Ce premier film réussi, avec Emmanuelle Bercot et Raphaël Quenard, sort cette semaine au cinéma. Rencontre avec son réalisateur inspiré.
Ce qui frappe dans Les Trois fantastiques, au-delà du jeu saisissant des jeunes comédiens (Diego Murgia, Jean Devie et Benjamin Tellier, trois ados talentueux castés à la sortie d'un cinéma), c'est l'aisance avec laquelle le scénariste et réalisateur Michaël Dichter a su mélanger les genres tout en retombant toujours sur ses pattes.
Il y a un air des Goonies dans cette histoire estivale, puisqu'on suit ces trois copains, souvent à vélo, profitant d'un dernier été tous ensemble avant le déménagement de l'un d'eux. Il y a aussi du Stand By Me, pour l'aspect nostalgique et plus sérieux qu'il n'y paraît. Sans oublier du drame, du thriller, même, dans les relations tendues entre le jeune héros, Max, sa maman (Emmanuel Bercot), et son frère (Raphaël Quenard), de retour à la maison après un séjour en prison. Sur ce plan, c'est surtout dans le cinéma de James Gray qu'a puisé le jeune réalisateur, qui développe avec ce premier long des réflexions déjà au coeur de Pollux, son court métrage de 2019.
Ce qui frappe en rencontrant Michaël Dichter au festival de Sarlat, en novembre 2023, c'est à quel point cette aisance à mélanger les genres et les influences transparaît dans sa personnalité. Quand il évoque sa passion pour le cinéma, les oeuvres qui ont marqué son adolescence et la manière dont il a conçu ses Trois Fantastiques, peaufinant au maximum son scénario pour qu'il fonctionne sur tous les plans, il s'emballe, lève les doigts pour relier des points en l'air, illustrant sans s'en rendre compte le cheminement de sa pensée. Il livre alors un décryptage captivant de sa première mise en scène pour le grand écran.
Un film sous influences
"Tout ne vient pas du cinéma, mais c'est sûr, j'ai beaucoup puisé dans des films sur l'adolescence, ceux avec lesquels j'ai grandi. Les Goonies et Stand By Me, évidemment. Des films plus récents comme Northwest, de Michael Noer (2013), sur la relation entre un grand frère et son petit frère, sur l'influence que le premier peut avoir sur le second quand le père n'est pas présent. En fait, Les Trois fantastiques, c'est un mélange entre Stranger things, Stand By Me et Little Odessa. Ces trois oeuvres correspondent hyper bien à ce que je souhaitais faire, sur le travail du visuel, de l'image, du son, etc.
Stranger Things, je trouve ça monstrueux, incroyable : toutes ces histoires sur des structures familiales un peu dysfonctionnelles, avec des gros thèmes comme la loyauté, la trahison, et bien sûr l'amitié, ça me parle. James Gray, c'est une énorme source d'inspiration pour moi. Surtout Little Odessa, cette histoire de grand frère qui revient en ville. On sait qu'il arrive avec ses problèmes, et finalement, celui qui est pris dans un engrenage qu'il n'a pas choisi, c'est le petit frère. Logiquement, c'est le grand frère qui devrait payer pour ce qui est en train de se passer... On retrouvait cet esprit-là dans son dernier aussi, Armageddon Time. Pour le coup, je ne m'en suis pas inspiré : quand il est sorti, on avait déjà fini le tournage des Trois fantastiques !"
"Mélanger les genres, c'est un truc que j'ai toujours voulu en faire..."
Rob Reiner : "Stand By Me est le film qui compte le plus pour moi""J'adore surprendre les spectateurs, débuter par ce récit solaire, leur faire croire qu'ils vont suivre une aventure hyper chouette, où il n'y a pas énormément de risque. Parce que c'est comme ça que ça se passe dans vie. Donc on a choisi cette forêt dans les Ardennes, ce côté estival, très sécurisé, où les ados ont une grande liberté... puis, il y a des moments de bascule. C'est un truc que je chéris énormément dès le scénario et sur lequel je m'appuie beaucoup. J'ai réfléchi à cela dès l'écriture parce que je sentais que c'est là que tout allait se jouer, que je trouverais l'équilibre de mon histoire grâce à ces moments de bascule. Au fond, c'est ce qui me passionne : j'aimerais faire tous les genres de films qui existent. J'aime tellement ça."
