Il a bien grandi Jérémie Rénier, l’acteur révélé il y a vingt ans par les frères Dardenne dans La Promesse. Longtemps confiné à un cinéma d’auteur confidentiel, il a explosé dans Potiche de François Ozon en 2010, avant de confirmer sa nouvelle stature dans Cloclo (Florent-Emilio Siri, 2012) et dans Saint Laurent (Bertrand Bonello, 2014), autant de films où il montrait sa palette élargie de comédien.Avec le rôle d’Antarès Bonassieu, capitaine confronté à la disparition mystérieuse de certains de ses soldats, il impressionne. Émacié et baraqué, charismatique et fiévreux, il porte sur ses épaules ce premier film audacieux qui révèle en Clément Cogitore un réalisateur à suivre.On le retrouve dans un grand hôtel parisien où, pour les besoins d’un rôle, il porte une longue barbe qui le rend méconnaissable. Chaussé de baskets et coiffé d’une casquette, Jérémie Rénier a tout du mec cool. Ça tombe bien, on a choisi de commencer l’entretien par une blague. Ni le Ciel ni la Terre est un peu votre « Jeremy Renner movie », votre Démineurs. (il sourit) Ah ouais, pas mal… Mes enfants, qui adorent évidemment Avengers, me demandent : "papa, pourquoi t’es pas l’autre Jérémie Renier ?". Ce à quoi je leur réponds que je fais des films d’auteur, pas des films Marvel.Mais Démineurs est un film d’auteur.C’est vrai. J’aime beaucoup d’ailleurs. Ce n’est pas tout à fait la même chose cependant.Un peu quand même, dans le genre film de guerre qui tourne au film mental…Il faudrait que je le revoie. Renner était assez dingue, c’était son premier grand rôle, je crois ? Dans Ni le ciel ni la terre, à l’inverse de Démineurs, le syndrome post-traumatique n’est pas vraiment traité. On évoque une incompréhension face à une situation qui déstabilise les personnages par rapport à leurs croyances, leur foi. Au départ, Antarès Bonassieu n’est pas perdu. Il maîtrise assez bien les codes de la guerre, il est là pour ses hommes, il les motive.Il y a, je trouve, dans votre performance un vrai travail de composition "à l’américaine". On en revient à Renner…Je suis assez client de cette école de la transformation. Pour ce film, je me suis musclé et "asséché" par exemple. J’aime bien m’appuyer sur ce genre de truc pour trouver le personnage; ça me permet de m’éloigner un peu de mon enveloppe corporelle, de qui je suis. Cela dit, tous les acteurs ont effectué un gros travail physique: il fallait tenir le coup quinze heures par jour sous la chaleur avec trente kilos de matos, monter, descendre, crapahuter… Physiquement, c’est le film qui m’a le plus éprouvé.En voyant le film, on se dit que vous êtes fait pour les films virils et tendus, ce qu’on n’aurait peut-être pas pensé il y a encore cinq ans.On a tous adoré ça, tenir les flingues, les Famas… C’est un plaisir de gamin, tu as l’impression de jouer aux cow-boys ! Tu es inconsciemment dans une démarche d’hyper virilité. Clément était d’ailleurs obligé de nous calmer parfois. Il ne voulait par exemple pas d’un capitaine qui gueule tout le temps. Il avait peur que ça fasse trop Full Metal Jacket. Vous avec ce qu’on appelle une « présence » à l’écran. Cela se travaille-t-il la présence ?C’est gentil, merci… C’est difficile de répondre. Le petit Finnegan (Oldfield, qui joue l’un des soldats, ndlr), dont la carrière décolle, a par exemple un visage particulier. La caméra l’aime instantanément. Il a un vrai charisme, ça ne se commande pas. Dans l’absolu, on peut travailler une "présence" en prenant le risque de tomber dans le sur-jeu. C’était le cas, à une époque, de Colin Farrell qui appuyait un peu trop son côté grave et ténébreux.Sans leur faire injure, les acteurs qui vous entourent paraissent tendres. On a parfois l’impression qu’ils essaient de se mesurer à vous. Pas du tout. L’autorité de mon personnage qui finit par être contestée vous donne peut-être ce sentiment. Personnellement, j’ai rarement vu de jeunes acteurs aussi impliqués. Je leur ai trouvé une grande maturité.Tout de même, j’ai lu qu’à votre initiative, vous gardiez vos positions hiérarchiques en dehors du tournage. C’est une manière d’en imposer, non ?Pour être honnête, je craignais de ne pas être crédible en capitaine. J’avais 33 ans au moment du tournage, certains acteurs étaient plus âgés… Je me demandais comment on allait croire à ce personnage, comment j’allais y croire moi même. J’ai donc eu le fantasme de devenir un capitaine hors-champ. J’ai proposé à Clément de superviser l’entraînement des gars à la salle de sport, des choses comme ça. Ils ont tous joué le jeu, et les rapports se sont instaurés naturellementC’est très Méthode, ça.Je ne l’ai pas ressenti ainsi. Disons que c’était une sécurité. J’étais aussi là pour les écouter. On faisait des réunions pour parler du film, des conditions de tournage, puis j’allais faire mon rapport à Clément.Clément Cogitore, justement, n’avait-il pas peur que vous lui « voliez » son film ?Non ! Je n’essaie jamais de dépasser ma fonction, ce qui ne m’empêche pas de faire des propositions. Depuis mes débuts avec les frères Dardenne, j’aime rechercher et dialoguer avec les metteurs en scène. Ça ne fonctionne pas toujours comme je le souhaiterais. Sur Nue propriété, j’étais pas mal entré en conflit avec Joachim Lafosse qui est quelqu’un de plutôt fermé. Mais en voyant le résultat, je me suis dit, « le con, il est doué ! » (rires)J’ai lu que vous vous apprêtiez à réaliser un film avec votre frère, Yannick. Tourner à deux comme les Dardenne, c’est une évidence ?Je vois ça comme un plus. On se complète. On s’en est rendus compte en reprenant un peu ensemble le scénario de Nue Propriété à l’époque, qui consistait en des séances de lecture et de réécriture avec Joachim. L’idée des Carnivores nous est venue dans la foulée. Ça fait plus de six ans qu’on y travaille…De quoi s’agit-il ?D’un drame psychologique autour de deux sœurs. On aimerait y introduire de la légèreté, une certaine folie qui viendrait contraster les moments noirs ou tragiques, ce que fait très bien Bouli Lanners dans ses films par exemple.Quand allez-vous tourner ?Printemps 2016 normalement.Dans quoi vous verra-t-on d’ici là ? Dans Eternité de Tran Anh Hung, un film très singulier qui raconte, sur un siècle, l’histoire d’une famille à travers plusieurs de ses membres. Je serai aussi dans L’ami (François d’Assise et ses frères) de Renaud Fély, où je donne la réplique à Elio Germano. Enfin, j’entame bientôt le tournage du nouveau Dardenne, La fille inconnue.On se revoit à Cannes alors ?(il sourit) Christophe NarbonneNi le ciel ni la terre de Clément Cogitore sort mercredi 30 septembre dans les salles. Voici la bande-annonce