Vincent doit mourir
Capricci Films

Pour son premier long Stéphan Castang plonge Karim Leklou et Vimala Pons dans un survival oppressant et se joue habilement des frontières entre thriller et comédie romantique.

Sorti en novembre dernier au cinéma, Vincent doit mourir est à présent disponible en VOD (vous pouvez le louer sur Première Max), DVD et blu-ray. Première vous le conseille chaudement. Surtout si vous aimez les ambiances parano à la John Carpenter... Voici notre critique du premier film de Stéphan Castang.

Il y a quelques années dans le film de Thomas Salvador (2015), Vincent n’avait pas d’écailles et Vimala Pons acceptait cette incongruité. L’amant était alors un homme-poisson dans ce qui se revendiquait comme le « premier film de super-héros français. Garanti 100% sans effets numériques. » Aujourd’hui, Vincent doit donc mourir et Vimala Pons se retrouve à nouveau obligée de composer avec ça. Du film de Thomas Salvador à celui de Stéphan Castang, il y a donc des ponts : un prénom, une actrice et une même volonté de défier les lois du genre fantastique de plus en plus soluble dans le cinéma français. Vincent serait peu ou prou notre Peter Parker, plus terrien, moins pyrotechnique, mais partageant la même angoisse d’être différent dans un monde qui ne reconnait que la norme.

Le film de Stéphan Castang passe d’abord par la découverte de cette menace. Son Vincent à lui (Karim Leklou), graphiste cool au sein d’une entreprise cool tout en open-space cool, voit un stagiaire soudain pas cool, pris d’une furie inexpliquée – du moins disproportionnée – à son encontre. Quand la chose se répète avec le « gentil » comptable, Vincent commence sérieusement à virer parano. Puis très vite, il lui faut quitter la ville pour s’isoler à la campagne loin du regard des autres, car ici c’est par les yeux que le mal s’insinue et défie la raison. D’aucuns y verront une formidable mise en abîme de la fonction même du spectateur-voyeur. Heureusement, Stephan Castang, acteur de théâtre et de cinéma qui signe ici à 50 ans son premier long de cinéaste, ne théorise rien. Tout repose sur une sidération primale. Et de fait, la mise à distance de l’espace urbain invite progressivement à revenir aux origines d’un monde au bord de l’apocalypse et pourquoi pas, recourir à une trivialité revendiquée (cf. le combat de « boue » dantesque) La mise en scène opère constamment un rapport direct aux choses, consciente que c’est du réalisme le plus pur que peut naître un fantastique viscéral.   

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Vincent doit mourir. Le titre induit d’emblée la certitude d’une extinction inéluctable. Le pauvre bougre est condamné par une force qui le dépasse. Seul au monde face à ses supposés semblables soudain déshumanisés. Karim Leklou, grandiose, aussi massif que gracieux, constamment en alerte, le regard accablé, prend seul en charge le poids de son calvaire. A mesure que le caractère survivaliste du récit devient de plus en plus étouffant, il dérègle la perception de Vincent, donc la nôtre. Le film cherche le point de rupture, s’enfonce dans la folie, avant qu’un autre point de vue ne redonne des perspectives et ne démente le programme. Mourir, peut-être, d’abord survivre. C’est bien-sûr la géniale Vimala Pons aka Margaux, qui s’y colle. Pons n’est pas candide. Vincent l’angoissé, marginalisé, la touche. Les visions s’accordent : « T’as pas l’impression des fois, que le monde entier t’en veux ? », demande-t-elle l’air de rien « Ca m’arrive ouais ! » MDR. Et bientôt tout un lot d’autres interrogations : Comment appréhender l’autre, si le regard est interdit ? La passion amoureuse est-elle forcément déraisonnable ? Vincent et Margaux, sont bientôt sur un bateau, prêts à larguer les amarres, au cas où. C’est simple et beau. Brutal aussi.

Vincent doit mourir arrive après Acide de Just Philippot et Le Règne animal de Thomas Cailley, trois films français à caractère fantastique présentés lors du dernier Festival de Cannes. On relèvera que celui-ci est le seul à vraiment figurer l’absurdité par le burlesque d’une catastrophe envisagée à l’échelle d’une intimité. Dans les références qu’il revendique (Romero, Carpenter, Buñuel…), Castang cite aussi Buster Keaton. Voilà Vincent en mécano de la Générale, offrant une expérience purement physique du monde, où le corps malmené est contraint de s’adapter à la marche folle d’un temps déréglé. Vincent doit subir.  

Bande-annonce :


Vincent doit mourir : "Survivre littéralement dans la merde, c’est pas réaliste, ça ?" [interview]