Livre Gérard Oury
Editions de La Martinière

Entretien avec le journaliste Jean-Pierre Lavoignat qui signe avec Danièle Thompson un livre sur la vie aventureuse de Gérard Oury, cinéaste que l’on aurait tort de limiter à ses seuls succès : La grande Vadrouille ou Les aventures de Rabbi Jacob.

Pourquoi un livre sur Gérard Oury aujourd’hui ?

Jean-Pierre Lavoignat: C’est une idée d’Isabelle Dartois, la responsable éditoriale des éditions de la Martinière. Cette année Gérard Oury aurait eu 100 ans, elle a pensé que c'était une bonne raison de lui rendre hommage et a logiquement proposé à Danièle Thompson d’écrire un livre sur son père. Si Danièle, qui a co-écrit la plupart de ses plus grands succès, était enchantée, elle n’avait pas le temps de s’y consacrer pleinement. Mon rôle a été de lui faire raconter l'histoire de son père et bien-sûr les souvenirs de leur collaboration. Nos rencontres se sont étalées sur une quinzaine de jours environ, à raison de deux heures de conversation à chaque fois.  L’idée était bien-sûr de ne pas se limiter à la période glorieuse des succès : Le Corniaud, La Grande VadrouilleLa folie des grandeurs ou encore Les aventures de Rabbi Jacob, mais de tout explorer.

Parmi les choses intimes et inédites, il y a cette révélation au sujet du "vrai" père de Gérard Oury…

Avant de commencer mes entretiens avec Danièle, je me suis replongé dans les mémoires de Gérard Oury écrites à la fin des années 80 [Mémoires d’éléphant, ed. Olivier Orban] Et je tombe sur ce curieux passage où le cinéaste évoque la mort de son père. Il écrit : 'cet homme que j’ai appelé papa toute ma vie…" Je trouvais cette formule bizarre. Je me suis tout de suite tourné vers Danièle pour lui demander des explications. "Bon, le moment est venu, je vais tout raconter !" Elle me parle alors d'un certain José Luis Sànchez Besa de Avila, un jeune entrepreneur féru d’aviation, issu d’une très grande famille chilienne. L'homme en question a tué l'amant de sa propre maîtresse. Sa riche famille l'a exfiltré en France. Nous sommes au début du 20e siècle. L'homme refait donc sa vie en France où il fonde une compagnie d'aviation. Il devient l’amant de Marcelle, la future mère de Gérard, qui tombe enceinte. Or Marcelle est déjà mariée. Pour éviter le scandale, on ne dit rien. Le mari de Marcelle, Serge Tenenbaum, accepte cet enfant adultérin. Gérard Oury apprendra le secret de sa naissance vers l'âge de 10 ans mais refusera toujours d’en parler ouvertement et même intimement. Ce secret de naissance donne un éclairage romanesque à cette existence et fait du coup apparaître L’as des as comme un film très personnel.

Puisqu’on évoque L’as des as, il y a dans le livre cette photo de tournage très surprenante où l’on voit Jean-Paul Belmondo et Gérard Oury autour du cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder…

Gérard Oury aimait s’entourer des meilleurs techniciens. Or, une grande partie de L’as des as a été tourné aux studios allemands de la Bavaria. Oury avait engagé le chef opérateur et le chef décorateur des films de Fassbinder. Le cinéaste allemand est donc venu aux studios pour une petite visite. Cette rencontre entre deux mondes du cinéma à priori opposés, est étonnante et traduit pourtant l’esprit d’Oury. Il était très curieux des êtres. Il pouvait ainsi être l’ami de personnalités ouvertement communistes comme  Montand, Signoret ou Semprun tout en étant très proche de Malraux et du gaullisme, à un moment où il fallait forcément trancher.  

Oury est dans l’esprit du public un réalisateur extrêmement populaire mais reste méprisé par la critique de cinéma. Le livre participe-t-il à un désir de réhabilitation ?

Non, même si je suis content qu’Arnaud Desplechin dont j’ai appris en préparant le livre qu’il aimait beaucoup les films de Gérard Oury, accepte de témoigner. Il souligne notamment la grande qualité technique de la mise en scène, le sens du montage, cette capacité à ne jamais dénigrer les personnages, d’en rire sans cruauté... J’adore  sa formule : "On reconnait tout de suite une hauteur de vue. Une hauteur d’âme plutôt." A l’époque où Gérard Oury signait ses succès, la critique institutionnelle était assez méprisante voire indifférente à son travail. Ça valait pour la comédie de manière générale. Au moment où il signe Le corniaud au début des années 60, la comédie française se limitait à des films en noir et blanc tournés en une semaine. J'exagère à peine.

