Primé dans de nombreux festivals, dont la Mostra de Venise, le premier long de Bertrand Mandico est-il à la hauteur de sa hype critique ?
Enfant, Bertrand Mandico était affligé d’un fort strabisme. Devenu réalisateur, le toulousain a su faire de ce handicap physique la formule séminale de son esthétique. Non que son cinéma soit « louche » - quoi que, c’est à discuter – mais délirant, paradoxal, iconoclaste, ça oui, car guidé par un penchant pour le télescopage permanent, une véritable orgie oxymorique où les contraires ne cessent se toiser, de s’embrasser, de se toucher, et (beaucoup) plus si affinités. Ainsi dans son premier long-métrage, où le noir et blanc flirte outrageusement avec la couleur, où le sublime se confond avec le kitsch, et où Nina Hagen et le krautrock s’incrustent dans une intrigue début XXème, il n’est guère surprenant de voir que les héros, cinq adolescents décadents qui, ivres de sexe et d’hyper-violence façon Orange Mécanique, vont être jugés pour crime et envoyés en cure de redressement maritime, ces cinq garçons sauvages donc, sont joués par des filles. Belle idée, qui n’a rien d’un gadget de dandy : il s’agit d’une odyssée baroque aux frontières du (mauvais) genre, identitaire, sexuel et cinématographique. Pour s’affranchir de leur virilité et tenter d’accéder à leur féminité larvée, les jeunes mâles vont en effet devoir s’abandonner aux plaisirs d’une île à la végétation aussi luxuriante que suggestive : fruits velus, pétales clitoridiens, plantes phalliques secrétant de blanchâtres fluides…
Freestyle
Mandico vient du cinéma d’animation et du stop-motion, et ça se sent, tant il s’en donne à cœur joie pour bricoler cette flore hybride et érotisée, la malaxant dans son récit initiatique, le sourire coquin en coin. Corolaire : le freestyle de plasticien, tout ému qu’il est de son propre foisonnement expérimental, perd çà et là de sa sève dramatique dans un artificiel revendiqué. Mais ne pinaillons pas, ce conte pour adultes séduit le plus souvent, singulier malgré un faisceau d’influences bigarrées (l’onirisme noir de Lynch, le surréalisme, Jules Verne, le fétichisme néo-muet de Guy Maddin, Fassbinder, le chatoiement du giallo, les collages de Walerian Borowczyk, Moby Dick…), littéralement brillant - on se croirait dans une joaillerie - avec pour évident trésor, ses scintillantes actrices.
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