Une modeste et attachante odyssée sur le deuil et le travail du temps.
2003. De la guerre du Vietnam au conflit irakien, rien n’a changé. D’un bourbier à l’autre, persistent les mêmes douleurs, les mêmes mensonges, les mêmes camaraderies viriles. Eternels recommencements. Last Flag Flying se pose d’abord en regard sur les séquelles guerrières. En plus de la pluie, tout le poids du monde semble s’abattre sur les frêles épaules de Larry Sheperd. Veuf depuis peu, « Doc » (Steve Carell) vient de perdre son fils en Irak. Alors que le corps du soldat de 21 ans est sur le point d’être rapatrié aux Etats-Unis, l’ancien médecin de la Navy décide de prendre son courage à deux mains, et d’aller demander à deux amis vétérans du Vietnam de l’accompagner aux funérailles. Petit souci : les trois larrons ne se sont pas revus une seule fois en trente ans. De plus, découvrira-t-on ensuite, ils ne se sont pas spécialement quittés en bons termes. Devenu gérant de bar et alcoolique, Sal Nealon (Bryan Cranston) est vite partant pour épauler son ancien pote, d’autant qu’il a une dette morale envers lui. Pour Richard Mueller (Laurence Fishburne) en revanche, c’est plus compliqué. Désormais tourné vers Dieu, le révérend craint de recroiser ses vieux démons. Mais sa (mauvaise) conscience – et surtout sa charismatique épouse - finiront par le faire céder.
Mascarade
Si l’on perçoit ici le souffle antimilitariste de La dernière Corvée, fleuron du Nouvel Hollywood avec Jack Nicholson en marin badass, c’est normal : les deux films sont adaptés du même romancier, Darryl Ponicsan, qui avait d’ailleurs écrit Last Flag Flying comme une suite de son livre culte de 1970. Linklater a préféré s’en éloigner légèrement pour mieux se l’approprier. La toile de fond est là aussi politique, et son discours critique en fait, dans un registre formel plus modeste, une œuvre complémentaire du fabuleux Un jour dans la vie de Billy Lynn : s’il est là encore question d’une mascarade patriotique glorifiant de faux héros (mais vraies victimes) pour faire oublier le cauchemar du front, la focale narrative est ici plus courte que dans l’opéra en 3D de Ang Lee, l’angle de vue plus large, même si tout aussi intime. L’ambition de Linklater n’est pas de plonger en immersion totale dans le jet-lag existentiel post-Irak vécu par un soldat : dans Last Flag Flying, on télescope des époques plus éloignées, on dézoome en embrassant à la fois le traumatisme des pères et des fils. Une greffe spatio-temporelle qui trouve à s’actualiser par le biais du personnage de Washington, jeune afro-américain rescapé d’Irak et meilleur ami du défunt : la présence de ce beau second rôle aux côtés de nos trois anti-héros est fondamentale. D’abord pour déchirer (malgré lui) le voile de l’illusion propagandiste, lors d’une scène calmement bouleversante dans l’aéroport de Dover, ensuite pour réparer les plaies d’un deuil impossible, par la seule force du dialogue.
Tunnels de tchatche
Si le temps est la grande affaire de Linklater, la parole est la clé de voute de son cinéma. Pour le réalisateur de la trilogie Before et de Boyhood, le verbe relève souvent de l’antidote magique à l’impitoyable flux des jours. En voyageant dans leur passé, Doc, Sal et Mueller, ne vont pas seulement s’enfermer dans une nostalgie aliénante. Ils vont le ressusciter, le dépoussiérer sans complaisance, en tirer la sève d’une amitié retrouvée, d’un présent réconcilié et d’un futur possible à l’ère d’Internet et du téléphone portable (qu’ils découvrent dans une scène hilarante de naïveté enfantine). Captés essentiellement en voiture et en train -c’est un aussi bien un road-movie qu’un “rail-movie”-, ces longs tunnels de tchatche sont illuminés par l’impayable trio Carell- Cranston-Fishburne, dont l’alchimie fait des étincelles tragi-comiques.
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