Le public est-il en train de se lasser des films de super-héros ?
Marvel/Warner Bros/Sony

Les scores décevants de Black Adam, Ant-Man 3 et Shazam 2 semblent l'indiquer, mais les sorties prochaines des Gardiens de la Galaxie 3, The Flash ou d'Across the Spider-Verse pourraient bien changer la donne.

Ce week-end, Shazam : La Rage de Dieux a démarré en tête du box-office américain, mais assez loin des prévisions des spécialistes du box-office. Avec 30,5 millions de dollars récoltés en trois jours, plus 35 sur les 77 territoires où il est sorti en simultané, il aura du mal à rembourser les 110 millions de dollars misés par la Warner Bros (plus environ 100 millions pour sa promo). Par comparaison, le premier opus, déjà porté par Zachary Levy et proposant le même ton comique, avait gagné 53,2 millions de billets verts lors de ses trois premiers jours de sortie aux Etats-Unis, puis 140 millions dans le pays et 366 millions en tout. Et ce n'est pas la première fois qu'un film de super-héros démarre en dessous des attentes ces derniers mois...

Les nombreuses sorties de ce type auraient-elles entraîné une overdose pour le public ? Ces scores mitigés au box-office sont-ils le signe d'un essoufflement de la part des spectateurs, qui étaient jusqu'ici souvent fidèles au rendez-vous ? Y a-t-il une baisse de qualité de ce genre de blockbusters ? Et/ou une certaine homogénéité dans leur contenu, qui finit par les rendre dispensables ? Observons ci-dessous les cas précis de Shazam 2, Black Adam et Ant-Man 3.

 

Shazam 2 loupe son démarrage au box-office US
Warner Bros.

Avec Shazam 2, c'est la deuxième fois que la Warner Bros sort une super-production qui s'avère à peine rentable en six mois : Black Adam a récolté 67 millions de dollars lors de son week-end d'ouverture, en octobre, puis 168 millions aux USA, et 392 dans le monde. Des chiffres qui ont entraîné une chamaillerie en interne entre sa star, Dwayne Johnson, et ses producteurs, autour de la question de sa rentabilité. Avant que celui-ci n'annonce officiellement que la suite ne se ferait pas.

Si les scores de Black Adam ont été autant commentés, au-delà des posts de The Rock, c'est parce que la firme traverse une période compliquée (lire plus bas) et qu'elle a fait le choix de reporter la plupart de ses blockbusters en 2023. Il faut remonter au printemps dernier pour trouver un succès super-héroïque tiré de DC Comics : The Batman, et ses 770 millions de dollars de recettes globales. 

 

Ant-Man 3
Marvel

Du côté de la concurrence aussi, les derniers scores sont assez décevants. Ant-Man et la Guêpe Quantumania peine à atteindre les 500 millions de dollars en un mois, alors que les précédentes productions du MCU ont quasiment toutes passé cette barre symbolique. En tout cas depuis le carton plein d'Avengers, première super-production du studio à avoir franchi le milliard au box-office en 2012 (Warner avait réussi cet exploit avant eux grâce au Dark Knight). Avant lui, les premiers volets de Hulk, Captain America et Thor avaient fini leur course en-dessous, et ensuite, Les Eternels, Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux et Black Widow n'ont pas réussi à atteindre ce score non plus, mais ils avaient l'excuse de sortir en pleine épidémie de Covid.
Dans ce contexte, ce troisième opus porté par Paul Rudd fait figure d'échec aux yeux du studio, qui cherche actuellement les responsables de la fuite de son scénario, un mois avant sa sortie en salles. Cet incident a-t-il vraiment impacté ses recettes ? Cela reste difficile à évaluer.

Quant à Sony, la firme a aussi essuyé subis un revers début 2022 avec Morbius, qui a gagné 167 millions de dollars dans le monde, dont 73 aux Etats-Unis, ce qui est moins que son budget officiel de 75 millions. Fait rare dans l'histoire du box-office : après avoir été assassiné par la critique et moqué sur les réseaux sociaux, ce film de vampires dérivé de Venom, qui était lui-même un spin-off de Spider-Man, est ressorti en salles suite à des posts faussement enthousiastes d'internautes, et a refait un flop !