"J'ai aussi fait attention aussi à l'aspect intemporel de cette histoire."
"C'est vraiment quand la réalité les rattrape qu'on comprend que c'est une histoire d'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, le harcèlement... Mais juste avant cette bascule, ils vivaient presque en autarcie. Et même pour eux, il n'y a pas d'horloge, il n'y a pas de temps dans l'année, on s'en fiche, ce qui compte c'est l'amitié. Montrer que leur monde fonctionne tant qu'ils sont tous les trois. Dès qu'ils ne sont plus ensemble, aïe. C'est ce que je voulais raconter. C'est pour ça le titre : Les Trois Fantastiques. C'est quoi être 'Fantastique' ? C'est quoi être un super-héros ? C'est quoi un super pouvoir, en vrai ? C'est pouvoir compter les uns sur les autres, parce qu'ensemble ils peuvent arriver à tout. Par contre, séparément, ça devient très compliqué et tout s'écroule."
"L'alchimie du trio était cruciale."
"J'ai retravaillé avec Sophie Lainé-Diodovic, qui était déjà la directrice de casting de mon court métrage, Pollux. C'était aussi un film porté par des adolescents, donc on a refait un casting sauvage. on peut aller aux portes d'un collège, dans un skatepark... Cette fois, c'était à la sortie des cinémas, on avait profité de l'attente autour de Spider-Man : No Way Home. Dans ce genre de casting, il n'y a pas de texte à apprendre, parce que ce que tu vas chercher, c'est des natures. Nous, on leur demandait de nous raconter une histoire avec au milieu 'quand tout à coup...' Pas forcément vécue, ils pouvaient inventer ce qu'ils voulaient. L'important, c'était l'énergie qu'ils y mettaient. On peut voir ainsi l'esprit créatif de certains adolescents qui ont envie de te raconter une histoire, on sent monter en eux le désir de te surprendre. Tout ce travail d'improvisation, c'était aussi pour trouver des natures séparées, et qu'en même temps, un groupe de copains se forme. L'idée, c'était qu'à la première image, on se dise tout de suite : 'C'est les meilleurs amis du monde.'
Une fois choisis, ils se sont vus plusieurs semaines avant, régulièrement, pour être sûrs que ce trio allait fonctionner, qu'il n'y en ait pas un qui tire la couverture ou qui soit en concurrence. Ils avaient lu le scénario, ils savaient qu'ils devraient s'épauler, qu'il allait leur arriver des bricoles, et je les avais aussi prévenus qu'un film, c'était un marathon, qu'on est obligés de pouvoir compter les uns sur les autres. Ils avaient une telle facilité à se connecter/se déconnecter de leur personnage qui était assez impressionnante. Tout a été très facile.
Enfin, sauf la post-production, mais ce n'est pas de leur faute. Ils étaient à un âge où on grandit si vite... l'un d'eux est arrivé pour réenregistrer sa voix, mais il avait mué ! Le plus petit des trois a débarqué, il faisait 1m85 ! C'était fou, même eux n'en revenaient pas de se retrouver seulement quelques mois après le tournage et de constater à quel point ils avaient changé."
Des acteurs pros toujours au service du film
"J'ai eu la chance de pouvoir réunir Emmanuelle Bercot et Raphaël Quenard pour jouer les adultes, et ce qui était étonnant, c'est qu'ils n'avaient pas du tout la même approche de leur métier. Elle, elle joue de façon très instinctive. Elle capte tout de suite le truc, elle se plonge à fond dès sa première scène, et sachant que toutes étaient intenses pour son personnage, c'était difficile de lui redemander des prises. Raphaël, il a lui aussi cette même confiance dans le réalisateur, mais il va demander plus d'impros, il va vouloir essayer des trucs.
