Marc (Benoît Poelvoorde) donne rendez-vous à Paris à Sylvie (Charlotte Gainsbourg), qu’il vient de rencontrer et d’aimer dans une ville de province. Ils se ratent. En la recherchant, Marc tombe sur Sophie (Chiara Mastroianni), la sœur de Sylvie sans connaître leur lien familial. Le triangle amoureux se met en place… Filmé comme un thriller (caméra mobile, lumière en clair-obscur), 3 Cœurs ressemble à du Truffaut, avec ses parts d’indécision, de remords et de fatalité. Benoît Jacquot aurait-il trouvé en Benoît Poelvoorde son Jean-Pierre Léaud ?3 Coeurs se réfère dès le début à Elle et Lui de Leo McCarey. Signaler ainsi la filiation du film était-il le meilleur moyen de s’épargner les comparaisons ?Le classique de McCarey, qu’on cite par commodité, est le plus connu du genre mais je pourrais vous donner une liste assez copieuse de films qui se déploient à partir d’un rendez-vous amoureux manqué. Waterloo Bridge, Back Street, j’en passe et des meilleurs. Même Bresson l’a fait.Mais vous êtes d’accord pour dire que l’âge d’or du cinéma américain vous a, sinon influencé, bercé ?En tout cas, c’est celui qui m’a donné envie de faire du cinéma. Quand vous me dites que mes films sont pétris de références, c’est complètement involontaire de ma part. Je n’y pense absolument pas quand j’écris.Tout de même, dans le dossier de presse de 3 Coeurs, vous citez John Stahl, Leo McCarey…Une fois que le film est fait, il peut m’arriver d’y voir des influences que je constate moi-même ou qu’on me signale.Ça ne précède jamais la conception ?Surtout pas. Si jamais, au moment du processus de fabrication, il y avait une réminiscence de quelque chose qui se présentait, quasiment à l’état de citation, j’arrêterais tout ! J’ai horreur de ça.Sirk, Stahl, McCarey, on pense également à Truffaut… Pourtant, 3 Cœurs est un film de son époque un peu sombre et désenchanté. Peut-on le qualifier de postmoderne ?Alors ça, pour le coup, c’est un mot très intello, qui ne me viendrait pas à l’esprit. Est-ce que La femme d’à côté était postmoderne ? Je ne sais même pas si le mot existait à l’époque.Vous n’aimez pas qu’on réduise les films à des formules C’est obligé. Comment faire autrement ? Après, si vous me demandez mon avis, la plupart du temps, je réponds « ouais, ouais, c’est vrai ». (rires) Sérieusement, les avis journalistiques m’intriguent. Il arrive que ça m’intéresse vraiment beaucoup. Déjà, quand j’étais ado et que je lisais la presse cinéma, j’étais fasciné par les analyses de films.On dit de vous que vous êtes le prototype du « cinéaste français intello ». Ça vous va ?Ce n’est pas à moi de le dire. Les cases sont toujours ennuyeuses. « Cinéaste français », je suis d’accord. « Intello »… Il y a difficilement moins intello que 3 Cœurs.Avez-vous conscience que la perception de votre cinéma a changé depuis Les Adieux à la reine, et que votre public s’est élargi ?Il faudra en parler après la sortie de 3 Cœurs… Avant Les Adieux à la reine, ça m’était arrivé une ou deux fois de susciter une certaine unanimité. Dans ces cas-là, il y a tout un faisceau de circonstances favorables qui se met en place sans qu’on comprenne réellement pourquoi.Quatorze ans après Sade, un homme est le héros d’un de vos films. Pourquoi ce besoin d’en filmer un aujourd’hui ?