Jusqu'à quel point le Covid a-t-il entamé l'enthousiasme du public envers les productions de ce type ? Depuis 2019 et le succès gigantesque d'Avengers : Endgame (2,7 milliards de dollars au compteur, soit le plus gros carton d'un film de super-héros de tous les temps), ces blockbusters peinent régulièrement à briller au box-office. Exception faite de Spider-Man : No Way Home, la co-production de Marvel et de Sony qui a frôlé les 2 milliards de recettes fin 2021, aucun "super-film" n'a atteint le milliard depuis. Aucun n'était dans le top 3 mondial de 2022, d'ailleurs, ces places étant tenues par Avatar : La Voie de l'eau, Top Gun : Maverick et Jurassic World : Le Monde d'après. Et il faut remonter à 2017 pour avoir un tel cas de figure (si l'on excepte 2020, en pleine épidémie) : à cette période, ce sont Star Wars 8, La Belle et la Bête et Fast & Furious 8 qui ont triomphé au box-office, laissant à Spider-Man : Homecoming la 6e position du top 10, complété ensuite par Les Gardiens de la Galaxie Vol. 2, Thor Ragnarok et Wonder Woman, tous au-delà des 800 millions de recettes.

L'an dernier, le film de super-héros qui s'en est le mieux sorti au box-office mondial était Doctor Strange in the Multiverse of Madness, quasi milliardaire (955,7 millions récoltés exactement), ce qui lui a offert la quatrième place du top. Puis Black Panther : Wakanda Forever était sixième (fort de 858 millions de dollars empochés), The Batman, septième et Thor : Love and Thunder, sixième grâce à 760 millions.

C'est dans ce contexte que nous nous demandions en fin d'année dernière si Marvel n'était pas en train d'essuyer ses premiers signes d'essoufflement de la part du public, après plus d'une décennie à sortir entre deux et quatre blockbusters super-héroïques par an -sans compter ceux de ses concurrents. Car si ces scores restent objectivement importants, puisqu'on parle à chaque fois de plusieurs centaines de millions de dollars, ils étaient systématiquement en dessous des attentes. En comparaison de leurs aînés, par exemple : en 2018, le premier Black Panther avait fini sa course à 1,3 milliard de dollars de recettes, ce qui fait tout de même une différence de près de 500 millions de gains par rapport à Wakanda Forever.

Avengers endgame
Marvel

Voici le classement actuel des plus gros succès des films de super-héros au box-office mondial : 

1. Avengers : Endgame a récolté 2,797,800,564 milliards de dollars depuis 2019 
2. Avengers : Infinity War a récolté 2,048,359,754 milliards de dollars depuis 2018
3. Spider-Man : No Way Home a récolté 1,921,847,111 milliard de dollars depuis 2021
4. Avengers a récolté 1,518,812,988 milliard de dollars depuis 2012
5. Avengers : l'ère d'Ultron a récolté 1,402,809,540 milliard de dollars depuis 2015
6. Black Panther a récolté 1,346,913,171 milliard de dollars depuis 2018
7. Les Indestructibles 2 a récolté 1,242,805,359 milliard de dollars depuis 2018
8. Iron Man 3 a récolté 1,214,811,252 milliard de dollars depuis 2013
9. Captain America : Civil War a récolté 1,153,304,495 milliard de dollars depuis 2016
10. Aquaman a récolté 1,148,161,807 milliard de dollars depuis 2018

 

Comme précisé plus haut, le succès le plus récent date de 2021, et sur dix films, huit son des productions Marvel (dont Spider-Man : No Way Home, donc, coproduit avec Sony). Un film est animé, le Pixar qui fait suite aux Indestructibles, et la Warner Bros n'est présente que pour un blockbuster, Aquaman, de James Wan. Disney est ainsi le producteur de quasi tous les films présents ici, et cette hégémonie peut peser dans la baisse d'intérêt du public, qui, même en cherchant à voir du grand spectacle sur grand écran, peut se raviser en ayant l'impression que ces films proposent toujours la même chose.

Les raisons des faibles scores enregistrés au box-office par des productions super-héroïques sont-elles aussi à chercher du côté de leur qualité ? Si les dix films présents ci-dessus sont tous certifiés "frais" sur le site de référence en matière de critique Rotten Tomatoes (L'Ere d'Ultron a le score le plus faible avec 76% d'avis positifs), ce n'est pas le cas d'Ant-Man 3, le premier de la saga à stagner en dessous de la barre des 50% de critiques optimistes : il en compte précisément 47%, alors que les deux premiers étaient à 83 et 87%. Black Adam en comptabilise 39%, et Shazam 2 53, là où son aîné passait les 90%.