Il y a aussi la polémique autour de la sortie de L’as des as en 1982. Le film est alors accusé de faire de l’ombre à Une chambre en ville de Jacques Demy, une pétition est même lancée…

… signée : la critique française. Ce à quoi, Gérard Lefort, refusant de la parapher, écrira dans Libération : "Je ne suis ni critique, ni français !" Cette pétition était absurde. C’est vrai qu’à l’époque, le système Belmondo tournait à plein, c’était un rouleau compresseur. Pour autant, Une chambre en ville a été soutenu par l’ensemble de  la critique. C’est dire, les limites de la presse. Il est curieux de noter que la Cinémathèque Française s’apprête bientôt à célébrer Louis de Funès. Or, malgré tout son génie d’acteur, sans Oury, de Funès n’aurait pas le même statut aujourd’hui!

La fin de carrière de Gérard Oury n’est pas glorieuse, du moins sur le plan artistique. Vous n’y consacrez d’ailleurs qu’un petit chapitre, baptisé sobrement: « Les derniers films »

Tout simplement parce que Danièle n’a pas, contrairement aux autres, co-écrit les scénarios des films en question (La soif de l'or, Fantôme avec chauffeur, Le Schpountz). Elle avait donc peu de choses à en dire. Tout le monde reconnait d’ailleurs qu'ils ne sont pas très bons. J’aime toutefois ce que dit Danièle à propos du Schpountz : "Dès le début j’ai senti que c’était un mauvais projet mais comme il était déjà en mauvaise santé et que faire des films était toute sa vie, on ne pouvait pas l'arrêter…"

On oublie aussi la dimension politique de ses films ?

La guerre du Kippour éclate une semaine avant la sortie de Rabbi Jacob. La production se demande s’il faut sortir le film. Danièle raconte que lors des projections, les applaudissements qui accompagnaient la poignée de main de Slimane et Salomon, ont été un grand soulagement. Le pari était réussi. Si Oury ne voulait pas faire des films à message, il y avait un fort désir de réconcilier les communautés. La dimension politique se retrouve à différents niveaux, prenez La folie des grandeurs, c’est quand même une adaptation de Ruy Blas, un drame très noir de Victor Hugo. Oury en fait une comédie où il tacle au passage le pouvoir des grandes puissances. Il aimait partir de choses à priori sombres pour faire rire.  Qui se souvient par exemple que Vanille Fraise a pour point de départ l’affaire du Rainbow Warrior ou que Le corniaud s’inspire de l’histoire d’un journaliste français incarcéré aux Etats-Unis pour trafic de drogue ?

Que représentait ce cinéaste quand vous avez débuté votre carrière de journaliste ?

La première fois que je suis allé au cinéma tout seul, c'était pour voir Le Corniaud. J'avais donc un rapport très affectif avec son oeuvre et notamment tous ses succès découverts durant ma jeunesse qui m'avaient fait hurler de rire. Malheureusement, quand je suis devenu journaliste, cela n’a pas vraiment coïncidé avec la meilleure période de sa carrière.

L'avez-vous déjà rencontré ?

Ça devait être en 85 ou 86, lors d’un voyage organisé par Unifrance en Inde. Une délégation de professionnels était censée présenter des films français. Il y avait Miou Miou, Gérard Oury et quelques journalistes. Sur place, il n’y avait pas grand-chose à faire sinon marcher dans les rues de Bombay.  Du coup, j’ai passé beaucoup de temps avec lui. C’était un conteur extraordinaire, sans langue de bois. J’ai passé une semaine à l’écouter et le faire parler. Et puis, j'ai co-signé avec son petit-fils Christopher (Thompson), un portrait intime de lui, Il est poli d'être gai en 2001.

 

A lire : Gérard Oury, mon père, l’as des as par Danièle Thompson, avec Jean-Pierre Lavoignat. (Editions de La Martinière)

A voir : Les aventures de Rabbi Jacob, dans une version restaurée 4K à partir du 10 juillet. Carlotta Distribution

Les Aventures de Rabbi Jacob en version restaurée 4K au cinéma en juillet