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A l'occasion du début de la diffusion de la saison 3 de Twin Peaks ce soir, on a demandé aux célébrités croisées à Cannes ce qu'elles pensaient de la série culte de David Lynch.

Attention, événement. Twin Peaks est de retour. L'une des séries les plus cultes de l'histoire de la télé revient ce soir à Cannes et sur Canal + pour une troisième saison. On a demandé aux personnalités rencontrées sur la croisette quel rapport elles entretenaient avec cette série pas comme les autres. Best-of.

Fabio Grassadonia et Antonio Piazza (réals de Sicilian Ghost Story).

« Il n’y a pas que Twin Peaks, loin s’en faut. Lynch en général est une inspiration décisive pour nous. Twin Peaks, la première fois, c’était un choc immense. Je l’ai revu récemment et j’ai trouvé que tous les signes de l’époque où ça a été réalisé sont très apparents, plus que dans des films comme Blue Velvet, Elephant Man, The Straight Story, et Mulholland Drive bien sûr, ce film faussement compliqué, avec une histoire -incroyablement limpide si on prend la peine de l’analyser. Lynch a su trouver le chemin de l’inconscient. Il est le seul cinéaste à notre connaissance à avoir su toucher plus que les rêves eux-mêmes, une zone au-delà des rêves, faite de désirs interdits, sombres, inconnus. Sans compter son aptitude à créer de la tension dans la nuit. Tout ça, bien sûr, Twin Peaks en est l’une des expressions les plus accomplies. »

Claire Denis (réalisatrice d’Un beau soleil intérieur)

« Ah bon, Twin Peaks revient ? Bien sûr que la série m’a touchée, comme toute l’œuvre de Lynch. Il propose au spectateur de s’attendre en permanence au pire, et c’est ce qui fait son génie. Curieusement, je me souviens mieux de la version sortie au cinéma, Fire Walk With Me. Enfin, non, ce n’est pas si curieux que ça : c’est normal de ne pas tout retenir des séries, puisqu’elles doivent se regarder “pendant”, dans le présent de la diffusion. C’est mieux d’oublier certaines choses, vous retenez mieux certaines autres. Ce qui m’a peut-être inspirée çà et là pour mes propres films, c’est que Lynch invente une angoisse qui n’existe qu’à l’écran, pas dans la vie réelle. Une angoisse propre aux habitants de Twin Peaks. Et qui, pourtant, atteint directement les neurones. En tout cas, les miennes. »

Arnaud Desplechin, (réalisateur des Fantômes d’Ismaël).

« C’est bizarre. Ce n’est pas une série qui a compté pour moi alors que je suis un fan acharné de Lynch ! J’ai appris qu’il avait annoncé sa retraite, récemment. C’est vrai ? Si c’est vrai, je suis super contre ! A moins que ce ne soit une promesse de rocker. Bizarrement, Twin Peaks n’a pas été le choc que je pensais. Sans doute parce que c’est une série télé. Attention, il y a des séries télés qui comptent énormément pour moi, comme des films – Carlos, The Wire, A la Maison Blanche, Friday Night Lights, mais Twin Peaks, non. Je suis passé à côté. Certaines images restent… Forcément, c’est du Lynch. La femme à la buche, je m’en souviendrai toute ma vie. Mais ça compte moins que Lost Highway ou Une Histoire Vraie. Ça tenait peut-être à ma défiance envers la télé à l’époque et puis, ça me faisait aussi clairement moins flipper que le reste de sa filmo. »

Elizabeth Olsen (co-star de Wind River).

« Bien sûr que Twin Peaks a changé ma vie. Ça m’a ouvert les yeux sur l’art contemporain. Actuel. Rien que ça. Pour moi Lynch est plus qu’un cinéaste : c’est un artiste total, et Twin Peaks m’a fait découvrir une autre façon de raconter des histoires. De faire du cinéma. Pour moi Twin Peaks, c’est de la narration non linéaire, c’est du cinéma hypnotique… Plus rien n’a été pareil après ça. Lynch est entré dans ma vie : si si, pour de vrai, j’ai même une lampe conçue par David Lynch chez moi, que j’ai achetée aux enchères. Tu vois bien que c’est un artiste total (rires). Autant te dire que j’attends comme une dingue la saison 3. Et je me rappelle de cette soirée d’Halloween – je ne sais plus quelle année, désolée – où tout le monde voulait se déguiser en femme à la bûche. Moi ? Je ne l’ai pas fait. Mais ma copine Veronica, oui. »

Robin Campillo (réalisateur de 120 Battements par minute).