Si l'on remonte un peu dans l'année écoulée, Thor 4 en avait 63%, soit juste en dessous des 66% du n°2, mais assez loin de 77% du film original, et surtout des 93% de Ragnarok, sorti en 2017. Avec 84%, Black Panther 2 reste très "frais", même si un peu en dessous de l'original (96%), tout comme Doctor Strange, à 74% vs. 89% pour son prédécesseur. Sorti en mars 2022, The Batman détient un compteur solide de 85% de critiques positives, soit un peu plus que les films de Tim Burton (déjà au-delà des 80%) et juste en dessous des 94% du Dark Knight de Christopher Nolan.

 

Spider-Man: Across the Spider-Verse "est une histoire d'amour entre Miles et Gwen" [photos]
Sony

Maintenant que ce constat est posé, que vont faire les patrons de studios concernant leurs adaptations de comics ? Bob Iger, à la tête de Disney, a laissé entendre qu'ils sortiraient moins de suites pour se consacrer à davantage de super-héros inédits au cinéma. Il n'a en revanche pas diminué la cadence de sorties. Pour la Warner Bros, la situation est particulière, et elle peut d'ailleurs peser lourd dans les résultats de ses films actuels : le changement de patron à la tête de la firme a entraîné des décisions drastiques (l'annulation de Batgirl, notamment), puis David Zaslav a engagé James Gunn et Peter Safran pour repenser leur DC Universe en bouclant le "Snyderverse", la saga initiée par Zack Snyder avec Man Of Steel il y a dix ans. Black Adam et Shazam 2 sont les fruits de la précédente direction (tout comme Aquaman 2 et The Flash, à venir), et la nouvelle moulure ne sera visible que d'ici une paire d'années.

En attendant 2025, le public a conscience de ces bouleversements, très commentés dans la presse. "A un certain degré, ce film est aussi une victime de ce gros 'reset' de chez DC", expliquait par exemple Shawn Robbins, analyste du box-office chez ComScore, à partir des chiffres du premier week-end de La Rage des Dieux. "Les suites de chez DC ont toutes eu des retours mitigés ces dernières années. Cela est lié à ce gros chamboulement créatif, dont l'impact sera véritablement ressenti d'ici une paire d'années, mais qui fait penser, aux yeux du public, que cette franchise n'a jamais été aussi fragmentée."

Concrètement, l'intérêt des spectateurs pour les productions super-héroïques sera-t-il plus fort en fonction des films proposés ? Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3, prévu en mai au cinéma par Marvel, permettra-t-il à Disney d'enregistrer à nouveau un franc succès dans ce domaine ? Les deux premiers volets de James Gunn ont reçu d'excellentes critiques en 2014 et 2017, et bien marché au box-office, en empochant 773 et 863,7 milliards de dollars. Là où Ant-Man n'a jamais été aussi populaire : le premier avait fini à 519 millions de recettes en 2015, et sa suite à 622 millions. 

Même question concernant Spider-Man Across the Spider-Verse, la suite du film d'animation très bien accueilli en 2019, qui avait permis à Sony d'innover avec le concept du "multivers", sur-utilisé par la concurrence depuis. A ce propos, quel sera le "super-film" de chez Warner capable d'inverser la tendance ? The Flash, qui reprend cette thématique permettant de jouer avec toutes les timelines et incarnations de super-héros ? Ou faudra-t-il patienter jusqu'au nouveau Joker, prévu fin 2024 sur grand écran ?
En analysant le démarrage américain de Shazam 2, ce week-end, Variety commentait à ce propos : "Sans suggérer que la lassitude a pris le dessus en ce qui concerne les super-héros - Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3, de chez Marvel, et Spider-Man: Across the Spider-Verse, de chez Sony, devraient dominer le box-office cet été- ce début décevant montre que dans un futur proche, les studios ne pourront plus sortir des adaptations de comics à méga-budgets au cinéma en espérant qu'ils enregistreront facilement 500 millions dans le monde."

Spider-Man : Across the Spider-Verse : "Le multivers peut facilement devenir un gimmick" [interview]