Drames indés, comédies jointées, films à Oscars… Qui comprend quoi que ce soit à la filmo de DGG ?
La carrière de David Gordon Green est un casse-tête. Au début des années 2000, l’homme s’était imposé comme le meilleur espoir du ciné indé US grâce à une poignée de films fragiles et magnifiques (George Washington, All the real girls), des ballades élégiaques et semi-comateuses qui humaient superbement l’air des small towns du Sud profond. Dix ans après, on le retrouvait aux commandes d’une poignée de comédies stoner tournées avec Danny McBride (le petit cousin punk de Will Ferrell) – Délire Express, Votre Majesté, la série HBO Kenny Powers… Comment un réalisateur qui s’était fait produire par Terrence Malick en personne (L’Autre Rive) pouvait-il signer dans la foulée, comme si de rien n’était, un film intitulé Baby-sitter malgré lui ? Tout en aidant Jeff Nichols à tourner Shotgun Stories, l’un des plus grands films indépendants du début du XXIème siècle… Un casse-tête, on vous dit. Aujourd’hui, l’affaire se corse d’autant plus que Gordon Green s’est récemment réinventé en metteur en scène pour stars de catégorie A, des aimants à Oscars nommés Al Pacino (Manglehorn), Nicolas Cage (Joe), Sandra Bullock (Que le meilleur gagne) et Jake Gyllenhaal (Stronger, son petit dernier).
“Plus ma carrière sera incompréhensible, plus elle aura du sens”
Complètement schizo ? Bon, vous nous direz, on a le droit d’aimer tout à la fois les élégies rednecks, les comédies couillonnes et les perfs à Oscar de Jake Gyllenhaal. Nous, c’est notre cas. Et même Terrence Malick est fan de Zoolander… Mais la véritable explication à la carrière apparemment erratique de DGG tient à une explication biographique en réalité très simple: à la fin des années 90, l’homme était à l’école de cinéma (la North Carolina School of Arts) en même temps que Danny McBride ET Jeff Nichols. Et était pote avec les deux. Le comique timbré et le poète de l’americana. Le roi de la prout-comédie et l’admirateur transi de La Nuit du Chasseur.
Quand on a ces deux gars comme copains cinéphiles, on finit forcément par vouloir conjuguer ces deux facettes de sa personnalité une fois devenu cinéaste, non ? « Il y a une part de moi qui aime le cinéma indépendant et contemplatif, et une autre qui aime les trucs vulgaires et mal élevés, nous confiait l’intéressé à l’époque de Prince of Texas, sorte de film-somme de son art schizo. Les réalisateurs ont tendance à s’enfermer dans un genre parce qu’ils ont besoin de se vendre auprès des studios. Qui financerait une comédie romantique signée Shyamalan ? Moi, j’ai envie de m’essayer à tous les types de films possibles et imaginables. Plus ma carrière sera incompréhensible, plus elle aura du sens à mes yeux. Une fois que j’aurai tourné un film d’horreur, une comédie musicale, puis remaké l’un des mes films, vous ne vous demanderez plus si je préfère le drame ou la comédie… »
Pas d’ego
Mais l’éclectisme du réalisateur n’est pas seulement une question de goût ou de positionnement stratégique dans l’industrie. Elle résulte aussi d’une pratique du cinéma développée au fil des ans et des tournages : “Aujourd’hui, en tant que réalisateur, la recherche de la perfection m’intéresse de moins en moins. Je préfère tourner vite, et beaucoup, plutôt que de passer des années à concevoir le plan parfait. Si je me balade et que je passe devant un endroit qui me plaît, ma première pensée est toujours : « Trouvons des acteurs, bricolons un script et tournons un film, là, tout de suite ! »” Ce qui permet à David Gordon Green de tourner sans se poser trop de questions d’ego, de cohérence ou de postérité. Et de transformer un drame a priori tire-larmes comme Stronger (portrait de Jeff Bauman, victime de l’attentat du marathon de Boston en 2013) en une comédie humaine survoltée et bouleversante, légère comme une plume alors qu’elle devrait peser trois tonnes. Où l’on retrouve son génie de la direction d’acteurs, son feeling humaniste et son goût pour les scènes à contretemps, en apesanteur, qui irriguent ses meilleurs œuvres depuis le début, ses drames comme ses comédies, ses films comme ses séries. Les projets de DGG ? Une suite d’Halloween co-écrite avec Danny McBride. Et un film sur Walter Cronkite (le PPDA américain, qui annonça la mort de Kennedy en direct) interprété par Seth Rogen… Totalement imprévisible. Donc tout à fait logique.
Bande-annonce de Stronger, en salles le 7 février :
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