Le réalisateur de Macbeth et Assassin’s Creed revient dans son Australie natale et signe une ode flamboyante à Ned Kelly, le Jesse James local.
C’est un double retour aux sources pour Justin Kurzel. Géographique, d’abord, le réalisateur faisant ici son come-back en Australie après un détour par l’Ecosse de Macbeth et la Tolède d’Assassin’s Creed. Thématique, ensuite, puisqu’il livre à nouveau le portrait d’un gang de criminels, neuf ans après Les Crimes de Snowtown, son long-métrage inaugural. Mais Ned Kelly, le chef du gang Kelly, est d’une toute autre envergure que John Bunting, le serial-killer qui terrorisa la bourgade de Snowtown. Kelly est un mythe, le bandit folklorique le plus célébré des Antipodes, l’original gangster austral, une sorte d’équivalent bushranger (comme on dit là-bas pour désigner les hors-la-loi) de Jesse James ou Billy le Kid. Un objet de fascination qui traverse les générations et auquel le cinéma essaie de faire un sort depuis un moment déjà – le tout premier film à lui avoir été consacré date de… 1906. Autant dire la nuit des temps. Mick Jagger l’a incarné (en 1970, devant la caméra de Tony Richardson), puis Heath Ledger (en 2003), sans qu’aucun ne soulève réellement l’enthousiasme des foules.
Justin Kurzel s’en empare et raconte son destin dans une sorte de chanson de geste criminelle, coulée dans le style brutal et irrévérencieux des westerns révisionnistes des années 70. Le titre original (True history of the Kelly Gang) indique la volonté de dire l’"histoire vraie" de Ned Kelly, mais un carton malicieux (et un tantinet précieux) brouille les pistes en désamorçant d’emblée ce postulat : "Rien de ce que vous allez voir n’est vrai." Le film sera raconté par la voix de Kelly lui-même, qui adresse une longue lettre à sa fille, consignant sa propre légende par écrit, comme s’il pressentait que sa part de vérité sera confisquée par les vainqueurs – en l’occurrence, les autorités coloniales anglaises, qui le condamneront à mort en 1880, à l’âge de 25 ans.
Peu importe la vérité historique, dit ici Justin Kurzel, ce qui compte, c’est le mythe, et le sens qu’on veut bien lui donner. Il se place ainsi dans le sillage d’Arthur Penn (Le Gaucher, Bonnie & Clyde, où les bandits eux-mêmes devenaient les chroniqueurs de leurs exploits), et des élégies à la Sam Peckinpah (Pat Garrett et Billy le Kid) ou Andrew Dominik (L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford). Kurzel raconte une quête d’identité qui s’accomplit dans la violence et l’anarchie. Fils d’un Irlandais immigré en Australie et traité comme un chien par les Anglais, Ned Kelly (incarné tour à tour par le petit Orlando Schwerdt et par un George MacKay déchaîné) est croqué en rebelle nationaliste, gamin paumé rendu timbré par l’amour fou qu’il porte à sa mère (et à la mère patrie), dandy sanguinaire et voyou proto-punk, mélange de Johnny Rotten et de Peter Pan, qui attaque les trains avec une bande de brigands travestis – les robes que portaient les membres du gang Kelly étaient censées effrayer leurs adversaires et moquer la virilité d’opérette des colons.
Le film opère selon une lente et savoureuse montée en puissance. On croit d’abord qu’on va se contenter d’une succession de vignettes arides et violentes, une vue en coupe de la vie misérable du lumpenprolétariat dans l’Australie du sud au XIXème siècle, avec enfants affamés, virées au bordel et giclées de sang sur les murs. Charlie Hunnam et Nicholas Hoult personnifient la morgue des soldats british, Russell Crowe débarque pour chanter une comptine ordurière… Ce programme attendu, presque trop sage, est peu à peu torpillé par Kurzel, qui a pensé son film comme un long crescendo psychédélique et retrouve, lors d’un climax stroboscopique, la fureur de son mal-aimé Macbeth. Certains trouveront ça grandiloquent. D’un romantisme adolescent. Mais c’est le poème barbare que méritait Ned Kelly.
Le Gang Kelly, de Justin Kurzel, avec George MacKay, Essie Davis, Nicholas Hoult… En VOD et le 4 décembre en DVD et Blu-ray (Metropolitan)
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