Ce qu’il faut voir cette semaine
L’ÉVÉNEMENT
ADOLESCENTES ★★★★☆
De Sébastien Lifshitz
L’essentiel
Le cinéaste Sébastien Lifshitz a filmé pendant cinq ans le quotidien de deux adolescentes. Un formidable documentaire.
En fin d’année dernière, le cinéaste Sébastien Lifshitz exposait au Centre Pompidou à Paris son imposante collection de photographies dites vernaculaires, nom barbare pour désigner les clichés non artistiques : photos de famille, publicitaires, scientifiques... Le cinéaste qui écume depuis son plus jeune âge les marchés aux puces à la recherche de cette production a priori jetable donc « impure » et « déconsidérée », nous avait alors dit ceci : « Il y a une mémoire derrière chacune de ces images. Elles délivrent une vérité documentaire incomparable. Toutes ces petites choses a priori insignifiantes sont essentielles à la compréhension du monde. » Les premières images d’Adolescentes sont justement une succession des photos jaunies de deux enfants que l’on devine être les deux héroïnes de ce nouveau documentaire de l’auteur des Invisibles.
Thomas Baurez
PREMIÈRE A ADORÉ
YUKI, LE SECRET DE LA MONTAGNE MAGIQUE ★★★★☆
De Tadashi Imai
Tadashi Imai (1912-1991) ne figure curieusement pas parmi les cinéastes cités dans l’essentiel Dictionnaire du cinéma japonais en 101 cinéastes. Il ne semble pas non plus que ses films aient été distribués en France. À l’exception de projections lors de cycles à la Cinémathèque, où l’on a pu voir par exemple le film noir Ombres en plein jour (1956), Kiku et Osamu (1959) sur le destin des métis nés de Japonaises et de soldats afro-américains après la capitulation – un sujet rarement traité à l’écran –, et enfin le film de samouraïs Contes cruels du bushido (1963) écrit par le scénariste de Kenji Mizoguchi, qui lui valut l’Ours d’or à Berlin. Pas de quoi crier au complot ou au cinéaste maudit, non, on dirait juste que, pour le moment, le réalisateur fait partie de la portion congrue de celles et ceux de l’histoire du 7e art qui sont passés, par fatalité, sous le radar. Donc, Yuki, le secret de la montagne magique, qui sort dans les salles françaises dans une version restaurée, servira de facto d’introduction à son œuvre, et ce, bien qu’il s’agisse de l’unique film d’animation de sa carrière.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE A AIMÉ
LES JOUEUSES #PASLÀPOURDANSER ★★★☆☆
De Stéphanie Gillard
On a découvert Stéphanie Gillard en 2018 avec The Ride, un passionnant documentaire sur le peuple sioux des grandes plaines du Dakota. La voici de retour au milieu d’une autre tribu. La meilleure équipe de foot féminine de France et d’Europe : l’Olympique lyonnais. Car, alors que son homologue masculin court en vain après un trophée européen, l’équipe de Wendy Renard fait parler la poudre et les chiffres : 6 victoires en 8 finales de Ligue des champions (MAJ, elle vient de remporter sa septième) ! Stéphanie Gillard explore en mode Les Yeux dans les Bleus les coulisses de cet art de la gagne en promenant sa caméra des entraînements aux vestiaires, de la cantine aux matchs…
Thierry Cheze
ROCKS ★★★☆☆
De Sarah Gavron
Après les deux longs Rendez-vous à Brick Lane et Les Suffragettes, Sarah Gavron poursuit avec bonheur dans la voie d’un cinéma sociétal qui fait la part belle aux personnages féminins complexes. Rocks est une ado noire britannique de 15 ans dont la mère, un beau jour, disparaît. Pour échapper aux services sociaux qui la sépareraient de son petit frère, elle tente d’élaborer une stratégie dont l’issue paraît inéluctable. Mais le talent de Gavron est justement de ne jamais succomber à la noirceur facile. Bien qu’inscrite dans une réalité sociale rude, elle entraîne toujours son récit vers la lumière. Elle épouse l’énergie tranchante de son héroïne (géniale Bukky Bakray) et de sa bande de copines au point que cette fiction a plus souvent qu’à son tour des allures de documentaire. C’est ce qui la rend aussi juste et attachante. Jusqu’à sa conclusion, d’une grande finesse.
