Toute en charme, la silhouette androgyne, la comédienne incarne Baal, le poète maudit de la pièce éponyme de Bertolt Brecht, dans la mise en scène de François Orsoni.Propos recueillis par M-C. NivièreComment résumer l'histoire de Baal, cet homme hurlant une poésie brutale ?C'est la trajectoire d'un écorché vif qui noie sa vie, son être, dans les femmes et l'alcool. C'est un individu amoral. Il est contre la société, et celle-ci va le détruire car il est difficile de vivre contre elle. Sa révolte est pure. Il est en quête d'absolu. Ce qui n'est pas sans causer des dommages collatéraux, mais c'est un choix.Cette œuvre de jeunesse, comme Jean la chance que François Orsoni a monté en 2008, porte la marque de la Première Guerre mondiale.Baal est moins épicurien, moins naïf que « Jean la chance ». Nous avons travaillé à partir de la première version, celle de 1919, écrite effectivement à la toute fin de la guerre. Mais Brecht est encore un jeune homme, issu d'un milieu bourgeois et qui n'est pas allé au front. Dans cette version, il ne dénonce rien et ne donne pas de réponse. Baal, c'est la colère, l'artiste maudit...Il attend trop de la vie et des autres. Il a une certaine pureté qui le rend touchant. A la fin, il se retrouve tout seul, abandonné. Plus personne n'a de désir pour lui. Comme une quête d'amour absolu. Il est déçu et devient méchant. Mais le fait que je sois une femme rajoute de la distance, du coup le rapport de force est ailleurs.C'est troublant cette idée de choisir une femme pour incarner Baal.François ne voulait pas spécialement faire jouer le personnage par une femme. Il souhaitait monter cette pièce avec cette équipe et a pensé que j'étais la mieux à même d'endosser ce rôle, indépendamment du fait que je sois une femme. Je me suis posé la question sur la légitimité de ce choix. Lui trouvait qu'émanait de ma personnalité une part de démesure et de jouissance de la vie. (Elle sourit). Il voulait quelqu'un de vigoureux. Dans cette version-là, Baal a quelque chose d'adolescent, la question du « genre » devient alors presque secondaire. Physiquement, à jouer, c'est un marathon... Vous, si féminine, si gracieuse, comment aborder un tel homme ?En mettant le réalisme de côté. C'est du théâtre. On oublie vite que je suis une femme. Je m'amuse beaucoup à faire le garçon. Au début, j'ai été tentée de forcer le trait, puis, au fur et à mesure, on a nettoyé. Bien sûr, le fait que je sois une femme a déplacé les choses, la fulgurance du désir. C'est un texte misogyne, les femmes n'ont pas une belle place. Baal a quelque chose de très féminin parce qu'il est absolu. Si la virilité ne porte pas en elle une part de féminin, elle devient de la goujaterie.Ce texte ne laisse pas de marbre... Il dérange, remue, parce qu'il nous met face à notre finitude. Au Festival d'Avignon, des gens nous ont dit : « Vous tuez les derniers brechtiens. » Et c'est tant mieux. Ce qui est important dans ce texte c'est d'y entendre ce qu'il a de moderne, comment il parle de nous. Il est d'une telle puissance ! Certains ont pensé que nous l'avions modernisé, alors que nous n'avons pas touché un mot. Les réactions du public ont été très fortes. Les gens sont touchés par ce qu'ils voient, entendent. C'est ce qui m'importe le plus. Notre travail est alors justifié.L'ambiance va être noir et blanc, cabaret sombre ?Pas du tout. On raconte cette histoire avec la joie et le désir qui sont au centre du travail de François. Nous sommes dans le dialogue en permanence, il attend beaucoup de nos propositions et le résultat, enlevé et rythmé, provient de l'énergie de la troupe. C'est nous qui racontons Baal. Il y a des changements à vue, ça déboule dans tous les sens et on se pose rarement. Tout l'espace est occupé même si le plateau est assez nu : une table, des micros, un fauteuil... On s'amuse beaucoup et je crois qu'on a réussi à transmettre cela... C'est ce qu'il faut pour raconter un texte pareil. Cette première version est une version jetée, pas retravaillée. Notre jeu est comme l'écriture de Brecht, spontané, direct. Après un tel personnage, quels sont vos rêves ?J'ai envie de rôles classiques, Claudel, Tchekhov, des envies de textes, de suivre des metteurs en scène. Mon père rêve de me voir jouer du Feydeau et me demande souvent : « A quand les portes qui claquent ? »Baal au Théâtre de la Bastille, du 30 novembre au 22 décembre
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