Réalisateur, scénariste, compositeur et depuis peu, producteur de ses films, Alejandro Amenabar est un surdoué de l’angoisse (et pas que). En 20 ans, le cinéaste hispano-chilien a su prendre le temps d’installer les bases solides d’une filmographie sans-faute. Même lorsque Hollywood a frappé à sa porte, il s’est préservé du piège des contrats à la chaîne avec les studios pour mieux se concentrer sur ses propres obsessions qui, comme chacun de ses protagonistes principaux, évoluent et murissent à travers son parcours cinématographique. Après six ans d’absence, Amenabar revient ce mois-ci dans les salles obscures avec son sixième long-métrage, Regression, un thriller porté par Ethan Hawk et Emma Watson dans lequel il renoue avec ses premières amours. L’occasion de passer en revue sa savoureuse et surprenante filmographie. Tesis (1996)Après deux courts-métrages, Luna et Himenoptero, le jeune Amenabar écrit, réalise et compose la musique de Tesis, son premier film qui amorce ce qui sera pendant longtemps l’une de ses plus grandes obsessions : la manipulation. À travers le regard d’Angela, étudiante qui prépare une thèse sur la violence audiovisuelle, Tesis plonge dans les couloirs d’une université pour mener une enquête sur un réseau de snuff movies, ces vidéos clandestines où sont filmés des tortures et des assassinats réels. Un scénario qui a tout l’air d’être emprunté à Wes Craven et pourtant, Scream paraît doux comme une agneau à côté de Tesis, dont l’atmosphère anxiogène et la mise en scène raffinée glacent le sang. Le réalisateur prouve par la même occasion son talent de directeur d’acteur : aux côtés de Fele Martinez et d’Eduardo Noriega - hyper flippant – Amenabar offre le premier rôle à l’actrice Ana Torrent, qui, vingt ans auparavant, marquait le cinéma espagnol grâce à son visage enfantin dans Cria Cuervos (1976) de Carlos Saura et L’Esprit de la Ruche (1973), de Victor Erice. On pourra trouver que l’approche du thème de Tesis est un peu scolaire. Mais on lui pardonne : au moment de la sortie du film en Espagne, Amenabar avait 24 ans. Ouvre les yeux (1997) Un an après Tesis, Amenabar passe à la vitesse supérieure avec Ouvre les yeux, thriller psychologique et cauchemardesque qu’il fait cette fois vivre à Eduardo Noriega. Tout réussit au jeune César, 25 ans, jusqu’au jour où il se retrouve horriblement défiguré en cellule psychiatrique, accusé d’un meurtre qu’il ne se souvient pas avoir commis. Son récit laisse peu à peu apparaître de graves confusions dans sa perception de la réalité. Mais s’agit-il d’une vaste conspiration ou d’hallucinations paranoïaques ? C’est dans ce chef-d’œuvre encore trop méconnu que le cinéaste commence sérieusement à jouer avec les nerfs du spectateur pour mieux le traumatiser, sans jamais vraiment livrer la clé de ce mystérieux long-métrage. Fasciné, Tom Cruise achète les droits du film afin d’en produire, quatre ans plus tard, le remake US dont on se serait bien passé : Vanilla Sky (2001), réalisé par Cameron Crowe et dans lequel l’acteur tient le rôle principal. Séduite par Hollywood (et par Tom Cruise, avec qui elle restera en couple 3 ans après le tournage), Pénélope Cruz tient exactement le même rôle dans la version américaine que dans l’orignale. La superbe Najwa Nimri, quant à elle, est remplacée par Cameron Diaz, jamais aussi insignifiante que dans ce regrettable remake, qui aura au moins eu le mérite d’ouvrir les portes de l’international au jeune prodige espagnol. Les Autres (2001)" Après Sixième Sens (M. Night Shyamalan), Les Autres est sorti en même temps que mon film L’ Échine du Diable, se souvenait récemment Guillermo Del Toro lors de son entretien avec Premiere pour la promotion de Crimson Peak. J’ai pensé ‘Comment est-ce possible ? Comment trois artistes vivant à trois endroits différents du globe peuvent avoir les mêmes démangeaisons au même moment ?' ". Ce qui hante les trois cinéastes fous d’horreur cette année-là, ce sont bien les fantômes, qu’Amenabar place au cœur de son troisième long-métrage marquant ses premiers pas hollywoodiens et son entrée définitive dans le monde des adultes. La récréation est terminée : tourné en anglais et coproduit, entre autres, par les frères Weinstein et Tom Cruise, c’est la compagne de l’époque de l’acteur (encore une), Nicole Kidman, qui interprète le rôle principal dans The Others. Cette dernière offre certainement l’une des plus belles performances de sa carrière en mère de famille puritaine dans l’Angleterre des années 40, cloitrée dans un manoir avec deux enfants témoins d’étranges évènements surnaturels. Oppressant huis-clos, suspense hitchcockien et twist final inoubliable, Les autres est encore aujourd’hui considérés comme l’un des meilleurs films d’épouvante de notre siècle et relancera durablement la mode des fantômes. Mar Adentro (2004)Si Amenabar s’éloigne de son terrain de prédilection, c’est pour mieux se donner dans un autre genre de frisson. Bouleversant mélo sur le vrai combat du tétraplégique Ramon Sampedro pour pouvoir décider de sa propre mort et terminer sa vie dignement, Mar Adentro est plus qu’un film formaté pour les Oscars. C’est une œuvre lyrique qui traite de l’euthanasie. "Prisonnier de son corps", Ramon ne peut bouger que la tête et vit prostré dans son lit depuis une trentaine d’années avec, pour seule ouverture sur le monde extérieur, la fenêtre de sa chambre à travers laquelle il "s’évade" jusqu’à la mer toute proche. Le réalisateur retrouve par ailleurs sa langue maternelle avec un casting 100% ibérique porté par Javier Bardem – sex-symbol espagnol saisissant dans le rôle du quinquagénaire infirme ; Belén Rueda et Lola Dueñas. Si Mar Adentro n’a pas totalement fait l’unanimité auprès de la critique française, certains titre reprochant au réalisateur son excès de sentimentalisme, il a connu une véritable consécration internationale : Lion d’Or du meilleur film et Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour Bardem à la Mostra de Venise, quinze nominations aux Goyas, un Golden Globes remporté ainsi que l’Oscar du Meilleur Film étranger en 2005. Rien que ça. Agora (2009)Après le mélo intimiste, l’ambitieux Amenabar fait un virage à 180e avec une fresque historique, un peplum en forme de film-monde qui navigue dans les hautes sphères de la pensée guidé par une astronome-philosophe. Le cinéaste espagnol réalise un grand traité humaniste et le confie à un superbe personnage féminin (dont il fait cadeau à la non moins superbe Rachel Weisz), gardienne du temple du savoir à Alexandrie, alors que la révolte chrétienne gronde et que des siècles de connaissance sont menacés d’anéantissement. Le savoir contre les croyances, la raison contre les sentiments … Amenabar jongle avec de grands concepts et parvient à donner une portée universelle et intemporelle à son film, dont le bruit et la fureur résonnent, depuis ce lointain IVe siècle dont il fait le portrait, dans notre monde contemporain toujours menacé par le fanatisme. Agora fit un flop à sa sortie : il est temps de le découvrir. Regression, d’Alejandro Amenabar avec Ethan Hawk, Emma Watson et David Thewlis, sortira le 28 octobre sur les écrans français. Julia Beyer-Agostini (@vanillajulia) avec Vanina Arrighi de Casanova
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De Tesis à Regression, l’impeccable filmographie d’Alejandro Amenabar
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