- Fluctuat
Jean (Philippe Bas) et Sylvia (Martine Delterme) forment un couple adultère classique, né de la rencontre entre un jeune homme un peu artiste et une femme liée à son riche mari qu'elle n'aime pas. De Paris, les amants s'enfuient à Lima, au Pérou, emportant avec eux un énorme diamant volé à l'époux. Sylvia gage qu'il ne portera pas plainte contre elle.
En décidant de vivre leur passion, Jean et Sylvia s'écartent du simple vaudeville de leur situation. En le faisant d'une façon coupable, qui réclame implicitement, non seulement l'assentiment mais aussi l'aide du mari trompé, ils vouent leur aventure à l'échec. Manuel Poirier, qui élimine du récit tout territoire connu de ses héros en fixant l'action à Lima, met en scène l'odyssée de ce couple lancé sur la continuité mystérieuse, la mer, d'une terre étrangère qui va l'absorber.Le film débute à l'aéroport, au moment du départ de Sylvia. Elle rejoint Jean arrivé en Amérique du Sud quelques jours auparavant. De l'autre côté de l'océan, pour lui il n'y a déjà plus qu'elle, et pour elle il n'y aura bientôt plus que lui. Entre eux, le diamant qu'ils veulent vendre. Autour d'eux, Lima dont ils parlent à peine le langage. La chaude étreinte de leurs retrouvailles est immédiatement suivie d'un étrange égarement de Jean, sorti de la chambre pour acheter des cigarettes. C'est la nuit, en deux plans, il est tout à fait perdu dans la ville. La violence, la rapidité de cette perte font apparaître tout à coup l'extrême dénuement du personnage. Ainsi, à la reconnaissance, de l'autre, de sa chaleur, le film oppose, comme une menace, la privation des repères, le brouillage des codes pour l'étranger. Manuel Poirier, à partir d'une opposition entre la société privée des amants et la société inconnue de Lima où ils sont plongés, cherche à capter un subtil mouvement de glissement, le lent basculement du monde intérieur de ses personnages.On peut envisager Te quiero sous le point de vue de l'utopie, comme un film tendu par le projet de sa mise en forme. Une utopie, un rêve de bonheur associé à l'absence de lieu pour sa réalisation, voilà ce qu'est le voyage de Jean et Sylvia. La force du film est d'arriver à montrer, au delà d'un échec, l'ailleurs, le puissant désir d'ailleurs que suscite l'utopie. Peu à peu Te quiero met en place la forme hallucinée du rêve qu'ont fait les héros de recommencer leur vie. Rêve fou s'il en est d'être, par amour, plus fort que le réel et tout ce qui, dans le réel, nous attache à des lieux, des temps, des contingences données. Rêve que le corps de l'autre puisse être le lieu de l'utopie. Rêve intéressant s'il ne se fait pas hors de l'absence qui travaille au coeur même du corps et de la présence de l'autre. Qui travaille, dans le film de Manuel Poirier, jusqu'à la disparition, l'évanouissement total de Sylvia.Ce point de vue apparaît seul à la mesure du non-sens dans lequel s'enroule la narration. Dans lequel elle trouve une rare qualité de silence, d'attente, cette rare aptitude de l'image au vide (on pense aux architectures désertes d'Antonioni) qui la fait devenir, pour le spectateur, l'espace d'une âpre rêverie ouverte sur l'inconnu.Te quiero
De Manuel Poirier
Avec Philippe Bas, Marine Delterme, Maruschka Detmers
France, 2000, 1h25.
- Lire l'entretien avec Manuel Poirier (mars 2002)
- Lire la chronique du film Les Femmes ou les Enfants d'abord (mars 2002)
Te Quiero