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Cette fille est un diamant brut, un talent radieux comme il en existe peu. Judith Chemla excelle sur scène en tant que comédienne et chanteuse autant qu’elle rayonne à l’écran bien qu’elle n’ait pour le moment jamais eu de rôle principal au cinéma. On la rêve en future héroïne des salles obscures donnant la réplique à d’immenses comédiens de la trempe d’un Mathieu Amalric ou d’un Vincent Cassel, de Valérie Dréville ou de Niels Arestrup, de Juliette Binoche ou Béatrice Dalle, on l’imagine à merveille chez Arnaud Desplechin, Claire Denis, Bertrand Bonello ou encore Rebecca Zlotowski, dans des univers forts, au contact de personnalités artistiques passionnantes.Pour le moment, Judith Chemla s’est faite remarquer grâce à Camille redouble, le dernier film de Noémie Lvovsky dans lequel elle faisait partie de l’irrésistible bande de copines lycéennes (aux côtés de Julia Faure et India Hair). Dans un autre registre, elle était déjà percutante dans le rôle d’une jeune mère défaillante dans le  splendide et douloureux film de Pierre Schöller, Versailles.Pour le petit écran, Judith Chemla s’est vue décerner le prix de Meilleur Espoir Féminin au Festival du Film de Télévision de Luchon ainsi que le Laurier de l’interprétation féminine pour le téléfilm 15 jours ailleurs de Didier Bivel dans lequel elle interprète une psychotique internée.Enfin, du côté du théâtre, après un passage par la Comédie-Française où elle a pratiqué avec souplesse le grand écart en travaillant avec des metteurs en scène aussi différents que Jacques Lassalle, Galin Stoev, Lukas Hemleb et Dan Jemmett sur des textes de Molière, Corneille, Hanokh Levin, Odon Von Horvath, Eduardo de Filippo, Judith Chemla a pris son envol vers d’autres horizons où elle met en œuvre non seulement sa palette éclectique de comédienne mais également sa virtuosité vocale. Le Théâtre des Bouffes du Nord est depuis un port d’attache récurrent. Elle y a joué De Beaux Lendemains d’après le roman de Russel Banks sous la direction d’Emmanuel Meirieu, Le Crocodile Trompeur / Didon et Enée, une proposition à mi-chemin entre le théâtre et l’opéra mise en scène par Samuel Achache et Jeanne Candel, et surtout Tue-Tête, sa propre création. Elle a côtoyé l’univers loufoque et farfelu de l’auteur argentin Rafael Spregelburd dans L’Entêtement, mis en scène par Marcia di Fonzo Bo et Elise Vigier, la langue démiurgique de Valère Novarina dans Le Babil des classes dangereuses sous la direction de Denis Podalydès.Judith Chemla est aussi à l’aise et irrésistible dans le jeu que dans le chant, dans le burlesque que dans le tragique, dans le registre classique ou contemporain. Son jeu est inventif et profond, toujours surprenant, jamais académique. Nulles facilités chez elle, la technique se met au service d’une créativité foisonnante et la voir évoluer de rôle en rôle est un émerveillement. Tantôt juvénile et papillonnante, tantôt mature et ancrée, tantôt gracieuse, tantôt clownesque, cette jolie brune au fin minois et à la voix renversante est un caméléon qui semble pouvoir tout jouer et renouveler notre regard même sur les rôles les plus connus du répertoire, s’appropriant chaque personnage à sa manière. Ainsi en est-il de son interprétation toute en facettes miroitantes de Violaine dans L’Annonce faite à Marie, sous la direction sensible et aiguisée d’Yves Beaunesne. Elle y est simplement extraordinaire. Jeune fille en fleur amoureuse et euphorique, légère et mouvante, plombée au sommet même de son bonheur. Puis ange déchu, terrassée par la maladie, le corps mourant mais l’âme toujours vive et la foi inébranlable. Elle y est littéralement divine, lumineuse et ombrageuse, terrestre et céleste. Un feu follet. Une artiste déjà accomplie qui n'a pas fini de nous surprendre, de nous émouvoir, de nous éblouir.Par Marie Plantin