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Homme fort du Hollywood 90’s ou victime incomprise des majors ? Auteur culte de petits films pulp ou faiseur de blockbusters explosifs ? Le mystère Shane Black s’épaissit un peu plus avec la sortie de The Nice Guys. Ca tombe bien, on était sur le tournage.   

« Si L’Arme Fatale et 48 heures avaient eu un gosse, et que ce gosse avait perdu sa virginité devant une retransmission télé de Kiss Kiss Bang Bang…». Cette définition parfaitement valide de The Nice Guys ne nous est pas fournie par Shane Black, pourtant célèbre pour ses bons mots et ses formules qui claquent, mais par Ryan Gosling, sur le tournage du film, en Décembre 2014. Nous sommes sur l’immense terrasse de l’hôtel Hilton à Atlanta, en Georgie, et l’ensemble de l’équipe s’agite dans tous les sens pour donner un semblant de décontraction californienne à ce décor frigorifique d’exhibition auto circa 1978 (théâtre de la scène d’action finale). Le thermomètre affiche moins 1 degré. Les figurants sont attifés de chemisettes et de robes légères à pois, les colonnes de CO2 s’échappant de leurs lèvres appelées à disparaître digitalement en post-production. Gosling n’en revient pas d’être là : « Joel Silver, Shane Black… J’ai grandi avec ces mecs-là. Comme tout le monde, j’ai vu et revu les Arme Fatale et Le dernier Samaritain. Joel, pour moi, était le réalisateur colérique dans Roger Rabbit. À l’époque, je croyais que le cinéma, c’était ça : des rôles cool dans des films cool. Pour remonter encore plus loin, The Monster Squad (premier script de Shane Black, en 87, sur des gamins affrontant les monstres classiques d’Universal, ndr) est le premier film dont je me souviens avoir été gaga. Je citais les dialogues à tout bout de champ. Je devais avoir sept ans ». Voilà pour la mise en contexte : le cinéma de Shane Black est presque aussi vieux que Ryan Gosling. Près de trente ans maintenant que cet autodidacte dur à cuire, abrasif, volontiers macho, fan de littérature de gare et de Walter Hill, enchante le cinéma de divertissement US de ses one-liners coup de poing et de ses personnages de losers virils, modelés sur les héros pulp de son enfance (voire sur lui-même). Mais peut-on vraiment parler du « cinéma de Shane Black » quand tous les films qui ont bâti sa renommée portent la signature de réalisateurs chevronnés tels que John McTiernan, Richard Donner ou Tony Scott ? De son propre aveu, sa trajectoire de scénariste-star des années 80-90 était un vaste malentendu, la résultante d’une surenchère vicieuse de l’industrie, qui a voulu voir en lui une machine à photocopier de l’Action (un mot qu’il déteste) plutôt que l’auteur de thrillers stylés et post-modernes qu’il pensait être. Une période d’excès et de renoncement qui le laissera exsangue, écoeuré du métier. Il renie aujourd’hui 70% des films dont son petit cercle de fans lui attribuent le génie (notamment L’arme Fatale 2 et Last Action Hero) et reste virtuellement inconnu du grand public malgré un box office cumulé de plus de 2 milliards $.