Thierry Cheze
CYRIL CONTRE GOLIATH ★★★☆☆
De Thomas Bornot et Cyril Montana
Il y a vingt ans, Pierre Cardin s’est pris de passion pour Lacoste, dans le Luberon. Il achète d’abord le château du marquis de Sade pour le rénover, puis des dizaines de maisons qu’il réaménage pour les laisser vides. Enfant de ce village monté à Paris, Cyril Montana a décidé de lutter contre cette collectionnite aiguë qui fait crever à petit feu Lacoste en oubliant que l’endroit a été bien avant Cardin (qui le voit comme « Ploucland ») un haut lieu de culture (des artistes venus du monde entier y ont vécu). Dans ce type de récit à la Don Quichotte (le pot de terre contre le pot de fer), les docus tombent souvent dans le piège du manichéisme : le grand méchant loup contre les trop gentils agneaux. La réussite de Cyril contre Goliath tient dans son parfait équilibre entre son discours engagé et une bonne dose d’autodérision dans la relation de Montana à cet engagement. On ne le savoure que plus goulûment.
Thierry Cheze
À MA PLACE ★★★☆☆
De Jeanne Dressen
Que reste-t-il des espoirs suscités par les manifestations Nuit debout nées dans la foulée de l’instauration de la loi Travail en mars 2016 ? La documentariste Jeanne Dressen ne se pose pas la question en ces termes, mais dresse le portrait d’une femme en lutte, Savannah, investie corps et âme dans ces rassemblements où elle invite les gens à s’exprimer. Savannah, issue d’un milieu populaire, est jeune, pleine d’énergie, mais des examens qui pourraient conditionner son avenir l’obligent à faire un choix : rester Debout ou assise face à ses livres. « Tu seras peut-être plus utile demain, si tu parviens, grâce à tes études, à changer les choses de l’intérieur », dit en substance un ami à cette future pensionnaire de l’École normale supérieur. L’avenir lui appartient donc. Sous son apparente simplicité, À ma place parvient à saisir les dilemmes d’une héroïne des temps modernes.
Thomas Baurez
LE FANTÔME DE LAURENT TERZIEFF ★★★☆☆
De Jacques Richard
Qu’il est bon d’entendre la voix (si belle voix !) de Laurent Terzieff parler de son métier, de sa vie, des acteurs et des auteurs. Le principal attrait de ce documentaire complet est qu’il laisse la parole au comédien et metteur en scène décédé en 2010, grâce à un excellent travail de recherche d’archives. Les nombreux témoignages de proches (acteurs qu’il a dirigés, auteurs qu’il a mis en scène...) viennent habilement compléter ce portrait complexe d’une figure artistique majeure du XXe siècle. Sa filmographie, qui va de Marcel Carné (Les Tricheurs) à Claude Berri (Germinal) en passant par Rossellini, Pasolini et Buñuel, est richement commentée. C’est ainsi que Jean-Luc Godard théorisera une morale du travelling contre un de ses films (Kapò de Gillo Pontecorvo). Terzieff en livre ici l’explication. Passionnant.
Sophie Benamon
SOLE ★★★☆☆
De Carlo Sironi
Pour son premier long métrage, Carlo Sironi propose une plongée dans l’Europe des laissés-pour-compte de la mondialisation. À 22 ans, Ermanno gagne sa vie avec divers trafics. Mais son oncle lui propose un tout autre type de petit boulot : veiller sur Lena, une Polonaise qu’il a fait venir accoucher en Italie, car elle porte l’enfant qu’il doit adopter avec son épouse. Là, le film se métamorphose. La chronique sociale se mue en réflexion subtile sur la parentalité. Car quand le bébé naît, il va peu à peu devenir indispensable au quotidien d’Ermanno et de Lena, pourtant condamnés à ne pas pouvoir le garder. Pour la première fois, tous deux ont trouvé leur place dans ce monde hostile et envisagent un avenir heureux qui semblait jusqu’alors inaccessible. L’espoir est infime, mais Sironi le filme avec une empathie qui éloigne Sole de toute tentation du glauque dépressif.
