Un simple accident
Memento

Jafar Panahi signe un drame par l’absurde en auscultant les rouages machiavéliques du régime des mollahs. A l’aide d’un dispositif ultraléger, la mise en scène parvient à créer des axes de tensions en permanence.

Jafar Panahi, 65 ans, était bien sur les marches rouges en mai dernier, lunettes noires, sourire doux pour présenter son dernier né : Un simple accident et y recevoir les suprêmes lauriers. Le cinéaste iranien, empêché de circuler et d’exercer son art par des autorités iraniennes qui jouent avec ses nerfs depuis 2009, a toujours affiché une ténacité incroyable. Le voir physiquement là, acclamé par une foule cinéphile reconnaissante envers son œuvre (l’une de plus importantes du cinéma moderne) donne tout son sens à un évènement majeur comme le Festival de Cannes. Un endroit où plus qu’ailleurs le symbole a valeur de manifeste artistique et politique. L’année dernière c’était son collègue et ami Mohammad Rasoulof qui décidait de quitter (lui définitivement) son pays pour défendre ses Graines du figuier sauvage.

Disciple d' Abbas Kiarostami, dont il fut l’assistant réalisateur, Jafar Panahi a gardé du maître cet art précis de la mise en scène visant à interroger en permanence les faux-semblants du réel. La clandestinité l'oblige à épurer au maximum sa mise en scène et trouver le dispositif le plus léger possible pour s'exprimer. Cela produit une pureté stricte du regard. Chez l’Iranien, les personnages se déplacent quasi exclusivement en voiture, à la fois donc dedans et en dehors du monde, protégés d’une exposition forcément dangereuse. Cinéma mobile à l’horizontalité souveraine qui cherche à déchirer des perspectives qui forcément se dérobent. Cette mise en scène parvient à créer des axes de tensions sans cesse renouvelés. Le combat ne permet aucun repos. 

Un simple accident de Jafar Panahi
Memento

Un simple accident commence logiquement dans l’habitacle d’un véhicule. Un couple devant, une enfant agitée à l’arrière, la nuit tout autour et soudain des soubresauts. Quelque chose est passé sous les roues. L’homme sort, le rouge des phares lui donnent l’apparence d’un spectre inquiétant. La caméra reste sur son visage. Deux plans à peine et déjà c’est tout un monde qui s’organise. Un monde tendu à l’insouciance brisée dans sa course où le hors champ dissimule tout ou presque. Ici c’est par le son que va bientôt s’opérer la greffe du drame. Bientôt un modeste employé croit réentendre les bruits d’une démarche particulière, celle de son bourreau qui l’a torturé il y a quelques années. Le doute ne semble plus permis, encore que, il convient de rassembler ses anciens partenaires de souffrance pour en avoir le cœur net. Ceux-ci avaient les yeux bandés lors de leur calvaire. Les sons mais aussi les odeurs et une caractéristique physique (leur bourreau avait une prothèse à une jambe et des cicatrices saillantes sur l’autre) aident à reconstituer le visage du mal. Ce cinéma-là met en branle tous nos sens.

Un simple accident de Jafar Panahi
Memento

C’est dans un van que tout une société se reconstitue désormais. Le corps du probable bourreau a été placé dans une boîte en attendant de décider de son sort. Un sort qui tient entre les mains d’une photographe, une mariée et deux hommes aux tempéraments contraires. Panahi déploie ici un petit théâtre de l’absurde (le classique de Beckett, En attendant Godot, est nommément cité) capable de tout renverser en une fraction de seconde. On pense aussi aux Nouveaux monstres, chef-d’œuvre tardif de la comédie à l’italienne, dans cette capacité à montrer toute l’absurdité administrative d’un système prisonnier de propre logique. La parole, véritable muscle du film et la toute-puissance du cadre interrogent tout à la fois la violence du pouvoir et la façon dont celui-ci oblige celles et ceux qui en sont victimes à trouver la juste réponse. En cela le dernier plan, merveille de tension expressive, nous laisse sans voix. Le mal est là, juste derrière. Derrière lui. En nous désormais. Puissant.

De Jafar Panahi Avec Vahid Mobasheri, Maria Afshari, Ebrahim Azizi... Durée 1h41. Sortie le 1er octobre 2025


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