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Dulac distribution

Co- réalisateur avec Ronit Elkabetz de trois longs métrages, il signe avec Cahiers noirs, un film captivant en deux parties autour de cette sœur disparue voilà 6 ans. Rencontre

Avec Cahiers noirs, vous rendez un hommage flamboyant à votre sœur Ronit, disparue en 2016 à seulement 51 ans des suites d’un cancer. Un documentaire en deux parties où on est triste de voir le mot fin arriver…

Shlomi Elkabetz :  Ca me touche beaucoup… et rien ne dit d’ailleurs que ce troisième volet n’existera pas un jour. En fait, au départ, je n’avais pas en tête cette idée de diptyque. Mais très vite, à la fois par la richesse des images d’archives que j’avais en ma possession et la multitude des thèmes que j’avais envie d’aborder, j’ai compris qu’un seul film n’y suffirait pas. Sur la table de montage avec ma monteuse Joëlle Alexis, on a donc donné naissance à deux volets - Viviane et Ronit – qui permettaient d’encore plus jouer entre fiction et documentaire, entre images des films que nous avions co- écrits et co- réalisés avec Ronit (Prendre femme, Les Sept jours et Le Procès de Viviane Amsalem) et toutes ces images que j’ai tournées de Ronit dans l’intimité depuis des années.

Cahiers noirs, c’est 400 jours de montage étalés sur 4 ans et environ 600 heures de rushes. Comment s’en est construit la trame ?

J’ai d’abord commencé par un récit « classique », une trame assez droite, assez chronologique. Mais ce film- là manquait cruellement d’aspérité. Un film de famille qui n’avait pas sa place sur grand écran. J’ai donc laissé tomber pendant un petit moment. D’ailleurs quand je recevais des messages de producteurs ou de réalisateurs m’informant qu’ils allaient peut- être se lancer dans des films sur Ronit, je leur disais toujours de le faire et qu’en tout cas moi je n’avais pas de projet en ce sens

Qu’est- ce- qui a changé la donne ?

Le fait d’avoir pris du recul et trouvé une idée pour donner du sens à ces images. Je me suis mis dans la peau d’un personnage qui vit dans le futur, qui sait donc tout ce qui s’est passé dans la vie de Ronit et de nos parents et qui va la raconter. J’ai donc développé un scénario dans ce sens avec Joëlle Alexis dans lequel j’ai essayé de glisser toutes les histoires que je voulais raconter : nos rapports frère- sœur mais aussi de cinéastes, nos rapports avec nos parents… tout en parlant de religion, de laïcité, de création, de maternité…

Comment définiriez- vous Cahiers noirs ? Un hommage ? Un documentaire ? Un docu- fiction ?

C’est à chaque spectateur de se faire son idée. De se faire son film. Mas pour moi, en tout cas, Cahiers noirs est tout sauf un mausolée pour ma sœur. Je l’ai construit comme un thriller qui allait avoir pour but impossible d’éviter la mort, de ne pas s’achever sur la fin tragique qu’on connaît. Et ce jeu entre documentaire et fiction pour y parvenir rejoignait celui des trois films que nous avions réalisés avec Ronit où nous nous étions inspirés de la vie de nos parents. Cette trilogie n’était pas autobiographique mais personnelle. C’est la même chose pour Cahiers noirs.ahizer 

Comment justement trouve t’on la fin d’un tel projet atypique ?

Sans révéler précisément ce qu’elle est, elle m’a sauté aux yeux quand je me suis rendu compte que j’avais en archives deux plans quasiment identiques dans mon appartement parisien. L’un de Ronit répétant Maria Callas, l’autre de moi en train d’attendre à la fenêtre un déménageur. Ce dialogue entre les images et les années me permettait de boucler la boucle.

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Depuis quand filmez- vous ?

J’ai eu ma toute première caméra en 1988. J’étais comme un fou. J’avais ce jour- là à ma disposition 2’30’’ de pellicule alors j’ai choisi le plan que j’allais tourner avec soin, la bonne lumière naturelle dans la rue. Et pile à ce moment- là, une vieille dame est entrée dans le champ. Soudain mon film s’est animé, s’est transformé. Et le miracle a voulu qu’elle quitte pile le champ à… 2’30’’ ! Depuis ce jour- là, j’ai en tout cas un rapport particulier au temps dans mes films, y compris aujourd’hui où, avec le numérique, tout est illimité

On peut donc vraiment compter sur une troisième partie de Cahiers noirs dans le futur ?

Je pense oui mais je veux laisser du temps et tourner un autre film d’ici là. Car le temps joue un rôle essentiel dans ce projet. Le Cahiers noirs que j’avais en tête en 2016 n’a rien à voir avec celui qui sort en salles aujourd’hui. Et ce troisième volet, s’il existe, sera forcément différent dans quelques années de ce qu’il serait aujourd’hui.