Tous les jours, le point à chaud en direct du 78e festival de Cannes.
Le film du jour : Jeunes mères de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Ils n’ont pas pu ne pas y penser en montant les marches il y a une poignée d’heures. Voilà 26 ans, presque jour pour jour, un vendredi après-midi veille de palmarès comme aujourd’hui, les frères Dardenne montaient les marches cannoises pour leur tout premier film présenté en compétition, Rosetta. Le lendemain, ils décrochaient leur première Palme d’or doublée du prix d’interprétation couronnant la regrettée Emilie Dequenne. Est-ce un signe du destin pour les Dardenne et l’obtention de ce qui serait leur troisième Palme, ce qu’aucun cinéaste n’a réussi jusque là ?
Plus que quelques heures de patience pour savoir… Et ce serait tout sauf un scandale. Car Jeunes mères, leur tout premier film choral, se révèle une de leurs oeuvres les plus bouleversantes. Les deux frères y fendent l’armure comme jamais tout en entraînant leurs héroïnes (cinq ados hébergées dans une maison maternelle, lieu d’accueil en Belgique pour jeunes femmes enceintes ou mamans d’enfants en bas âge, en détresse sociale) vers la lumière, en dépit de tous les obstacles rencontrés sur leurs routes. Et ce alors que leurs précédents longs plongeaient dans une noirceur insondable. Le tout sans rien trahir de leurs fondamentaux : une mise en scène maîtrisée reconnaissable au premier plan et un sens inouï du casting et de la direction d’acteurs.
A défaut de Palme, les cinq jeunes femmes qui trouvent leur premier grand rôle au cinéma devant leur caméra - Lucie Laruelle, Babette Verbeek, Janaina Halloy Fokan, Elsa Houben et Saimi Hilmi - feraient un très beau prix d’interprétation féminine collective.
La vidéo du jour : Martin Bourboulon et Roschdy Zem pour 13 jours 13 nuits
Avant la Séance de Minuit (on en reparle plus bas), le 78e Festival de Cannes a livré son dernier temps fort avec la projection de 13 jours 13 nuits, hors compétition. On a pu parler avec son réalisateur, Martin Bourboulon, qui après Les Trois Mousquetaires raconte l'évacuation de l'ambassade de la France pendant la chute de Kaboul, et Roschdy Zem, qui incarne le personnage principal. Un sujet fort qui tranche avec l'ambiance strass et paillettes de la Croisette. "C'est tout le paradox cannois, le plus bel exemple c'est de présenter un film iranien comme celui de Jafar Panahi, tout en sachant qu'il risque encore la prison pour avoir fait ce film", rappelle l'acteur.
La musique du jour: Le jazz de The Mastermind de Kelly Reichardt
La petite musique du cinéma de l’américaine Kelly Reichardt s’est faite entendre dans le dernier carré du Festival. Objet minimaliste posé en compétition entre le magnum opus étouffant de Bi Gan et un Dardenne au carré, difficile de lutter. Pans fixes, couleurs automnales et un démarrage en trombe sur le ton de la comédie très assumée. On attendait pas forcément de la part de la réalisatrice de First Cow ou Showing Up, cette Coen’s touch.
The Mastermind se situe dans l’Amérique du début des seventies alors que la Guerre du Vietnam commence à réveiller les consciences. A Framingham, paisible ville du Massachusetts, James (Josh O’Connor) organise le vol de quatre peintures abstraites du musée d’art moderne local. Aidé de deux pieds nickelés, leur entreprise vire assez vite à la catastrophe. James, marié, père de deux enfants et fils d’un juge, décide de partir en cavale dans un pays étrangement atone face aux coups de boutoir de sa propre Histoire. Le héros, jeune homme sans qualité, ne parvient pas à se défaire de sa loose.
Le film surprend aussi par sa musique. Les fulgurances de la trompette du jazzman Rob Mazurek - là où d’autres auraient plutôt opté pour du rock ou du folk - créent une rythmique endiablée. L’énergie lumineuse de la bande son apporte une forme de distanciation avec ce qui est filmé. The Mastermind se replie peu à peu sur lui-même avant de nous laisser sur un final chaplinesque. Pas mal !
La blague du jour : Résurrection de Bi Gan
Le nouveau film de l’auteur du Grand voyage vers la nuit n’avait pas vocation à priori à faire dans la gaudriole. Résurrection de Bi Gan, présenté en compétition, se veut un film-monde de 2h40, rêve éveillé qui aurait pour moteur rien de moins que la mémoire du cinéma. Ça commence d’ailleurs très bien avec un hommage au cinéma des origines articulé comme une transe poétique assez fascinante. Le problème c’est que les deux heures restantes sont de trop.
