Netflix

A voir sur Netflix, un documentaire racontant le flirt de Jim Carrey avec la folie.

A la fin des années 90, Milos Forman, spécialiste des icônes contre-culturelles et des biopics pas chiants (Amadeus, Larry Flynt…) tournait Man on the Moon, récit de la vie du comique anarchiste Andy Kaufman, incarné par un Jim Carrey possédé. Produit par Spike Jonze, le miraculeux documentaire Jim & Andy : The Great Beyond raconte à quel point l’acteur était littéralement possédé pendant le tournage du film, Carrey ayant décidé de vivre en permanence in character, dans la peau du personnage. Ou plutôt des personnages, Andy Kaufman étant souvent remplacé (dans ses sketchs, dans la vie, dans le film) par Tony Clifton, son double maléfique, gros clown pathétique, chanteur ringard et atrabilaire qui insulte tout le monde et s’endort bourré à la porte de sa loge. Cette chouette histoire ne pourrait occuper que quelques pages dans les bouquins d’histoire du cinéma si Carrey n’avait pas eu l’idée fabuleuse, à l’époque, de faire filmer les coulisses du tournage par une caméra qui ne le lâchait pas d’une semelle. Les bandes (un véritable trésor) dormaient chez lui depuis près de 20 ans – Universal aurait d’ailleurs cherché à s’en débarrasser, de peur que, ouvrons les guillemets, « Jim Carrey passe pour un connard si les gens voient ça ».

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Jim Carrey ne passe pas du tout pour un connard dans ce documentaire démentiel. Il passe pour un génie. Mais un génie fatigant, complètement cintré, épuisant tout le monde (et lui le premier) à cause de sa détermination à transformer le plateau du biopic d’Andy Kaufman en quelque chose d’aussi bordélique, bizarroïde, drôle et inquiétant qu’un sketch d’Andy Kaufman. On voit donc ici des choses dingues. Hallucinantes : Milos Forman sur le point de craquer, obligé de supplier Andy Kaufman et Tony Clifton (les personnages de son film !) de lui accorder une autre prise. Carrey maquillé en Tony Clifton, crashant une soirée à la Playboy Mansion, ou s’introduisant ivre mort dans les bureaux d’Amblin à la recherche de Steven Spielberg, pour lui dire que « le requin n’était pas crédible ». Jim Carrey parlant à la sœur d’Andy comme si c’était sa propre sœur, et elle agissant comme si son frère défunt était ressuscité. Les autres membres du cast (Danny De Vito, Judd Hirsch…)  échangeant des regards inquiets, se demandant si la blague n’a pas assez duré, si elle va bientôt s’arrêter. Une maquilleuse au bout du rouleau, en pleurs. Comment disait Milos Forman, déjà ? Ah oui : Vol au-dessus d’un nid de coucous.

Entre deux extraits mabouls de ce making-of insensé, Jim Carrey, le Jim Carrey d’aujourd’hui, parle face caméra, serein, barbu et zen, revenu (si on a bien compris) des affres de la dépression. Par le prisme du fantôme d’Andy Kaufman, le film devient un portrait de lui, le clown triste, l’homme derrière The Mask, le type allé trop loin, au-delà du rêve, derrière le rideau, comme le héros du Truman Show. A peine le temps d’écraser une larme en l’écoutant parler de son père et de ses rêves de gosse, et bim, une autre archive délirante surgit… Par moments, bien sûr, on se frotte les yeux tellement tout ça est fou. Est-ce qu’il n’y aurait pas un peu de bidonnage là-dedans ? L’illusion, la réalité, la société du spectacle, le show-business qui dévore le monde… C’est justement le grand sujet de la vie et de l’œuvre d’Andy Kaufman. Tout ici est tellement kaufmanesque, en fait, que ce serait encore plus beau si c’était faux.

Jim & Andy : The Great Beyond, sur Netflix.