Ça m’intéressait de filmer un acteur après des années à filmer des actrices. Une envie de changer d’air assez compréhensible, au fond. Mais je me suis vite aperçu que le changement n’était pas si net : les acteurs sont tout autant des actrices que les actrices, et peut-être même plus encore. Il y a chez eux une vulnérabilité, un rapport à leurs névroses dont les actrices font grand cas et dont on pense que les acteurs sont préservés, or c’est faux. Je me suis énormément occupé de Benoît Poelvoorde qui demande une attention constante.Avez-vous imaginé ce personnage en partant de Poelvoorde ou avec lui ?Pour dire la vérité, c’est lui qui m’a inspiré le personnage en en parlant, en le préparant. Au départ, Marc était une abstraction qui tenait à ce type, cette ville, cette situation. Ce n’est que lorsque Benoît m’a donné son accord que tout à coup, ça s’est littéralement mis à s’animer.Y a-t-il néanmoins un peu de Marc en vous ?Il y en a nécessairement mais je ne sais pas jusqu’à quel point, et je ne tiens pas à le savoir. (rires)Il y a en tout cas du Adolphe dans Marc : il aime Sophie moins que Sylvie, mais il est incapable de lui faire du mal.Je serais incapable de dire s’il en aime une plus que l’autre. Il éprouve un sentiment divisé : je crois qu’il aime Sophie d’amour et Sylvie, de passion.Et vous, vous vous placez où en tant qu’homme ?(rire tonitruant) Je vous ferai une réponse très normande : j’aime beaucoup l’alternance des deux mais à l’égard d’une même personne.C’est un film sur la masculinité, donc, mais une masculinité qui se définit par rapport aux femmes.Vous avez absolument raison. En tant qu’homme, je ne peux pas me penser sans les femmes. L’inverse n’est pas vrai. On peut être une femme sans être définie par son rapport aux hommes. J’en ai d’ailleurs fait un film, La fille seule. Pourquoi Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni pour jouer les deux soeurs ?J’avais décidé que mon prochain film se ferait avec Charlotte, si elle le voulait bien. Elle était là avant même que j’aie l’idée de l’histoire. Pour Chiara, le cheminement a été plus long. J’imaginais plutôt une sœur cadette beaucoup plus jeune avec laquelle son aîné entretenait une relation de protection. L’actrice envisagée s’est hélas désistée pour des raisons personnelles quelques semaines avant le tournage. Je me suis remis à en chercher une autre sans démordre de mon idée. Cependant, toutes les actrices que je soumettais à l’approbation de Charlotte et de Catherine (Deneuve, qui joue la mère, ndlr) ne faisaient pas l’affaire. Je sentais chez elles comme une sorte de réticence qui ne se disait pas. À l’approche du tournage, Catherine m’a suggéré très délicatement et maternellement que Chiara serait sûrement contente d’incarner le personnage. Il a alors fallu que je me creuse un peu les méninges pour remettre d’équerre les deux sœurs, dont j’ai fait pratiquement des jumelles, ce qui au final est une très bonne idée. Merci Catherine !Le rôle de Chiara est d’ailleurs pratiquement le plus payant.C’est le plus familier et le plus surprenant. Il correspond à l’ambition du film : provoquer de l’exceptionnel à partir des choses du quotidien.Avec ce film, comme avec Les Adieux à la reine, vous renouvelez votre troupe d’acteurs. Qui allez-vous reprendre ?Je retournerai volontiers avec tous si je fais autant de films que jusqu’à maintenant... Léa Seydoux joue dans celui que je viens de tourner, Le journal d’une femme de chambre, dont j’entame le montage dans une semaine.Que nous verrons peut-être à Cannes ?J’espère éviter la boucherie ! (rires) Je préfère déserter lâchement.Vous ne le présenterez pas ?Si seulement ça ne tenait qu’à moi...Interview Christophe Narbonne3 Coeurs de Benoît Jacquot avec Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg, Chiara Mastroianni et Catherine Deneuve sort aujourd'hui dans les salles
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Benoît Jacquot : "Les acteurs sont tout autant des actrices que les actrices"
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