Fin de trilogie ou non, Le Dernier pub avant la fin du monde parle de l’impossibilité de tourner la page. Comment dire Adieu à ses plus belles années ?  Faut-il accepter d’être mortel pour devenir adulte ? Le chef d’œuvre terminal des auteurs de Shaun of the Dead.Ils font rire à gorge déployée, contiennent des couches et des couches de comédie à éplucher au gré de visionnages multiples et exultent une British Way of (Geek) Life qui fait beaucoup pour leur capital sympathie. Mais il est indéniable que les films du trio Wright-Pegg-Frost veulent débattre du dilemme de l’homme-enfant avec un certain sérieux, une angoisse palpable dans le ton et la violence de leurs scénarios apocalyptiques. C’est pour rire, mais pas que : on les sent intimement concernés par la question du vieillissement et du renoncement à soi-même, et chaque fois qu’une parcelle d’enfance meurt à l’intérieur de leurs personnages de Peter Pan fans de bière, c’est une putain de tragédie. Leur système de comédie est ainsi fait : propre à se moquer des insuffisances masculines qui accablent le monde moderne, mais toujours prompt à s’en émouvoir.La vie ne pourrait jamais devenir aussi bien que çaDe leur sitcom Spaced à ce Dernier pub avant la fin du monde, en passant par Shaun of the Dead et Hot Fuzz, il est toujours question d’un va-et-vient permanent entre le Devenir Responsable et l’enfance à reconquérir, entre la nécessité de grandir et celle de ne jamais oublier d’où on vient. Le dernier pub est le point d’orgue de ce manifeste de comédie doux-amer, son illustration la plus littérale (la plus angoissante) : à 40 ans passés, Gary King (Simon Pegg) est un enfant qui n’a jamais pris le temps de devenir un homme et est resté le même trouduc aux accents Goth qu’il était l’année de ses 18 ans. Légèrement épaissi, différent ? Non : le même. Exactement. Les mêmes cheveux noirs fillasses, le même manteau long miteux, la même voiture-tank surnommée ‘The Beast’, et la même mix-tape coincée dans l’autoradio avec le même I’m Free des Soup Dragons pour se rappeler qu’il est jeune, beau et immortel. Dans un prologue génial en pseudo-Super 8, Gary raconte en voix off la gloire de sa dernière année de lycée à New Haven, en compagnie de ses « quatre mousquetaires », Andy, Peter, Oliver et Steven. Cette folle nuit itinérante où ils s’étaient lancés dans une tournée épique des douze pubs de leur patelin, sans pouvoir arriver au bout mais heureux d’y avoir survécu… Une nuit d’été magique, qui ne finit jamais, qui ne devrait jamais finir - comme on en a tous connu à cet âge. « La vie ne pourrait jamais devenir aussi bien que ça », continue Gary, que la caméra finit par révéler aujourd’hui, chiffonné, misérable, assis à une réunion des Alcooliques Anonymes. Avant de conclure : « Et devinez quoi ? Elle ne l’a jamais été »… Gary fige ce moment dans la vie d’un homme où il choisit de regarder en arrière parce que l’avenir ne lui réserve plus de mystère autre que la mort. Une manière pour les auteurs de raccrocher les wagons avec les adultes finis (à succès) qu’ils sont devenus (Pegg a 43 ans, Nick Frost 41, Edgar Wright 39). Mais n’allez surtout pas leur parler de Film de la Maturité. Dans ce contexte, franchement, ça n’a aucun sens.Gary King est la plus grande création du trio (et le meilleur rôle de Pegg), une force du passé inextinguible, un tsunami de nostalgie qui contamine même ses anciens camarades, tous réfractaires à l’idée de regarder dans le rétroviseur, tous devenus des adultes respectables (et tous, on le devine, aussi malheureux que lui). Steven (Paddy Considine) est toujours amoureux de Sam (Rosamund Pike), à qui il n’a jamais su se déclarer quand ils étaient gosses ; Peter (Eddie Marsan) n’a jamais digéré être le souffre-douleur du lycée ; Andy (Frost) a vrillé dans sa tête après un fameux incident à base d’alcool survenu à l’époque… Chacun d’eux constitue un petit morceau de Gary, une part de son odyssée inachevée. Lorsque le film, après quarante minutes de comédie « Copains d’abord » de haute volée, bascule dans la science-fiction la plus débridée, ils sont tous prêts pour le grand déluge cathartique. C’est follement rythmé par l’éthylisme galopant des protagonistes, magnifiquement shooté, et les mouvements de caméra véloces d’Edgar Wright trouvent ici des applications nouvelles et inventives.Ce n’est pourtant pas lui faire offense (au contraire ?) de penser que Le Dernier pub est le film du trio qui pourrait le mieux fonctionner sans un gros twist « de genre » posé dessus, particulièrement dans sa dernière ligne droite où Wright, Pegg et Frost s’efforcent un peu trop de faire rentrer au chausse-pied l’idée que la liberté est la propriété exclusive de la jeunesse cool et imbibée, donnant raison à Gary sur presque toute la ligne. Mais leur chef d’œuvre ? Absolument.Benjamin RozovasBande-annonce de Le Dernier pub avant la fin du monde, en salles le 28 août prochain :