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Pour une fois, le titre VF sonne mieux que l’original. Trouble with the curve (littéralement, “le problème avec les balles courbes”) ne promet pas grand chose d’autre qu’un film sur le baseball. Alors qu’Une Nouvelle chance résonne comme un titre prémonitoire pour Clint Eastwood.2012 : annus horribilisFaites les comptes : 2012 fut l’annus horribilis du sachem hollywoodien. Ça a (plutôt mal) commencé avec J. Edgar. Si certains (ici même) louaient ambiguïté du portrait d’Hoover, on pouvait surtout y voir - après Invictus et Au-delà - la confirmation que le cinéaste s’était perdu dans un cinéma momifié et un peu mortifère. Les maquillages grossiers des deux vieillards, la mise en scène en pilote automatique (le MEME plan à chaque fois qu’on entre dans le FBI ?), le script incohérent : dans J. Edgar, Clint n’était plus que l’ombre de lui-même. Evidemment, le portrait de cet outsider en clair-obscur et la rumination de sa mélancolie à l'écart de la communauté étaient des thèmes Eastwoodiens, mais en version thé­âtre de chambre compassé et plombé par les clés psychanalytiques (la maman castratrice, la secrétaire in love). Quelques mois plus tard, le speech de la chaise vide à la convention républicaine venait confirmer que Clint était au plus mal... Beau moment de solitude où ce grand corps malade improvisait un monologue tragi-comique, marmonnage de propos incohérents et incompréhensibles ("Comment?  Vous me dites de la fermer? Non, moi je vous dis de la fermer") qui montraient les limites du comédien.  Mais.Le retour de l'humanisteOn sait depuis Gran Torino qu’il ne faut pas vendre la peau de Clint avant de l’avoir tué. Voici donc sa Nouvelle chance. Le film s’est ramassé au box-office US et en l’espace de quelques semaines, de sa sortie américaine aux premiers bâillements de la presse française, ce joli conte lo-fi sur le baseball et le temps qui passe s’est fait copieusement démolir partout où il passait. Que reproche-t-on à Clint ? De flâner et de se couvrir de ridicule en jouant les papys acariâtres pisteurs de talents. De plus en plus fantomatique, le grand ridé joue sur sa vieillesse et raccroche les wagons de Gran Torino ou Space Cowboys. Dans une scène d’intro mythique, Clint est dans ses chiottes et tente difficilement de pisser... Il parle à sa bite, l’engueule et finit par avoir le dessus. La dysurie comme métaphore d’un film pépère qui, sur un canevas loufoque (une sorte d’anti-Moneyball), plaque son humeur crépusculaire. Robert Lorenz (producteur et vieux compagnon de Clint) ne filme d’ailleurs que ce qui l’intéresse : des apartés entre Gus et ses vieux potes ou sa fille, le travail routinier de l’agent, une scène d’accident de bagnole à deux à l’heure... Alors, ok. Comparé à ses récents films pontifiants, celui-ci rase la pelouse. Clint prend d'ailleurs un malin plaisir à faire piétiner l’intrigue pour y faire entrer une poignée de seconds rôles parfaits (Amy Adams toujours craquante, Justin T, impeccables) et réussir deux ou trois belles séquences. Le tout avec une facilité déconcertante. Mais on aime surtout cette Nouvelle Chance, parce que Clint revient au versant humaniste de sa filmographie. Gran Torino (le sacrifice de Kowalski pour sauver le gamin) plutôt que Million Dollar Baby (où il débranchait Hilary Swank) ; Honky Tonk Man contre Pale Rider. Ne vous méprenez pas : Une Nouvelle Chance n’est rien de plus qu’un Malpaso 1980’s (la compagnie de prod d’Eastwood), un Clint des familles relevé par le style apaisé de Lorenz. C’est rien, mais aujourd’hui, ça veut dire beaucoup. Alors, avant de passer à autre chose, et surtout après une année difficile, crions-le ici bien fort : on peut tranquillement mater le nouveau Eastwood. C’est cool, rigolo et ça fait un bien fou.Gaël Golhen