Thierry Cheze
LES NOUVELLES AVENTURES DE RITA ET MACHIN ★★★☆☆
De Pon Kozutsumi et Jun Takagi
Un an et demi après une première compilation de courts métrages, revoici la petite Rita et son chien Machin, ces personnages créés par des Français en BD et adaptés par des Japonais en série d’animation. Si vous ne connaissez pas, c’est l’occasion de vous plonger avec vos enfants dans leurs aventures pleines de fantaisie, au trait délicat et à l’animation stylée.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
LA DARONNE ★★☆☆☆
De Jean-Paul Salomé
Attention, il y a une légère tromperie sur la marchandise : la bande-annonce de La Daronne fait mine de nous vendre une comédie décontractée à la Romain Gavras, façon Le Monde est à toi, avec Isabelle Huppert en dealeuse de shit toisant des cailleras en survêt et tout un tas de répliques formatées pour devenir cultes (« La galérance, elle est finie ! »). De loin, le film ressemble ainsi à un nouveau spécimen de cette « Zazasploitation » qui fait fureur depuis le Elle de Paul Verhoeven.
Frédéric Foubert
UN SOUPÇON D’AMOUR ★★☆☆☆
De Paul Vecchiali
À 90 ans, Paul Vecchiali fait partie des cinéastes inclassables du cinéma français. Qu’il révèle nos abîmes, dénonce nos faiblesses ou explore les relations amoureuses, le réalisateur s’attache à varier les styles. Avec Un soupçon d’amour, il brouille encore les pistes. Retrouvant son interprète de Rosa la rose, fille publique Marianne Basler, il dresse le portrait d’une comédienne qui, lassée par son métier et son mari qui la trompe, va prendre du champ à la campagne avec son jeune fils. Entre fantaisie et vaudeville, l’intrigue laisse un peu dubitatif. Mais comme dans Le Café des jules, où les délires de piliers de bar laissaient peu augurer de la direction du film, Paul Vecchiali nous emmène subrepticement dans un autre registre. L’apparent badinage va révéler un drame plus profond où il est question de résilience.
Sophie Benamon
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
REMEMBER ME ★☆☆☆☆
De Martín Rosete
Dans Les Plus Belles Années d’une vie, Claude Lelouch orchestrait les retrouvailles entre Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée, lui ailleurs, dans son monde, elle terrienne et solaire, déterminée à lui faire recoller les fragments épars de leur mémoire commune. Martín Rosete reprend le même principe en l’inversant : Bruce Dern « s’infiltre » dans une maison de repos spécialisée où séjourne Caroline Sihol, son amour de jeunesse atteinte d’Alzheimer qu’il va tenter de ramener à la lumière. Lelouch jouait la carte du tendre et de l’émotion grâce à un habile montage d’archives et à sa caméra virevoltante. Martín Rosete ne possède hélas ni son talent de conteur ni sa virtuosité. Remember me, d’une platitude exemplaire, témoigne de la différence entre un cinéaste d’exception et un faiseur anonyme.
Christophe Narbonne
Et aussi...
Antebellum, de Gerard Bush et Christopher Renz
Le bonheur des uns, de Daniel Cohen
Sublimation, de Johan Casinie et Emily Lombi
Sur la route de Compostelle, de Fergus Grady et Noel Smyth
Reprises
Le Corbeau et un drôle de Moineau, de Collectif
Outrage, d’Ida Lupino
Rétrospective Jean-Daniel Pollet
Rétrospective Mikio Naruse
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