La sortie d’Un + Une marque le cinquantième anniversaire d’une collaboration ininterrompue entre Claude Lelouch et le compositeur Francis Lai. Celui-ci nous a reçus dans son studio pour évoquer une histoire riche de plus de 35 films.
Un + Une est un peu un hommage à votre travail.
C’est vrai qu’il y a ce petit lien en filigrane avec ce que je fais. Jean joue un compositeur de musique de film et il va en Inde pour rencontrer le metteur en scène qui veut une musique universelle. Claude Lelouch a réalisé un de ses plus beaux films. Pour l’anecdote, il est né d’une rencontre entre Elsa Zylberstein et Jean Dujardin dans l’avion pour New York. Au cours de la conversation, ils ont parlé de Lelouch, et Jean a fait écouter à Elsa la musique d’Un homme qui me plaît en disant, ce serait super si on faisait un film avec lui (Lelouch). Et à leur retour ils l’ont appelé.
Vous vous êtes reconnu dans le personnage de Jean Dujardin ?
Je ne peux pas me comparer à Dujardin. Il est l’acteur des acteurs. C’est vrai que Lelouch utilise la musique comme très peu de réalisateurs l’utilisent. Il fait de la musique un acteur. Dans celui-là encore plus.
Vous composez la musique avant que le film soit tourné. Comment avez-vous adopté cette méthode particulière ?
C’est une de nos spécificités. Ca remonte au tout début, Un homme et une femme. A l’époque j’étais compositeur de chansons, j’avais travaillé avec Piaf, Mouloudji, Gréco, Montand. Mais la musique de film était pour moi une aventure périlleuse parce que je ne savais pas où j’allais. C’est grâce à Pierre Barreau (avec qui j’avais composé une chanson L’amour est bien plus fort que nous) que j’ai rencontré Claude Lelouch qui m’a demandé si ça m’amuserait de faire toute la musique du film. Il m’a raconté toute l’histoire et m’a dit « maintenant, tu vas me la raconter avec des notes ». Comme il voulait des chansons pour remplacer certains dialogues, je me retrouvais un tout petit peu dans mon élément.
Comment les choses ont-elles évolué après Un homme et une femme ?
Un homme et une femme c’était juste un quintet. Je jouais de l’accordéon électronique. On a enregistré tout avec cet instrument et des joueurs de jazz, Nicole Croisille, Maurice Vander au piano, et les pointures qu’il fallait. Ensuite, les choses se sont compliquées. On a fait Vivre pour vivre avec un orchestre symphonique et des arrangements de Christian Gaubert. On est allés dans le délire le plus total puisqu’on avait utilisé quatre pianos à queue ! C’était tout le bonheur du monde pour nous. J’emprunte un titre à Claude pour parler de mon parcours : itinéraire d’un musicien gâté.
Quel est l’intérêt de composer avant ?
Traditionnellement, on appelle toujours le compositeur en dernier quand le film est monté, et vous êtes obligé de faire des séquences de 20, 30 secondes. C’est difficile pour s’exprimer. Alors qu’en composant avant, vous n’êtes pas limité par un minutage précis. Je suis très libre, dans la mesure où Claude donne quand même quelques instructions. Après, c’est à moi de chercher pour ne pas me plagier. Ce que je redoute le plus, c’est de retomber sur des choses que j’ai déjà faites. Alors, je travaille beaucoup, et quand je pense avoir trouvé le thème qui semble convenir au film qu’il m’a raconté, je l’appelle, il écoute, s’il me donne son aval, je continue. Toutes les musiques ont été composées et enregistrées définitivement avant les tournages. Et pendant le tournage, il fait passer les morceaux, et les acteurs entrent dans l’univers musical en sachant que ce sera celui du film. Et la musique modifie leur façon de jouer.
Comment dialoguez-vous avec Lelouch, par exemple pour que la musique ne souligne pas une action ?
Alors là, jamais ! Dès le départ, la musique joue son propre rôle. La plupart du temps, elle est en contrepoint avec l’image. Les images de Lelouch, qui sont très fortes, se suffisent à elles-mêmes. Pas la peine de les souligner. L’intérêt, c’est d’apporter un élément complémentaire. La musique sert à donner des émotions.
Du coup, elle doit influer sur l’image en train d’être enregistrée.
