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"Suicide Squad est l’expression de ma vision, à 100%. Il n’est pas la bande-annonce du film d’après et il n’essaye pas de servir des intérêts corporatistes plus grands que lui", affirme le réalisateur David Ayer.

Les films de super héros n’en finissent plus de se ressembler ? Téléguidés par des comités d’actionnaires soucieux de ratisser large ? Avec ses personnages renégats, sa "Fuck You attitude" et son Joker en embuscade, Suicide Squad s’offre comme une alternative au corporatisme ambiant. "Un prototype", insiste son réalisateur David Ayer. Cette année, Deadpool a cassé la baraque avec un film classé R (interdit aux moins de 17 ans) déconseillé aux plus de 15 ans. Batman V Superman : L'Aube de la justice a provoqué une sorte de migraine généralisée avec une histoire de bourre-pifs et de super môman écrite pour les 7-8 ans, mais dont les 7-8 ans sont ressortis en pleurant, effrayés par les visions monochromatiques de Zack Snyder. X-Men Apocalypse a montré le bout de son évolution, accusant un net recul de l’indice Mutants au box-office. Marvel n’est toujours pas à plaindre, mais n’enregistre "que" 1, 1 milliard de dollars de recettes dans le monde avec Captain America : Civil War, creusant de plus en plus l’écart avec le sommet Avengers de 2012. Et vous, sinon, vous en êtes où avec les superhéros ?

David Ayer lâche un "Fuck Marvel" à la première de Suicide Squad

Confronté depuis le lancement du DC-verse à une mini-crise d’identité, et à une réelle menace d’engorgement (dix-huit films actuellement en production, tous trop chers), le genre semble mûr pour une nouvelle mue. Certains cherchent dans le succès phénoménal de Deadpool des leçons à tirer pour l’avenir. Le public en a-t-il marre des sempiternels Spider-Kid et Super-Dude ? De ces scènes de destruction massivement digitales qui n’impliquent pas grand monde sinon les techniciens d’effets spéciaux dont c’est le job ? Sommes-nous (déjà) prêts à nous moquer du genre, à le mettre en abyme et en charpie ? Scénariste de Training Day, réalisateur de films d’action psychotiques sous influence Taxi Driver (Hard Times, End of Watch), David Ayer est l’heureux signataire de Suicide Squad, le comic book movie le plus sexy et le plus attendu de l’année. Et il n’a aucun avis sur la question. "Franchement ? il est impossible de prédire le sens du vent, offre-t-il, à la faveur d’une pause dans son planning de post-prod. Le western a été un pilier du cinéma américain pendant près de soixante-dix ans. En comparaison, les films de super-héros n’en sont qu’au stade embryonnaire. Deadpool a très bien marché, oui. C’était différent, axé sur les gags et le clin d’œil référentiel. Mais ça n’exclut pas que des films plus traditionnels puissent encore cartonner". Il pousse un grognement semblable à un train de marchandise. Se presse d’ajouter : "Je ne parle pas de nous, hein. Suicide Squad n’a RIEN de traditionnel".

Le plan de DC/Warner pour concurrencer Marvel était simple : faire tout l’inverse. Des films dark, pas joyeux. Parier sur une grande diversité de styles et de points de vue, plus que sur une formule établie. "Les réalisateurs d’abord", comme ils disent. Là où Marvel sélectionne des artisans plus ou moins dociles, Warner accorde sa confiance à des réalisateurs de caractère, oscarisés, souvent étrangers au genre cape et collant. Qui ne s’est pas posé la question de savoir ce que donnerait un film de super héros entre les mains d’un auteur chevronné (autre que Christopher Nolan) ? David Ayer est connu pour filmer des odyssées masculines au bord du gouffre et de la folie meurtrière. Il n’était pas spécialement taillé pour la baston costumée. Mais Suicide Squad, comics mal élevé réunissant les seconds couteaux les plus cinglés du catalogue DC (où l’empereur Joker devient second couteau), était taillé pour lui. "La camaraderie au combat, l’amitié fondée sur l’adrénaline, une certaine idée de la rédemption… J’y ai retrouvé tout ce qui me fait bander. Je sentais qu’il était temps de me frotter au cinéma de studio. Mon boulot sur Fury (NDLR : son film de tank avec Brad Pitt) consistait à recréer un monde complet pour la caméra. Je me suis demandé ce que je pourrais accomplir de plus -ou de moins ?- avec l’appareillage d’un gros navire de studio. Ce film est le fruit de ma passion, de mes entrailles. Mais j’y ai aussi appris un nouveau langage. Comment changer ma voix ? Comment basculer dans une dimension blockbuster tout en restant fidèle à moi-même ?".

Suicide Squad était censé être le, hum, joker, dans la manche de Warner. Batman V Superman, le vaisseau amiral, devait lancer les festivités, et la brigade du suicide passer derrière pour le petit effet rock. Le plan ne s’est pas déroulé comme prévu. Mais si le film d’Ayer était déjà très buzzé avant la sortie de L'Aube de la justice, il a clairement gagné en sex-appeal et en puissance alternative depuis le semi-bide de ce dernier. Par un étrange tour de passe-passe, le studio se retrouve en possession d’une énorme carte à jouer. "Pour moi, la pression existe uniquement sur le tournage, décide Ayer. Il y a toujours une attente particulière quand vous sortez des sentiers battus. Je suis le seul nom crédité au scénario, ça n’arrive jamais ou presque. Suicide Squad a toujours été envisagé comme une entité fermée, avec une voix propre. Il est l’expression de ma vision, à 100%. Il n’est pas la bande-annonce du film d’après et il n’essaye pas de servir des intérêts corporatistes plus grands que lui". En tant que fan consommé de Sam Peckinpah, David Ayer sait que rien (ou presque) ne doit survivre au mot "Fin". A l’image de son modèle Croix de Fer, Fury ne faisait pas de prisonniers. Suicide Squad est-il sa version super-humaine de La Horde Sauvage ? "Dans ce goût-là, ouais. Si l’assaut final se jouait sur fond d’Iggy Pop".

Bande-annonce de Suicide Squad, en salles le 5 août :