Nope : Jordan Peele a-t-il concocté un film d’invasion extra-terrestre ?
Universal

Un article à ne lire qu’après avoir vu le nouveau film de Jordan Peele.

On se gratte beaucoup la tête en sortant de Nope, le troisième film de Jordan Peele, un blockbuster estival euphorisant. Pas exactement comme après un épisode de Lost, mais plutôt comme après avoir contemplé une œuvre poétique, mystérieuse, polysémique. Que veut précisément dire Jordan Peele de la société du spectacle ? De notre obsession pour les images ? De notre rapport à la nature ? Ceci dit, les questions qui semblent revenir le plus souvent dans les conversations d’après séance sont quand même d'abord très concrètes : qu’est-ce que Gordy le chimpanzé vient faire là-dedans ? Et pourquoi cette chaussure tient-elle debout toute seule ? Si vous avez vu le film, vous savez de quoi on parle. Si vous ne l’avez pas vu, que faites-vous encore ici ? Foncez le voir et revenir lire cet article plus tard !

Nope, donc, s’ouvre sur une scène de carnage impressionnante, qu’on redécouvrira ensuite plus en détail au cours du film, et qui met en scène le personnage de Rick "Jupe" Park enfant (Jacob Kim), alors qu’il est acteur dans une sitcom familiale, Gordy’s Home, dont la vedette est un chimpanzé domestique, Gordy (joué en motion capture par Terry Notary, célèbre pour avoir fait le singe dans la Palme d’or The Square). Gordy, en plein tournage d’un épisode du show, pète les plombs à cause de l’explosion d’un ballon et commence à agresser les gens présents sur le plateau, sous les yeux terrifiés du petit Jupe, planqué sous une table.

Un fait divers réel

Cette scène de Nope s’inspire-t-elle d’un fait réel ? De nombreux commentateurs américains, au moment de la sortie du film, ont remis en lumière un fait divers assez similaire, qui a sans doute servi de source d’inspiration à Jordan Peele : en 2009, un chimpanzé domestique nommé Travis avait en effet attaqué une amie de son propriétaire, après que celle-ci se soit emparée de sa peluche préférée. La police était intervenue et avait abattu Travis – un sort similaire à celui de Gordy dans Nope. La victime du chimpanzé, une nommée Charla Nash, était ensuite venue témoigner dans l’émission d’Oprah Winfrey. Son visage défiguré y était caché par un voile et un chapeau, qui évoquent ceux que porte dans Nope le personnage de Mary Jo Elliot, l’une des actrices de la sitcom, que l’on voit dans le public venu assister au spectacle que Jupe, désormais adulte, donne dans son parc d’attractions. Oprah Winfrey est par ailleurs citée à plusieurs reprises par les héros du film, qui veulent obtenir le "Oprah shot" – l’image qui leur apportera la gloire.

Pourquoi la chaussure tient-elle debout ?

Lors du massacre perpétré par Gordy, un détail étrange retient l’attention du petit Jupe : une chaussure qui, au milieu du chaos, se tient verticalement, comme si elle était reliée au ciel par un fil invisible. Il n’en fallait pas plus pour que certains spectateurs du film suggèrent que l’extra-terrestre qui rôde au-dessus de la tête des protagonistes était peut-être déjà présent ce jour funeste de 1997, au-dessus du plateau de Gordy’s Home. Voire, allons encore plus loin, que Gordy lui-même est un extra-terrestre ! Mais ces hypothèses sont sans doute un peu tirées par les cheveux. Il ne faut pas oublier que, durant ces flashbacks, nous sommes dans le point de vue de Jupe, un enfant terrorisé qui craint pour sa vie. En se concentrant sur cette chaussure, le garçon a sans doute évité un contact visuel avec l’animal déchaîné, contact qui aurait pu lui être fatal. On peut se demander si Jupe n’a pas ensuite reconstruit en partie ce souvenir. Ou s’il ne l’a pas carrément embelli, pour la satisfaction des fans et des touristes qui viennent dans son parc entendre son histoire et qui en veulent pour leur argent – une réplique de la chaussure trône en effet en bonne place dans le "musée" que Jupe a dédié à l’événement.

Mais ne va-t-on pas un peu vite en besogne en affirmant que cet accident n’a rien à voir avec une force extraterrestre ? Dans une interview donnée pour la promo du film, le chef costumier Alex Bovaird a en effet indiqué que, dans le scénario, la chaussure était désignée comme la "jean shoe", en référence à Jean Jacket, l’alien du film. Hum… intéressant. A moins que cette image d’une chaussure défiant les lois de la gravité ne serve tout simplement d’illustration au concept de "mauvais miracle" dont parlent les personnages du film : un déchaînement de violence et d'horreur qui produit quelque chose de magique et d’irréel.

Un spectacle qui tourne mal

Plutôt que d’être totalement lié narrativement à l’intrigue principale de Nope, cette intrigue secondaire est d'abord liée thématiquement au reste du film. Comme dans le combat d’OJ et d’Emerald contre la créature extraterrestre, il est question ici d’essayer de dompter une bête, de vouloir la "capturer" grâce à une caméra, et de faire l’erreur de la regarder droit dans les yeux. On pourrait penser que Jupe, qui a échappé au massacre en établissant une sorte de "connexion" avec l’animal grâce à leur fist bump, aurait tiré des leçons du drame. Mais en fait non : devenu grand, il continue de se vautrer dans les pires travers de la société du spectacle, en cherchant à son tour à tirer profit de l’alien qui plane au-dessus de son parc, comme dans un mauvais remake de son trauma d'enfance. L'accident survenu sur le plateau de Gordy’s Home agit comme une sorte de fable, ou plutôt de cautionary tale : un récit édifiant qui avertit d’un danger et dont on est censé tirer un enseignement. Mais ça n’a pas été le cas de Jupe.