Il y a quelques années, le comédien a conquis le public de théâtre avec son seul en scène, Les Garçons et Guillaume, à table !, un régal de spectacle, simple, intelligent, au sujet original et surtout, drôlissime et merveilleusement interprété. En un rien de temps, ce monologue tourbillonnant créé au Théâtre de l’Ouest Parisien (Boulogne-Billancourt) et mis en scène par Claude Mathieu (complice de la Comédie-Française) est devenu un succès des planches maintes fois repris jusqu’à sa transposition cinématographique du même titre, sélectionnée au dernier Festival de Cannes et sortie aujourd'hui sur les écrans.Mais qui est vraiment Guillaume Gallienne ?S’il appartient à la caste huppée des comédiens dits du Français, portant haut et fort notre patrimoine dramatique en tant que Sociétaire de la Comédie-Française, Guillaume Gallienne a su se rendre populaire par le biais du petit écran, pénétrant dans les cuisines et les salles à manger de l’hexagone avec "Les Bonus de Guillaume", interventions télévisées hilarantes dans le cadre du Grand Journal sur Canal. C’était il y a quelques années et la télévision, média et médium de masse, révélait au plus grand nombre une des multiples facettes du bonhomme, son potentiel comique indéniable. La radio (en l’occurrence France Inter) lui offre ensuite la possibilité de dévoiler un autre pan de sa personnalité en lui confiant la présentation d’une émission consacrée à la lecture ("Ça peut pas faire de mal"). Le clown du paf s’y montre assagi et se prête au jeu de transmettre par le biais de l’oralité radiophonique son amour des grands textes et de la littérature. On l’aura compris, Guillaume Gallienne est un caméléon. Au cinéma où il accumule apparitions et seconds rôles, il fait le grand écart entre blockbusters (Jet Set, Marie-Antoinette, Astérix et Obélix…) et petits films d’auteurs (Sagan, Tu vas rire mais je te quitte, Confessions d’un enfant du siècle…). Entre temps, il se produit également dans des téléfilms, alternant échappées télévisées et plateau de la Comédie-Française où il passe en souplesse de Marivaux à Feydeau, de Molière à Musset, d’Euripide à Dario Fo… confirmant son don pour la métamorphose.Son film, sorti aujourd’hui sur les écrans, est à l’image de ses différents visages. Il brouille les pistes, mixe sans complexe les références et les genres (dans tous les sens du terme), prend à rebrousse-poil les idées reçues et raille gentiment cette propension, très franco-française, à étiqueter les gens, les ranger sans penser à mal dans une boite bien fermée et surtout, rassurante pour tout le monde. Le problème, c’est qu’il est très facile de se tromper de case et qu’en sus, la réalité est souvent tellement plus complexe qu’une case ne suffit pas. Résultat : ça dépasse. Les Garçons et Guillaume, à table ! est l’histoire d’une identité qui dépasse, qui résiste au rangement. Il s’agit en effet du récit d’un "coming out" inversé, un "coming in ?" ou comment un jeune homme catalogué homosexuel par son entourage se cherche et, au bout du compte, au prix d’humiliations et de souffrances à répétition, se trouve, en tombant amoureux… d’une femme. Au bout du chemin, Guillaume, héros de la pièce et du film, double avoué de l’acteur, après péripéties intimes et séances de psychanalyse, découvre et assume l’évidence de son hétérosexualité tout en comprenant simultanément sa vocation : jouer la comédie. Ce parcours initiatique, cette quête identitaire décalée, prenait sur scène la forme d’un "one man show" tout en nuance, extrêmement drôle et couronné d’une émotion distillée avec justesse. Guillaume Gallienne excellait à y donner vie à tous les personnages sans que la performance tourne à la pure virtuosité. Car le propos était si fort et intelligemment traité, l’intrigue si rondement menée, rebondissant à chaque intervention d’un nouveau personnage, que le spectacle cumulait un double atout : profondeur et légèreté. Il en est tout autrement dans le film, décevant à de nombreux points de vue. Guillaume Gallienne y reprend pourtant les éléments fondamentaux de la pièce, "s’interprète lui-même", -une évidence-, incarne sa mère également, - démarche on ne peut plus cohérente aussi-, et distribue d’autres acteurs (et pas des moindres, André Marcon, Diane Kruger, François Fabian, Reda Kateb…) pour le reste des personnages. Or, ce qui fonctionnait parfaitement dans le spectacle se prend les pieds dans le tapis sur grand écran. Guillaume Gallienne en fait très souvent trop. Irrésistible et attachant sur scène, il devient envahissant à l’écran. Quant aux autres personnages, ils manquent tous cruellement de consistance et ne parviennent à exister dans ce qui ne passe pas le cap de la comédie scolaire et appliquée, trop propre pour être vraie, trop stylisée pour émouvoir, trop naïve pour troubler, trop théâtrale aussi. Et c’est là le comble. Les Garçons et Guillaume, à table ! résiste à l’adaptation cinématographique. Le film respire les bonnes intentions c’est certain. On y sent un souci esthétique authentique, une volonté de bien faire. Mais l’ensemble manque cruellement de finesse et de souffle et ne parvient pas à transcrire la subtilité du spectacle. Paradoxalement, le film peine à exprimer vie et vérité, il s’arrête au stade artificiel des codes de la comédie bourgeoise made in France et n’apporte aucun supplément d’âme à la pièce. Dommage. Par Marie Plantin
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- Les Garçons et Guillaume, à table : du théâtre au cinéma, histoire d'une mutation
Les Garçons et Guillaume, à table : du théâtre au cinéma, histoire d'une mutation
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