‘71 est un film sur le conflit irlandais, mais ça va plus loin que ça non ?Je ne connaissais pas grand chose aux Troubles avant de lire le script. J’ai été élevé en Angleterre. J’ai grandi avec le conflit à la télé. C’était dans mon inconscient, le bruit de fond de mon enfance. C’était là… Je n’avais pas une envie spéciale de m’emparer de ce sujet parce que dans ma tête ça donnait des films hyper pédagogiques, des films à thèse un peu trop lourdauds. Et puis surtout, je pensais que c’était suicidaire de passer après Bloody Sunday ou Hunger. Le monde n’avait pas besoin d’un nouveau film sur le sujet. Mais le script était super. Je savais précisément ce qu’on pouvait en faire et surtout, je voyais qu’au delà de l’Irlande, ça parlait aussi de l’Algérie, de l’Irak, de l’Afghanistan. Ca parle du conflit d’Irlande du nord mais pas seulement. C’est un film d’action, mais pas seulement. Tu évoques Ken Loach et Greengrass… tout ça est à l’image du film : insituable, le cul entre deux chaises…Comme moi qui viens d’une famille mi algérienne mi française et ai grandi à Londres. Tu as raison : ma cinéphilie est comme ça aussi. J’ai regardé Les Guerriers de la nuit des centaine de fois et ma mère me forçait à regarder les Truffaut ou les Ken Loach en VHS… Et quand j’ai lu le scénario je savais qu’il fallait opérer un mélange entre les films de Carpenter et La Bataille d’Alger ou L’Armée des ombres. Ces trucs venaient en même temps dans ma tête. Tu as pensé ‘71 en terme de genre ?Non, j’ai jamais pensé en label. C’est un film de genre, mais qui ne s’est pas construit comme ça. Ca m’angoissait de le penser ainsi. C’est ce que j’ai fait à la télé, mais quand je fais Deadset, c’est le principe : une série de zombie. Ceci dit, c’est la satire qui m’intéresse et pas les zombies, dont je ne suis même pas vraiment fan… En commençant ‘71, j’avais évidemment des modèles (Assaut, Les Guerriers de la nuit), mais ma responsabilité, mon devoir, c’était de respecter le sujet. Je ne pouvais pas prendre des événements aussi graves que les Troubles et les exploiter pour en faire un film de divertissement. Ce qui m’a vraiment inspiré au fond, c’est le cinema d’Audiard. Il réfléchit aux gens, à la manière dont des hommes, des femmes, réels, pourraient vraiment réagir dans une situation qui appartient aux codes d’un genre. Ceci dit, je ne veux pas minorer mon amour pour le film de genre. ‘71 ca n’est pas simplement une course poursuite. Mais quand on fait cette course poursuite, je veux que ce soit la meilleure qu’on ait vue au cinéma.Le truc essentiel du film, c’est le point de vue. C’est marrant parce que quand j’ai compris ça, j’avais le film dans son intégralité. Il y a eu des versions du script où l’on essayait d’expliquer le context, d’être un peu pédagogiques. Mais je savais instinctivement que ce qui devait primer, c’était l’expérience : voir le conflit à travers les yeux du personnage. C’est avec cette idée que j’ai construit le look et la mise en scène du film : le point de vue. C’était comme un jeux video : je devais mettre le spectateur au coeur de l’action, avec Gary Hook, dans ses basques. Qu’il soit aussi perdu que lui. On ne pouvait pas avoir les infos avant le héros, on ne pouvait pas être devant lui. On devait être avec lui… La beauté de Gary, sa force, c’est son innocence. De manière elliptique, il récupère des informations. Et petit à petit il comprend. C’est le concept du film : t’as 18 ans, tu débarques là bas, tu ne sais pas ce qui se passe. Il fallait que j’attrape le spectateur, et que je le balance au coeur du film et des événements.En même temps, le danger c’était l’épuisement. Comment y as-tu échappé ?C’est vrai que la plupart des films d’action “non-stop”, à un moment, ils me gavent. Il y a ce qu’on appelle une “action fatigue”. Comme… The Raid par exemple. J’adore ce qu’a réalisé Gavin, je trouve ça incroyable, mais j’avais besoin d’un rythme différent, avec des moments de suspension et des moments de folie… Dans ce registre, je préfère les films de Beat Takeshi. Hana Bi… Le rythme c’est “Papapapa……………….. Papapapa….. Papa…………….” tu n’es jamais dans la monotonie. Il fallait que le spectateur se souvienne du film en sortant du bus pour rentrer chez lui. Si tu l’as matraqué pendant 1h30, il ne se souvient de rien. Il est juste saoulé... Interview Edouard Sonderborg'71 de Yann Demange avec Jack O'Connell, Paul Anderson, Richard Dormer, sort le 5 novembre dans les salles  Voir aussiGueules cachées : les futures stars du cinéma anglais