Les nombreuses vies de Mr Black

Shane Black a eu plusieurs vies à Hollywood. Après sa longue traversée du désert post-Au Revoir à Jamais, il est revenu une première fois, comme pour réajuster le tir et se redimensionner sur la carte du genre. Et des films qui l’intéressent. Pas bombastiques et bruyants, mais noirs et funky. Pas Monsieur Action ; Monsieur Pulp. Kiss Kiss Bang Bang (2004) est son chef d’œuvre in-situ. Une vision cinglante, morbide, d’Hollywood et de ses valeurs détraquées, produite par le compère de toujours Joel Silver. Un petit film sensationnel que personne, à l’époque, n’a vu (4,5 M $ de recettes au box office US, pour un budget triple). S’ensuit pour Shane une nouvelle période de disette professionnelle pendant laquelle il arrête la boisson et tente de remettre Mel Gibson dans la course avec le thriller d’espionnage The Cold Warrior, refusé par toutes les majors. Soumis à un régime sec de franchises et de super héros, le business du cinéma change alors radicalement de visage, excluant à priori le genre de film « middle-range » qu’il poursuit assidûment. Au chômage technique, Black se retrouve contraint d’enfiler sa casquette de vieux routard du blockbuster à la demande express de Marvel. D’un cynisme carabiné, son Iron Man 3 lui aura au moins permis de jouer le jeu de l’industrie sans se renier. « Honnêtement, à ce moment-là, c’était un Go Picture, un film greenlighté, nous explique le scénariste-réalisateur à deux pas de la piscine du Hilton, toujours aussi mastoc à 54 ans. Et j’avais désespérément besoin de tourner, de payer les traites de ma maison. J’ai aimé réaliser Iron Man 3, mais je serai très heureux de ne faire que des petits films pour le restant de mes jours. En fait, j’aime les petits films qui se révèlent un peu plus gros que ce qu’ils sont en réalité. Je crois que c’est ce qu’on a accompli avec The Nice Guys ».

Pop Fiction

Shane Black, une fois de plus, tente d’échapper à son destin blockbuster. Plutôt que de suivre les 1, 2 milliards $ de recettes d’Iron Man 3 par un film du même tonneau, il replonge direct avec The Nice Guys dans la petite série noire vintage (50-60 M$ de budget, d’après le grand manitou Joel Silver), au bon vouloir de ses deux stars, Russel Crowe et Ryan Gosling, lesquels rêvaient de bosser ensemble. L’existence de ce film dans le paysage actuel a déjà quelque chose d’anachronique. Mais c’est sans compter sur le film lui-même, qui se figure le Los Angeles des années 70 comme une bulle mythologique étanche et intemporelle. Un fantasme paperback mis sous cloche. « J’ai grandi dans les 70’s et je passais mon temps sous un arbre à lire des detective stories achetées avec l’argent de la cantine, poursuit Shane. Il y avait aux Etats-Unis toutes ces séries d’aventures pour mecs, très criardes, décapantes, au rythme dégingandé : Le Destroyer, L’Executionner, Le Butcher, Le Slayer etc… Je les ai tous lus. Certains films de l’époque, comme La Fugue, Klute ou Le Dernier Majeur de Ted Kotcheff, restent iconiques pour moi. Encore aujourd’hui, le look, la sexualité et la dureté des 70’s m’attirent beaucoup. Quand je regarde le moniteur et que je vois mes protagonistes tirer au pistolet, courir, sauter, au milieu de ce décor d’exhibition auto, je me dis, ‘Attends une minute, je connais ça !’. C’est la couverture d’un bouquin que j’ai lu quand j’étais petit : Executionner numéro 19, Detroit Deathwatch ! Il n’y a pas de sensation plus bandante dans ce métier ». Si The Nice Guys fait un tabac à Cannes, et qu’il remporte quelques billets, alors The Nice Guys 2 enverra Gosling et Crowe enquêter dans le L.A des années 80, dans le sillage de Martin Riggs et Roger Murtaugh. « J’aurai bouclé la boucle », soupire Shane, presque embarrassé. Une sensation de déjà vu à laquelle il ferait mieux de s’habituer s’il accepte, comme prévu, de réaliser le reboot/sequel de Predator pour la Fox (il jouait dans le film original, en plus d’en réécrire quelques dialogues). Difficile de déterminer avec précision à quelle époque de cinéma appartient véritablement Shane Black. Autrefois post-moderne, il est devenu old-fashion. Les décennies s’empilent, inlassablement, le paysage change autour de lui, mais sa nostalgie presque désuète de la masculinité trempée reste intacte. Le ciel est bleu, l’eau mouille, les femmes ont des secrets, et Shane Black cache son absence d’amour-propre dans des histoires de détectives mal élevés. Le charme irrésistible du cinéaste en boucle permanente sur lui-même.