Angoulême 2024- Jour 1
Memento/ Jour2Fête/ Ad Vitam

Bilan quotidien de la 17ème édition du festival du film francophone d’Angoulême.

Le film du jour : Rabia de Mareike Engelhardt

Premier jour de la compétition. Première projection. Premier choc qui met d'emblée la barre très haut dans la course au Valois d’Or que décernera le jury de Kristin Scott-Thomas. Ce premier long nous entraîne dans les pas de Jessica, une Française de 19 ans qui part avec une de ses amies pour la Syrie rejoindre Daesh. Un récit d’une heure trente sans temps mort, à l’os, inspiré de faits hélas tragiquement réels, et né d’une rencontre voilà 8 ans de la réalisatrice avec une jeune femme elle- même rentrée de Syrie où elle avait passé plusieurs mois au sein de l’Etat islamique, alors qu’elle ne parlait pas plus l’arabe qu’elle ne connaissait l’Islam !

Et pour raconter cette radicalisation qui paraît si irrationnelle, la cinéaste a choisi un angle singulier. Le quotidien d’une maison… de futurs épouses de combattants dirigée d’une main de fer par "Madame", qui choisit quelle fille sera offerte à quel terroriste. Une sorte de Madame Claude locale qui va mettre Jessica sous sa coupe. Un personnage inspiré de la belgo-marocaine Malika El-Aroud, surnommée la Veuve Noire du djihad qui avait notamment été mariée à un des assassins du Commandant Massoud, morte en 2023 et que campe magistralement Lubna Azabal. La grande et forte idée de Rabia est de faire de récit un huis clos.

Pour traduire en images le piège façon prison tout sauf dorée qui se referme sur ces jeunes femmes aveuglées, venues chercher en Syrie un espace de liberté qui semblait leur faire défaut en France. Et pour rendre encore plus violent, pervers et vite insoutenable ce qui se joue entre Jessica et Madame. Un film implacable de maîtrise où Meghan Northam, déjà excellente voilà peu dans Pendant ce temps sur Terre de Jeremy Clapin, livre la plus impressionnante composition de sa jeune carrière.

Sortie le 27 novembre

Rabia de Mareike Engelhardt
Memento

 

L’actrice du jour : Agnès Jaoui pour Ma vie, ma gueule

Chaque année, le festival d’Angoulême met un distributeur sous les feux des projections dans une section baptisée Bijoux de famille. Après StudioCanal l’an passé, c’est au tour de Jour2Fête de se voir ainsi honoré. Avec la projection de cinq films de leur catalogue (Le Challat de Tunis, La Ferme des Bertrand...) et d’un inédit. L’ultime film de la regrettée Sophie Fillières, découvert à la Quinzaine des Cinéastes cannoise et qui sortira en septembre. Un bijou de mélancolie et d’humour mêlés sous forme d’auto-portrait en femme qui, arrivée à la cinquantaine, après avoir été une bonne mère, une collègue prisée par les autres et une grande amoureuse apparaît à la croisée des chemins, confrontée à la solitude et une angoisse grandissante de la mort.

« Les gens qui doutent » d’Anne Sylvestre aurait pu en constituer la bande originale tant les paroles de cette chanson entrent en résonance avec ce voyage qu’entreprend son héroïne pour retrouver le goût de la vie et sa place dans un monde dont elle se sent de plus en plus étrangère. Rare sont les films capables de parler de dépression avec autant d’acuité, de légèreté et de profondeur. On en ressort le sourire aux lèvres et des larmes au coin des yeux mais aussi la certitude qu’Agnès Jaoui, sublime dans le rôle central, ferait une non moins sublime du César de la meilleure actrice en février prochain

Sortie le 18 septembre


 

Le réalisateur du jour : Karim Moussaoui avec L’Effacement

On a découvert le cinéaste algérien Karim Moussaoui en 2017 avec son premier long, En attendant les hirondelles, passé par la case Un Certain Regard à Cannes, radiographie éclairante de l’Algérie d’aujourd’hui à travers trois récits entremêlés. Avec L’Effacement, présenté ici en compétition, Moussaoui poursuit ce travail en enfonçant le clou. Cette adaptation d’un roman de son compatriote Samir Toumi (publié en 2016) raconte une génération sacrifiée, celle des fils dont les pères n’ont eu de cesse d’être glorifié par l’Etat algérien au nom de la construction nationale alors qu’ils ont dévoyé l’espoir, le sens et les valeurs portés par la décolonisation à laquelle ils ont pourtant participé activement.

Tel est le cas de son personnage principal, Reda (Sammy Lechea, remarquable), employé de la plus grande entreprise d’hydrocarbures du pays dirigé par son père, riche, froid et autoritaire. Ce dernier exerce sur lui une emprise telle que le jour de sa mort, Reda, passant devant un miroir, découvre… que son reflet a totalement disparu ! Et c’est en se parant de fantastique que cette chronique sociétale et générationnelle prend tout son relief, créant à l’écran un climat de tension trouble, intriguant et par ricochet passionnant. Seul espace possible au fond, car déconnecté de la réalité, pour permettre à Reda de tenter de se libérer d’un poids menaçant de lui coller aux basques jusqu’à la de ses jours : l’incapacité d’être à la hauteur parce que né trop tard pour participer à la guerre d’indépendance.

Sortie le 16 avril 2025

L'Effacement de Karim Moussaoui
Ad Vitam