Cannes 2024 Limonov
Wildside

Le cinéaste russe livre le biopic parcellaire d’un écrivain dandy, agent provocateur et addict compulsif. Mais il manque la folie de ses premiers films.

Comme son titre l’indique, cette "ballade" est un récit de la vie de Limonov, tour à tour voyou russe, poète et clochard exilé, majordome new-yorkais, rebelle et icône du milieu branché des 80s… L’auteur russe avait raconté chaque épisode de sa vie turbulente dans des bouquins au romantisme alcoolique et à l’énergie punk, avant qu’Emmanuel Carrère ne s’empare de lui pour en faire le héros d’un de ses romans-concept. Provocateur, bouffon romantique, produit à la mode, écrivain nihiliste : c’était un sujet en or pour Kirill Serebrennikov, grand cinéaste du chaos, de la folie et du débordement soviétique.

On est d’autant plus étonné de voir un résultat aussi lisse, anémié, presque sans vie.

Tout commence à Kharkov, en Ukraine. Le jeune Limonov rimaille et s’ennuie. Il décide alors de partir aux US. Là, il déambule dans les rues de la Grosse Pomme au milieu des ordures, des clochards et des homeless avant de tomber sur Elena (Viktoria Miroshnichenko), mannequin magnifique dont il s’éprend et avec laquelle il va vivre une véritable descente aux enfers (alcoolisme, drogue, violence… tout y passe). Puis viendra le retour en Russie, les romans, la célébrité, la prison…
 

Limonov
Pathé

OK. Mais qu’est-ce que nous raconte le cinéaste ? C’est bien le problème. Pas grand-chose. Etrangement, dès le début, son film paraît engoncé, trop sage, comme si Serebrennikov avait peur de son sujet. Les idées de mise en scène sont rebattues voire carrément usées. Ainsi, pour signifier que Limonov étouffe dans sa vie de poète maudit ukrainien, il écarte les bords du cadre faisant passer le film du 4:3 au 16:9. Pire, le cinéaste de Leto s’offre un tracklisting désespérément convenu ("Russian Dance" de Tom Waits au moins trois fois, "Walk on the Wild Side" de Lou Reed en boucle). Il multiplie les plans-séquence qui tournent à vide ou les effets pyrotechniques bouffis (les dates des époques qui s’inscrivent sur les immeubles).

Il y a bien quelques belles transitions entre les différents chapitres du film, mais il manque le souffle, l’énergie, l’outrance du cinéaste de Petrov. Et surtout le contexte historique qui donnait tout son sens au roman de Carrère. Car Serebrennikov a décidé de se concentrer sur son exil new-yorkais, passant plus que rapidement sur les errements politiques de son héros, chevauchant sur ses années nationalistes et rouge-brunes.  L’intérêt du bouquin de Carrère était de brosser le portrait contrasté d'un homme insaisissable, contradictoire, dont on ne savait s’il était un héros ou simplement une ordure. Serebrennikov n’offre aucun point de vue sur cet aventurier à la manque. Jusqu’à ce carton final qui, avec désinvolture, sans jamais s’en être emparé dans le film, explique ses tentations fascistes.

Ben Whishaw a beau être bluffant (à la fois par son mimétisme, mais aussi par la nuance de son jeu et de ses attitudes), son incarnation révèle un autre problème du film. Tout ici se joue en langue anglaise. Un paradoxe pour ce film en compétition pour la Palme d'or qui voulait vraisemblablement sonder l’âme russe.