Ca n’influe pas sur la façon de tourner. Elle apporte une atmosphère sur le plateau. Il faut aussi qu’elle plaise aux acteurs. C’est une façon de voir différemment. Mais cette méthode complémentaire nous a souri puisque cette année, on a fêté avec Claude notre 50ème anniversaire de complicité, et on en est à près de 35 films. On se connaît, on s’aime, on aime les mêmes musiques, classique, jazz, symphonique. Le seul point qui nous différencie, c’est que lui est bouillant et hyperactif, alors que j’ai besoin d’être au calme dans mon studio, à la limite de la méditation, pour chercher mes thèmes.
A quel moment savez-vous que vous les avez trouvés ?
Je crois que Debussy a dit que la musique est l’expression de l’inexplicable. On ne peut pas savoir à quel moment on arrive à trouver une phrase musicale qui ne ressemble à rien d’autre. D’un côté, on n’a que douze sons, d’un autre il y a les harmonies, on a quand même une grande palette. Mais c’est très difficile à expliquer. Comment, après toutes ces années, on arrive à trouver quelque chose de nouveau avec si peu d’éléments. Donc ça vient de la recherche personnelle. Chaque compositeur a une signature. C’est là que ça devient intéressant, ça permet des mariages très célèbres : Nino Rota avec Fellini, Legrand avec Demy, Morricone avec Leone. Le plus long, c’est Claude et moi : 50 ans. Toute une vie, hé hé.
Dujardin et Lelouch commentent la filmo du cinéaste
Entre les thèmes simples et ceux qui sont plus orchestrés, vous utilisez une vaste palette. Vous composez au piano ?
Non, je compose avec mon instrument, un clavier-maître, qui commande tous les sons possibles : du piano, du violon, des flûtes, des trompettes, des synthétiseurs, des instruments virtuels. J’ai un orchestre symphonique sous la main en fin de compte. J’aime bien les nouvelles technologies, ça ouvre toujours des portes. On a toujours l’espoir de trouver autre chose. Comme dit Claude, « le précédent, c’est le brouillon de celui qu’on va faire ».
Dans Edith et Marcel, vous utilisez des cordes. Est-ce par allusion aux cordes du ring ?
Ah ! C’est drôle, je n’y aurais jamais pensé ! Mais pas du tout, c’est pour donner une rythmique très violente. Parce que la boxe est comme ça, j’ai vu quelques combats, c’est violent ! Mais cette violence se mélange à l’histoire d’amour, c’est pourquoi une mélodie se greffait sur cette rythmique, dont Aznavour avait écrit les paroles. …
Votre intérêt pour la technologie doit beaucoup vous aider pour varier les sonorités.
J’ai toujours eu ça dans la tête, même à mes débuts. J’ai fait électrifier un accordéon, j’avais mis des micros à l’intérieur avec un ampli, et ça donnait des sons nouveaux. A l’époque, l’accordéon n’était pas très bien vu, on l’appelait le piano du pauvre. Mon prof, qui était une pointure, jouait du jazz à l’accordéon. Il m’avait tellement impressionné que je voulais jouer de la même façon, et j’écoutais les clarinettistes et les saxophonistes pour essayer de reproduire leurs chorus à l’accordéon. Ca me plaisait beaucoup. J’ai toujours été un peu marginal de ce côté.
Une fois la musique livrée, vous laissez le metteur en scène en faire ce qu’il veut ?
Totalement, c’est lui qui devient le chef d’orchestre, le maître à bord. Claude monte sa musique, il s’en sert tellement bien qu’il n’y a rien à dire. J’ai quand même été gâté avec les réalisateurs qui ont considéré la musique comme autre chose qu’un composant de dernière minute servant à souligner l’ouverture d’une porte ou un baiser d’amour. Ils utilisent la musique comme un élément qui apporte quelque chose en plus à l’image.
Votre filmo est colossale. Vous avez l’impression d’avoir fait le tour ou y a-t-il des choses que vous avez encore envie de faire ?
Il y a des choses que je n’ai pas faites : des dessins animés par exemple. Je sais que c’est encore un travail différent. Là, il faut que ce soit synchrone avec l’image. Autrement, je crois que j’ai pas mal oeuvré : pas loin de 150 films (dont 35 pour Lelouch). Mais il y a toujours un futur. Comme c’est un langage universel, tout est possible, ça laisse l’espoir de trouver des choses nouvelles.
Interview Gérard Delorme
Un + Une de Claude Lelouch avec Jean Dujardin, Elsa Zylberstein et la musique de Francis Lai sort ce 9 décembre dans les salles.
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