre de gars. Je les vénérais à 17-18 ans, l’âge où on a besoin de héros et où on cherche à développer son propre style. Mais aujourd’hui mes héros sont les réalisateurs avec qui je travaille. Steve McQueen, Ridley Scott, Derek Cianfrance… Je les adore, eux. Quand ils arrivent à te manipuler pour arracher des choses de toi dont tu ne soupçonnais pas l’existence… C’est vraiment une sensation unique. Franchement, j’aurais tort de me priver.

Une vie entre deux océans, de Derek Cianfrance, actuellement en salles.