« Je ne suis pas fan de série – seulement de soap anglais, genre Coronation Street. C’est ce qui explique que je sois complètement passé à côté de la diffusion de Twin Peaks. J’ai essayé de rattraper mon retard il y a deux ans, mais je n’ai pas accroché. Le mystère perpétuel m’a vite lassé. En revanche, j’ai a-d-o-r-é le film. Ce qui, je vous l’accorde, est très compli-qué à expliquer ! Mais ça m’a fait très peur et j’avais eu le sentiment à l’époque qu’il y avait des choses là-dedans qu’on n’avait jamais vues ailleurs. C’est ce film qui a été ma porte d’entrée à l’univers de Lynch dont je n’aimais pas beaucoup le cinéma jusque-là. Il était très loin de moi. Mulholland Drive m’a bouleversé et m’a conduit à voir Lost Highway. Peut-être que je devrais me replonger dans la série Twin Peaks, après tout. Les gens ont l’air d’en être tellement fans… . »

Kiyoshi Kurosawa (réalisateur d’Avant que nous disparaissions).

« J’ai évidemment vu Twin Peaks à l’époque où les deux premières saisons ont été diffusées, plus l’adaptation au cinéma. J’ai du mal à définir comment ça m’a influencé, mais ça m’a forcément influencé, à un niveau très profond... Je pense que toute personne s’attelant à la fabrication de films ne peut pas ne pas avoir été influencé par Twin Peaks s’il l’a vu. C’est difficile pour moi de définir précisément -comment, mais je crois que c’est surtout en termes d’ouverture artistique. Je pense que c’est une série qui est à la fois un thriller psychologique et un polar, et j’ai compris que ce genre en particulier avait des limites et qu’il pouvait être très, très extensible par rapport à l’image que j’en avais à l’origine. Cela m’a donc permis d’ouvrir ma perception de ce genre en particulier. »

Laurent Brancowitz, (guitariste de Phoenix, compositeur de la BO des Proies de Sofia Coppola)

Ça a été un choc pour une génération entière d’adolescents dont je fais partie. Un choc esthétique mais aussi érotique. Comme chaque actrice était ravissante, je portais ma préférence de l’une à l’autre, c’était très troublant. Et puis il y avait des idées folles qui dépassaient le cadre rationnel des années 80, avec ce détective qui se fiait au hasard. On en parlait beaucoup au lycée, les gens qui regardaient formaient une sorte de confrérie. C’était beau, ce moment où la télévision valait le coup d’être vécu. On sentait la vision d’un artiste entre deux pages de pub pour Végétaline. Ça n’arrive pas souvent aujourd’hui et à l’époque c’était encore plus rare. Quant à la nouvelle saison, sur le papier, je trouve que c’est une très mauvaise idée. Mais le monde étant imprévisible et Lynch étant Lynch, je suis forcément très curieux. Ça peut même être fabuleux en fait.... »

Camille Chamoux (actrice dans Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête d’Ilan Klipper présenté à l’ACID)

 « C’est ma série préférée du monde mais, malgré l’étiquette Lynch posée dessus, j’ai l’impression que ça fait un peu ringard de l’avouer à notre époque. Des fois on me regarde du style : “Ah oui ok, la meuf est restée scotchée en 1992, la pauvre.” Mais tant pis, j’assume de préférer ça à tout le reste : meilleur déco jamais vue à la télé, meilleurs acteurs (et actrices surtout!), meilleure intrigue évidemment. L’histoire commence par -t’hameçonner comme un petit thriller où tu dois deviner le meurtrier et soudain : bascule dans l’irrationel total. Tu échappes aux codes de la narration “polar”. Pas de suspens, pas de cliffhanger, que de l’étrange, que des territoires inconnus. Bref, c’est ma passion. Et pas seulement parce que c’est aussi une série girl power. Mais j’ai jamais osé voir le film, trop peur de me sentir trahie en tant qu’obsessionnelle – j’ai tout revu quatre fois, hein. Mais je vais dépasser ça, il le faut et, de toute façon, la saison 3 va m’obliger à être moins conservatrice dans mon rapport au show. »