Il n’empêche, un bambin tout mignon a posé tel un Sphinx cette énigme à l’un des héros du film: “Qu’est-ce qu’on perd et qu’on ne retrouve jamais?” Le spectateur a forcément cherché lui-aussi de son côté une réponse satisfaisante. “Le temps, peut-être?” s’est-on dit, nous qui avions justement la sensation de le perdre devant cette fresque pas franchement emballante. Que nenni. “Qu’est-ce qu’on perd et qu’on ne retrouve jamais ?” Réponse du gamin: “Un pet !” Et si Résurrection s’était finalement appelé Flatulences, le sort du film - et donc du cinéma - en aurait-il été changé?
La provoc du jour : Ethan Coen dans Honey Don’t
Présenté en séance de minuit, Honey Don't! est le deuxième volet de ce qu'Ethan Coen et Tricia Cooke appellent leur "trilogie lesbienne". L'histoire suit une détective privée (Margaret Qualley, irrésistible) dans une enquête qui la mène des bars louches à une secte religieuse dirigée par un prédicateur fou (Chris Evans). Mais contrairement aux classiques du genre, le film mise sur une esthétique ensoleillée, flirtant parfois avec le trash et le rétro. On oscille donc entre hommage au genre et dérive… camp ?
“On a fait ce film pour s’amuser. Pour jouer avec les codes du polar, mais en l’infusant d’un sous-texte lesbien qui nous permettait de provoquer un peu la morale et les réacs. Camp ? Vous trouvez le film camp ? Hmmm…. j’ai un rapport compliqué avec ça. On est tous les deux fans et ami de John Waters. Et ses films sont vraiment… atypiques. Mais autant j'aime son cinéma, autant je dois dire que je déteste le camp. Et de fait, ce n’était certainement pas notre ambition. On ne voulait ni faire un film camp, ni faire un film à la John Waters.
On voulait que ça ressemble à un vrai drame avec de vrais enjeux. Or, il n'y a pas de vrais enjeux dans les films de John. Si il y a du camp dans Honey Don’t, c'est surtout pour les scènes avec Chris Evans je suppose. Tout le côté Trumpien du film, tout ce qui a trait à la religion, au sexe est effectivement outrancier. Mais pour moi c'est plus de l'absurde, quelque chose de tellement extrême que ça finit par ne plus être 'réel' et c'est ça qui est amusant. De toute façon, le camp, pour moi, c’est Divine. Et vous avouerez que Chris Evans n'est pas très Divine.”
Le monument du jour : Barry Lyndon de Stanley Kubrick en copie restaurée
50 ans tout rond. Le monument de Stanley Kubrick était projeté dans la grande salle Debussy en copie 4K en guise de dessert cannois (clôture de la section CannesClassics). Salle comble, grand écran et … Marisa Berenson, la Lady Lyndon en chair et en os sur l’estrade. “Un an et demi de travail pour arriver au bout de ce classique instantané”, a-t-elle rappelé. Barry Lyndon est une “Sarabande” autour de l’itinéraire rocambolesque et désespéré d’un parvenu (Ryan O’Neil) dans l’Europe du XVIIIe.
Alors ? Après 3h07 de projection, la puissance picturale de cet objet qui opère par tableaux vivants successifs, sans ne jamais rien figer, a filé des vertiges et des frissons. On s’est repris en pleine gueule les zooms arrières qui engloutissent, ou au contraire renforcent, le héros dans le décor ; les bougies qui sculptent l’image ; cet enfant alité qui dans un dernier souffle demande à ses parents d’essayer de s’aimer et enfin cette musique qui rythme le drame de l’intérieur. 50 ans. Grand, élégant et beau jeune homme.
Aujourd'hui à Cannes
Cannes 2025, c'est presque fini. Les derniers films de la sélection officielle ont été projetés vendredi, mais les festivaliers peuvent profiter des traditionnels rattrapage du samedi, en attendant la cérémonie de cloture qui sera diffusée à partir de 18h40 en direct et en clair sur France 2. On va découvrir le palmarès que nous a concocté le jury présidé par Juliette Binoche. Qui décrochera la Palme d'or et les autres prix ? Réponse dans quelques heures...







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