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Chaque été, ou presque, les films français lâchent du terrain face aux américains. Fatalité ou état de fait ? Décryptage.

Le chiffre est implacable : selon le site professionnel CBO Box Office, les films français auraient réalisé une part de marché (pdm) de 18% cet été (neuf semaines prises en compte, du 22 juin au 24 août) contre 76% pour les films américains. On est bien loin de la moyenne annuelle (qui, pour l’instant, est de 32% contre 61) et bien loin des chiffres estivaux précédents (25% en 2015, 35% en 2014).
À y regarder de plus près, 2016 s’inscrit dans la fourchette habituelle, qui se situe entre 16 et 22% de pdm depuis dix ans. Les deux exercices précédents constituaient des exceptions, les statistiques ayant été dopées par des cartons groupés : Lucy, Les Vacances du Petit Nicolas et l’increvable Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? en 2014 (9 millions d’entrées à eux trois sur la période concernée) ; Les Profs 2, Le Petit Prince et Une famille à louer en 2015 (presque 5,5 millions cumulées). À titre de comparaison, seul Camping 3 a dépassé le million d’entrées cette année (3,1M) et n’a pas été la locomotive espérée. Si C’est quoi cette famille ? a plutôt tenu son rang (la comédie de Gabriel Julien-Laferrière devrait avoisiner les 700 000 entrées au final), Débarquement immédiat ! de Philippe de Chauveron est un échec assez cuisant (400 000 entrées) compte tenu du pedigree du réalisateur –celui de Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ?. À un autre niveau, La Tortue rouge, L’effet aquatique ou Irréprochable, sortis sur des combinaisons plus restreintes, ont su toucher leur public en atteignant des scores conformes à leurs dimensions et à leurs ambitions. Sans parler de La Grande Vadrouille, dont la version restaurée a attiré 40 000 spectateurs…

Box-office français : Aucun blockbuster de l’été n’entre dans le top 5 de 2016

Une vieille rengaine

Si quelques gros distributeurs français tentent des « coups » pendant l’été, cela reste encore timide selon Benoît Danard, directeur des études, des statistiques et de la prospective au CNC, pour qui la question d’un été pourri pour les films français ne se pose pas. Tout est une question de perspectives. « Il sort plus de films français aujourd’hui l’été que par le passé. Alors, certes, le nombre de films populaires avec des ambitions élevées en termes d’entrées reste faible par rapport aux blockbusters… » Lesquels blockbusters phagocytent le box-office estival depuis presque toujours et, surtout, depuis une quinzaine d’années, après que les studios ont décidé de sortir leurs cash machines à peu près simultanément partout dans le monde.
« L’été n’a jamais été un enjeu pour le cinéma français, affirme Thierry Lacaze, directeur de Wild Bunch Distribution. Quand Le Choix des Armes est sorti, avec succès, en plein mois d’août en 1981, c’était une petite révolution qui n’a pas duré longtemps. Paradoxalement, c’est à la faveur des succès estivaux récents du cinéma américain que les distributeurs français ont tenté prudemment de réinvestir cette période. » Dans les années 80-90, les stratégies de distribution et d’exploitation étaient à l’opposé d’aujourd’hui pour deux raisons : le nombre de sorties hebdomadaires était inférieur de moitié (phénomène amplifié en juillet-août) et la chronologie des médias, plus distendue. « À cette époque-là, beaucoup de films français distribués l’hiver ou au printemps ressortaient l’été, car la faible programmation dans les salles le permettait, poursuit Thierry Lacaze. Je me souviens très bien que Ridicule (1996) de Patrice Leconte, distribué début mai, avait connu un second souffle l’été en ressortant sur un nombre de copies presque supérieur. »

Bilan de l’été mitigé pour le box-office US

Une situation figée ?

Le problème n’est donc pas le nombre (en hausse depuis dix ans) mais la nature des productions françaises en salles l’été, les distributeurs semblant écarter l’idée de sortir à cette période une armada susceptible de booster la pdm nationale. « Il n’y a pourtant pas plus d’échecs retentissants pour le cinéma français l’été que le reste de l’année, explique Benoît Danard. La raison de cette désaffection est plus prosaïque : les professionnels du secteur sont souvent en tournage pendant l’été et la disponibilité des talents pour la promotion n’est jamais garantie. Par ailleurs, le manque d’exposition médiatique, dû à l’absence ponctuelle des talk-shows à la télévision, n’incite pas à prendre de risques. » Thierry Lacaze acquiesce en précisant que les films populaires français ne peuvent, en outre, pas soutenir la comparaison avec les blockbusters en termes de marketing. « Si l’on sort face à un Marvel, on recherche les mêmes partenaires médias et les mêmes réseaux d’affichage. Or, ce n’est pas gagné. NRJ choisira, par exemple, toujours de s’associer à un blockbuster plutôt qu’à une comédie française car il est plus simple pour la radio d’imaginer faire gagner des goodies issus de l’univers Marvel à ses auditeurs. »
Le statu quo devrait donc prévaloir dans les années à venir au grand dam de Benoît Danard. « Les deux mois d’été sont très forts en termes de fréquentation. Pour vous donner une idée, il y a pratiquement eu 18 millions de spectateurs en juillet, quand il n’y en aura que 10 en septembre, mois historiquement très faible. Personnellement, si j’étais distributeur, je sortirai moins de films à fort potentiel en septembre qu’en août. » Thierry Lacaze modère : « Ceux qui vont en masse au cinéma l’été sont les familles et les jeunes. Cette année, à part Camping 3, ils sont allés voir les blockbusters en priorité. Les films d’auteur ont de leur côté besoin de la presse pour exister et, en été, c’est compliqué. Une méthode consiste à sortir ces films mi-juin / fin juin et à profiter ensuite de l’exposition plus longue que favorise la programmation allégée des salles. La Tortue rouge en est ainsi à sa onzième semaine d’exploitation (chose impossible le reste de l’année) et devrait finir sa carrière aux alentours de 350 000 entrées. Nous sommes par ailleurs tributaires de la fermeture annuelle de certaines salles art et essai en raison, disent-elles, de la faible offre en matière de films. C’est le chat qui se mord la queue ! ».
Symboles de ces hésitations, L’Odyssée et Brice 3, deux films familiaux plutôt solaires et, semble-t-il, profilés pour l’été, sortent respectivement le 12 et le 19 octobre. N’est-ce pas un peu édifiant ? Pas du genre à diaboliser l’été (Wild Bunch avait sorti avec succès Les Vacances du petit Nicolas le 9 juillet 2014), Thierry Lacaze assure que L’Odyssée n’était absolument pas prêt –à sa connaissance, Brice 3 non plus. Mais si la volonté d’exister à cette période était forte, ces deux films ne seraient-ils pas déjà à l’affiche ? @chris_narbonne