Universal

Pour mieux savourer le nouveau chef-d’œuvre de Paul Thomas Anderson.

Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940)

United Artists

 

C’est là que tout commence : Phantom Thread est né de l’envie de Paul Thomas Anderson de se confronter au genre de la “romance gothique”, Rebecca en tête. Une jeune femme se retrouve prisonnière d’une grande demeure aux règles énigmatiques, hantée par les fantômes du passé… Remplacez Laurence Olivier par Daniel Day-Lewis, Joan Fontaine par Vicky Krieps, le spectre de l’épouse par celui de la mère, la méchante gouvernante par une méchante sœur, et vous voilà dans Phantom Thread. Ajoutez une pincée de Soupçons (l’idée du couple comme piège mortel), de Fenêtre sur cour (le thriller sexy en chambre) et de Sueurs Froides (la love story vampirique) et vous verrez que ce n’est pas du tout un hasard si le nom du personnage principal, Reynolds Woodcock, rime avec Alfred Hitchcock.

Falbalas (Jacques Becker, 1945)

StudioCanal

 

Impossible d’évoquer Phantom Thread sans remonter le fil (le thread, donc) des grands films sur la mode. Mais lequel regarder en miroir du Paul Thomas Anderson ? La Femme modèle ? Saint Laurent ? Zoolander ? Non : on en revient encore et toujours au séminal Falbalas de Jacques Becker, un classique aux thèmes jumeaux (le couturier consumé par sa passion, le coup de foudre soudain d’un womanizer, le petit monde des petites mains de la mode…) mais au traitement radicalement opposé. Sinon, dans le genre, il y a Prêt-à-porter, signé de l’idole de PTA, Robert Altman. Mais il vaut sans doute mieux vaut revoir Falbalas que Prêt-a-porter, non ?

Mother ! (Darren Aronofsky, 2017)

DR

 

Un huis-clos, un créateur en plein burn-out, sa muse/compagne qui le galvanise autant qu’elle le perturbe… Amusant de constater qu’à quelques mois d’intervalle, Darren Aronofsky et Paul Thomas Anderson, deux des mavericks les plus turbulents des 90’s, devenus des quadras préoccupés par la conjugalité et la postérité, livrent deux réflexions sur l’amour et l’acte créatif. Deux films qu’on est également invité à regarder comme des autoportraits, en partie parce que leurs réalisateurs ont mêlé leur vie privée à la promo – Aronofsky en donnant ses interviews aux bras de son actrice et (ex-)girlfriend Jennifer Lawrence, PTA en racontant que le film a germé dans son esprit un jour où il était au lit, malade, couvé par son épouse, l’actrice Maya Rudolph… Mais les deux hommes en ont tiré des œuvres aux antipodes : Mother ! est aussi débraillé que Phantom Thread est tiré à quatre épingles.  

Eyes Wide Shut (Stanley Kubrick, 1999)

Warner Bros.

 

On ne la spoilera pas ici, mais la réplique finale de Phantom Thread sonne un peu (un peu, hein) comme le “Fuck” terminal de Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut. Si la caméra de PTA s’arrête très pudiquement au seuil de la chambre à coucher de ses protagonistes, ça n’empêche pas le film d’être, à l’instar du chant du cygne de Kubrick, une étude sur les rapports de soumission et de domination au sein d’un couple. Sans les partouzes, donc, mais raconté à travers la même gaze onirique, presque irréelle. Quant à la surprise de voir le très californien Paul Thomas Anderson aller humer l’air de l’Angleterre, on peut aussi se dire qu’il y suit les traces de son maître Stanley Kubrick, qui y a tourné tous ses films à partir des années soixante. Y compris son dernier, l’adaptation d’un livre viennois, située dans une New York reconstituée en studio.  

Le Temps de l’innocence (Martin Scorsese, 1993)

Columbia Pictures

Aujourd’hui, les grands cinéastes ne peuvent espérer faire sortir Daniel Day-Lewis de sa retraite qu’en lui servant des films sur un plateau : Phantom Thread a donc entièrement été conçu autour de la performance de l’acteur. Qui en profite pour se ré-inventer à nouveau, à des années-lumière de la folie histrionique de There Will Be Blood ou du génie transformiste de Lincoln. Le rôle auquel on pense beaucoup, en revanche, c’est le Newland Archer du Temps de l’innocence : DDL retrouve ici ce maintien aristocratique, cette ferveur guindée, cette minéralité, cette façon d’exister avant tout dans le regard de sa partenaire féminine. D’un film à l’autre, un cinéaste réputé pour sa violence (Scorsese hier, PTA aujourd’hui) s’adoucit donc au contact de Day-Lewis. Et signe un chef-d’œuvre feutré, faussement sage, où la dinguerie se dissimule sous les manières policées de la haute société.

Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson, actuellement en salles.