Louis Garrel (acteur du Redoutable)

« Ma soeur est fan. Beaucoup plus que moi. J'ai vu ça il y a longtemps, et un peu par hasard j'ai revu le premier épisode il y a quelques semaines. Je suis fan de Lynch, mais j'avoue que cette série, je la connais mal. Tu aimes toi ? Je sais qu'il y a une communauté de fans très sérieuse, mais je suis resté un peu à l'écart. Je ne saurais pas te dire pourquoi... » 

John Cameron Mitchell (réalisateur de How To Talk To Girls At Parties)

« Je faisais un peu le difficile devant Twin Peaks à l’époque, parce que je n’aimais que les épisodes réalisés par Lynch lui-même, qui étaient tous incroyables et choquants. Les autres, bof. Mais là, dans la nouvelle saison, c’est lui qui réalise tous les épisodes, c’est bien ça ? Il y en a 18 en tout ? Vous vous rendez compte, 18 heures de David Lynch ! C’est inespéré. Il avait plus ou moins arrêté le cinéma ces dernières années, ce qui me déprimait. Je sais qu’il aime la peinture, mais ce n’est pas la même chose. L’époque où on pouvait voir un film de Lynch, ou de John Waters, tous les deux ou trois ans, me manque. Je pensais qu’Internet et YouTube allaient faire naître une nouvelle génération de cinéastes excentriques, mais les jeunes aujourd’hui sont surtout occupés à se vendre, à se « brander ». Sauf que Lynch, lui, n’a jamais cherché à « brander » Eraserhead. Ça m’inquiète. Où sont passés les cinglés ? Où sont passés les weirdos ? »

Justin Théroux (acteur Lynchien de The Leftovers)

« C’est toujours une surprise pour les gens quand je leur raconte, mais sur le tournage de Mulholland Drive, il était clair pour tout le monde qu’on faisait une comédie. Et entre acteurs, on se regardait tous de travers : ça ne marchera jamais, comment est-ce possible ? Je ne sais plus si David nous a dit qu’on tournait une comédie, ou si on a pris sur nous de décider que c’était une comédie. Bref… Not so much a comedy after all. Et je me mets à la place des comédiens de Twin Peaks, à l’époque. Je suis sûr qu’ils n’avaient AUCUNE idée de ce qu’ils faisaient durant les premiers épisodes. Michael Horse, qui jouait le deputy Hawk, croyait qu’il tournait Dragnet à la campagne. Il m’a dit : ‘J’étais l’adjoint du sheriff Truman, j’enquêtais sur des meurtres, je le jouais comme une série de flics’...  Avec David, on reste en contact. On s’échange des e-mails. Il ne m’a jamais parlé de Twin Peaks. Et même s’il l’avait fait, je n'aurais pas pu y aller, j'ai un contrat d'exclusivité avec HBO pour toute la durée de The Leftovers. »

Sergei Loznitsa (réalisateur de Une Femme douce)

« C’est très étonnant que vous me parliez de Twin Peaks et de Lynch, car il s’agit pour moi de l’un des plus grands réalisateurs vivants. J’ai eu une période où j’étais fasciné par tout ce qu’il faisait. Je regardais tout, compulsivement. Pourtant, je ne pensais pas que son influence se manifestait dans ce film… je n’y ai pas consciemment pensé en tout cas. Cette série est essentielle pour moi : je l’ai vu jeune quand elle était diffusée en Russie. J’ai tout de suite eu l’impression que Lynch y épuisait tout ce que devait être une série. Après lui, ce n’était plus possible d’en faire. Il a joué à un niveau métaphorique rarement atteint au cinéma ou à la télévision, et ce que j’aime surtout c’est que l’un des sens les plus riches de cette série, c’est le regard que Lynch porte sur les séries elle-même. Comment jouer avec les codes, la durée, le format… Et puis, par sa volonté de troubler le spectateur, par son désir de le faire entrer dans un rêve ou dans une danse cauchemardesque, par le motif de la répétition c’est une œuvre qui m’a vraiment influencé. »