Killers of the Flower Moon
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Sur fond de crimes contre les Indiens Osages dans l'Oklahoma des années 1920, le réalisateur des Affranchis signe un film crépusculaire et majestueux (bien qu'un peu long).

Il y a dix ans, en 2013, on se réjouissait que Martin Scorsese puisse signer un film aussi vigoureux que Le Loup de Wall Street – la preuve qu'à 70 ans passés, le Maître en avait encore sous la pédale, après plusieurs opus ankylosés. En 2023, le temps a filé, et on est impressionné par les manières de vieux sage qu'il déploie dans Killers of the Flower Moon, son 26ème long-métrage, qu'il montrait hier hors compétition à Cannes. Sa première fois avec un nouveau film projeté en exclusivité sur la Croisette depuis After Hours (en 1986 !), son sixième film avec Leonardo DiCaprio, son dixième avec Robert De Niro.

Un film qui confirme, après les très majestueux, très lents, très impérieux, Silence et The Irishman, que Scorsese est entré dans une nouvelle phase de sa carrière. Un nouveau tempo. Les films se déploient à un rythme nouveau, alangui, ils assument leurs formes fleuves – 3h26 au compteur dans le cas de Killers of the Flower Moon, une durée dont on est obligé de dire qu'on la sent passer. Mais c'est sans doute le prix à payer pour entrer dans le grand processus d'hypnose qu'entend pratiquer ici le cinéaste.

Killers of the Flower Moon
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A l'origine de Killers of the Flower Moon, il y a un livre de narrative non-fiction de David Grann, La Note Américaine, best-seller qui revenait sur la tragédie des Indiens Osages, un cauchemar américain aujourd'hui oublié : au début des années 1920, alors qu'ils avaient fait fortune grâce au pétrole qui s'était soudain mis à jaillir de leurs terres arides de l'Oklahoma, les Osages sont devenus les cibles de la cupidité de Blancs sans scrupule, attirés par l'or noir.

L'intrigue, telle que remodelée pour le cinéma par Scorsese et le scénariste Eric Roth, tourne ici autour d'un riche propriétaire, le "Roi des Collines Osages", sorte de Parrain de l'Oklahoma (De Niro, glaçant d'onctuosité paternaliste), qui accueille son neveu de retour de la guerre (DiCaprio), et va en faire l'un de ses hommes de main dans son vaste projet d'appropriation des richesses des "Natives". Comme dans le livre de Grann, il y a ici l'envie de se confronter au péché originel de la nation américaine dans un décor de western tardif, où les dernières traces du Vieil Ouest se mêlent à la modernité capitaliste bientôt triomphante. Comme un post-scriptum barbare aux guerres indiennes.

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Scorsese revient à des thèmes déjà qui l'obsédaient déjà à l'époque de Gangs of New York : les fondations viciées de l'Amérique, la construction de la nation au prix du droit du plus fort, le conflit meurtrier entre communautés, où la victoire de l'une passe par l'anéantissement de l'autre. Mais la matière la plus "mafieuse", film noir, de cette histoire (pourtant chargée sur le papier : vagues de meurtres impitoyables, empoisonnements, victimes innocentes flinguées à bout portant, enquête du FBI, procès, etc.) ne donne pas pour autant à Killers of the Flower Moon les allures d'une fresque criminelle opératique – Scorsese n'a plus besoin de prouver qu'il sait faire ça.

Il préfère observer le dilemme moral d'Ernest Burkhart (DiCaprio), le vétéran à l'esprit faible, veule, manipulé par un De Niro dont le personnage évoque un peu celui de Jack Nicholson dans Les Infiltrés – père nourricier toujours à deux doigts de dévorer ses enfants. Amoureux d'une femme Osage, Mollie (géniale Lily Gladstone, vue dans le Certaines Femmes de Kelly Reichardt), Ernest va se retrouver à essayer d'aimer et de protéger celle-ci, tout en la tuant à petit feu, et en participant à la destruction de sa famille et de sa communauté toute entière.

Les scènes les plus impressionnantes du film sont des face-à-face tendus, des confrontations domestiques ou intimes orageuses, parfois zébrées de mauvais présages, dans lesquelles Scorsese observe la mort au travail, le lent pourrissement d'une certaine idée de l'Amérique, aidé par l'entêtante B.O. du fidèle Robbie Robertson. Tournant le dos à la fièvre baroque, le cinéaste recherche désormais une forme de sérénité crépusculaire au milieu du chaos.

Killers of the Flower Moon, de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone… Sortie le 18 octobre.