La série événement de HBO arrive en clair sur M6.
Sortie en HBO en 2019, Chernobyl démarre ce soir en clair à la télévision. En cinq épisodes, cette minisérie saisissait tout le monde d’effroi et de terreur. Il est plus que temps de faire le point. Voici la critique publiée dans Première lors de sa diffusion initiale.
D’un bout à l’autre, Chernobyl aura été l’histoire d’un suicide. Celui d’un homme tout d’abord, Valery Legasov (Jared Harris), scientifique chargé de la gestion de la plus grande catastrophe écologique de l’histoire, qu’on retrouvera pendu au bout d’une corde dès la fin du prologue, juste après qu’il a pris le temps d’enregistrer ses mémoires, de nourrir son chat et de s’en griller une toute dernière. Les cinq heures de série qui vont suivre tenteront d’expliquer ce geste, à la fois infime et colossal.
C’est aussi le suicide d’un État en surchauffe, implosant littéralement devant les yeux de son peuple. C’est en tout cas comme ça que l’envisage Mikhaïl Gorbatchev, cité dans le long épilogue du dernier épisode sur fond de chants slaves et d’images d’archives qui glacent le sang : « La catastrophe de Tchernobyl fut peut-être la véritable raison de l’effondrement de l’Union soviétique. » La série évoque cette agonie des institutions
locales avec une absence de manichéisme stupéfiante pour une production anglo-
saxonne, se focalisant principalement sur la grandeur d’âme du peuple russe et dépassant ainsi le simple cadre de l’œuvre-dossier pour toucher une corde éminemment sensible.
Enfin, Chernobyl nous raconte aussi très frontalement le suicide de l’humanité, envisageant cette histoire-là comme la métaphore éloquente d’une civilisation qui bâtit patiemment
et savamment tous les outils nécessaires à son extinction. Trente-trois ans après les faits, la série tombe ainsi pile à l’heure, au cœur d’un monde qui pressent comme jamais une apocalypse écologique sur fond de mensonge d’État.
RENAISSANCE. Incidemment, Chernobyl est également l’histoire d’une renaissance. Celle de Craig Mazin, scénariste américain de 48 ans qui, il y a deux mois, n’était rien d’autre qu’un anonyme de la comédie US débile, homme de main des frères Wayans et responsable, entre autres, des scénarios de Scary Movie 3 et 4. Il est aujourd’hui devenu l’un des showrunners les plus cotés du monde et l’auteur d’un record homologué avec beaucoup de zèle par tous les médias internationaux, celui de la meilleure note IMDb de
tous les temps : 9,7/10. Ce n’est pas le premier quidam de l’industrie du showbiz à se révéler sur le tard en petit génie de la télé (rappelons que David Chase avait 54 ans au moment de la diffusion des Soprano) mais la manière dont cet homme est passé de la pétomanie la plus bruyante au drame historique quasi chuchoté peut tout de même étonner. De fait, malgré le pedigree HBO et le budget visiblement monstre, Chernobyl, série sans stars et sans teasing, a un peu pris tout le monde de court. Elle n’avait jusqu’à sa diffusion que son titre pour seule promesse. Chaque épisode aura finalement ramené un peu plus de spectateurs d’une semaine à l’autre devant le poste (et le replay), et la série aura sextuplé son audience entre le début et la fin de la diffusion. Le plan marketing était en fait solidement établi : tout miser sur le bouche- à-oreille et sur un solide cyber VRP, Craig Mazin en personne.
Avant d’être un phénomène culturel, Chernobyl fut d’abord un phénomène de presse : le premier épisode, sensoriel, immersif, à la limite de l’expérimental en termes de narration, aura mis tous les critiques sur les fesses. En guise de dossier de presse grand luxe, HBO leur a offert un splendide podcast où Mazin revenait sur tout le processus de création de la série (« Un exercice de sécurité qui débouche sur l’explosion d’un réacteur nucléaire? Un scientifique chargé de l’enquête qui se suicide pile deux ans après la catastrophe? J’avais une série. »), ses choix créatifs les plus radicaux (« Pas d’accent russe pour les acteurs, ça les fait sortir du rôle. Mais surtout pas d’accent américain non plus! »), et des explications de texte données sur un plateau (« J’ai commencé à travailler sur la série sous Obama. Elle a pris une toute autre dimension lorsque Trump est arrivé au pouvoir. »). Par ailleurs, le showrunner devenait instantanément une vedette de Twitter, ouvrant sympathiquement le dialogue avec les spectateurs, les aidant à démêler ce qui relevait de la vérité et
de la fiction dans l’intrigue, offrant des liens pour télécharger les scénarios de chaque épisode ou listant méthodiquement toutes les influences artistiques et les sources documentaires de son travail.
PHÉNOMÈNE. À mille lieues de la culture du secret qui obsède l’industrie, Mazin ouvrait les vannes de l’info en grand. Les journalistes compilaient ses tweets pour en faire des articles alimentant en flux continu l’actualité d’une série qui a vite fini par se retrouver au cœur des conversations. Pour devenir un phénomène culturel, Chernobyl a choisi d’exister d’abord comme un phénomène viral, à un niveau peut-être inédit depuis Lost. La série élargissait alors son audience médiatique à mesure que sa nature tendait de plus en plus vers le mainstream, le didactisme et l’édifiant, comme si tout ceci relevait d’un grand masterplan. À ce niveau, le dernier épisode fut un accomplissement total, se chargeant de remplir les trous narratifs laissés par le premier, et en désignant par le menu les phénomènes physiques, les manquements logistiques ainsi que les hommes responsables de la catastrophe. En ce sens, Chernobyl, série citoyenne incroyablement ouvragée, aura mis dans l’œil du cyclone des informations majeures dont on n’avait jamais vraiment entendu parler jusque-là et participera probablement à un éveil des consciences sur l’importance de ceux à qui on confie le pouvoir. Sa grandeur, qui est aussi sa limite, tient là-dedans : notre époque n’attendait qu’elle.
Bande-annonce :
Le lien improbable entre Chernobyl et... Les Simpson !
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