Ils ne jouent pas les mêmes partitions. C'est à dire que le personnage de Seb, c'est un tchatcheur, il est dans ce truc-là d'essayer de séduire pour pouvoir obtenir des choses de toi. Donc Raphaël avait besoin de tester des approches différentes, il est très force de proposition. Leurs deux façons de travailler sont différentes, mais au final, ils ont su créer une alchimie qui fonctionne vraiment. Pour le personnage de la mère, c'est insupportable de le voir comme ça, elle le connaît par cœur, elle sait que ça risque de déraper. Max, le petit frère, il est en admiration devant lui... Il y a une relation qui se fait naturellement et qui sonne juste, on comprend immédiatement comment est construite cette structure familiale.
Paradoxalement, Emmanuelle et Raphaël avaient la plupart des scènes les plus dures à tourner, mais leurs journées ont été faciles, toujours dans un bon esprit. Déjà parce qu'ils étaient pleinement au service du film, mais aussi parce qu'ils relâchaient la pression en un instant. Le nombre de fois où ils se marraient après les prises... alors qu'ils ne jouaient que des trucs qui sont dramatiques ! Devant la caméra, ça explosait entre leurs personnages, et dès qu'on arrêtait de tourner, Raphaël et Emmanuelle s'entendaient bien, c'était très chouette."
Un film sur les ados... et pour les ados
"Montrer Les Trois Fantastiques au festival de Sarlat (destiné aux lycéens en option cinéma, ndlr) fut une expérience incroyable, car quand tu es adulte, tu te rappelles de ton enfance ou de ton adolescence et tu gardes ce souvenir-là, tu te rappelles précisément de quand t'as vu tel film marquant... Mais quand t'es déjà ado, et que tu vas voir des films où les comédiens ont eux-mêmes quinze ans, il y a tout de suite un rapport très fort, ils se mettent à la place des personnages.
Il y a eu énormément d'empathie pendant cette projection, puis des discussions. Ils ont hué l'un des personnages, il y a un passage qui a été sifflé aussi. Pas contre le film, hein, mais parce qu'ils étaient complètement avec Max, Vivian et Tom. C'est ça au fond le pouvoir du cinéma en salles, c'est quand même pas pareil que de regarder un film sur ton ordi chez toi. Ce sera l'un de mes meilleurs souvenirs autour des Trois Fantastiques, parce qu'à la fin, ils ne parlaient pas d'autre chose : ils ne discutaient entre eux que du film. C'était très fort. C'est quand même très rare aujourd'hui d'avoir une salle pleine d'adolescents. Ou alors pour un Marvel, justement ? En tout cas, leurs réactions étaient extraordinaires.
Les Trois Fantastiques s'adresse avant tout à eux, aux adolescents. A cette période de la vie, on a toujours l'impression que c'est mieux ailleurs, ou que ce sera mieux une fois adulte. On se dit : 'Si j'avais pas grandi ici... imagine si j'étais pas né dans cette ville... Si j'avais eu une autre famille.' 'Imagine', c'est un mot qui revient souvent dans la bouche des ados. 'Imagine si le prof est absent !' (rires) C'est vraiment à un âge précis, après t'as compris que c'était établi, que c'était comme ça, que t'avais pas le choix. Mais quand tu es dedans, tu te dis : 'Je n'ai pas choisi ce collège pourri, je n'ai pas choisi ce grand frère qui me martyrise ou cette soeur qui me tire les cheveux.' Le côté 'super-héros', les allusions au multivers, c'est en partie pour la blague, la référence, mais ça correspond aussi à l'état d'esprit des adolescents, pile quand ils sont en mode 'imagine'.
Sortie estivale
"On a fini le tournage des Trois fantastiques en 2022, le film devait sortir en fin d'année 2023, puis il a été reporté en mai. Ce qui me ravit : c'est plus logique, c'est un film d'été ! Et puis, comme je suis déjà en écriture de la suite, je n'ai aucun problème avec le fait qu'il ne sorte pas immédiatement. Je suis pressé de le montrer, évidemment, mais comme on fait beaucoup de festivals, j'ai les réactions en direct du public, et ça c'est quand même très, très cool. C'est plus facile de patienter quand tu es toujours en mouvement."
Finalement, Les Trois Fantastiques sort en même temps qu'un autre film avec Raphaël Quenard, Le Deuxième acte, de Quentin Dupieux. Celui-ci ouvrant le 77e festival de Cannes, il risque d'éclipser sa sortie aux yeux du public. Pourtant, il serait dommage de passer à côté. Voici sa bande-annonce :
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