Les agents hollywoodiens se tournent désormais vers l’intelligence artificielle pour mesurer en ligne l’impact réel de leurs stars. Objectif : transformer le buzz en données tangibles et mieux négocier avec le studios. Une tendance qui interroge sur place du talent face aux chiffres.
Pendant des décennies, la valeur d’un acteur se mesurait au box-office ou dans les audiences télévisuelles (Médiamétrie en France, Nielsen aux USA). Mais l’ère du streaming a brouillé les cartes : les plateformes gardent désormais leurs données sous clé, compliquant les négociations pour une suite ou une nouvelle saison. Résultat : les agents se tournent vers une nouvelle arme pour évaluer l’impact réel de leurs clients : l’intelligence artificielle.
Variety révèle dans une récente enquête que ces outils – Grok, ChatGPT, ou encore ceux développés par Facebook et Anthropic – sont capables de scruter en temps réel réseaux sociaux, articles et critiques pour fournir des données précises sur la place occupée par une star dans la conversation publique. De quoi transformer un simple « buzz » en argument contractuel solide.
L’exemple le plus frappant est venu cet été du film Heads of State, comédie d’action lancée sur Prime Video, avec Idris Elba et John Cena en vedette. Officiellement, les deux têtes d’affiche sont l'acteur anglais et l'acteur américain, qui incarnent les Chefs d'Etat du titre. Sauf qu'une analyse pilotée par l’équipe de Priyanka Chopra Jonas a montré que l’actrice – pourtant « troisième rôle » du film – concentrait entre 50 et 60 % des discussions en ligne, soit deux fois plus que ses co-stars masculines. Ce qui fait dire à Anjula Acharia, manageuse de Chopra issue du monde de la tech, que ces chiffres changent la donne : "Je ne pense pas qu’on lui aurait attribué le mérite habituellement, car elle n’est pas une "head of state" dans le film. Mais cette fois, les données ne mentent pas" dit-elle dans Variety. Entre les lignes, on comprend qu'elle compte bien utiliser ces datas relevés par l'IA pour négocier les cachets de son actrice à l'avenir.
Une manière de redonner du pouvoir aux talents dans les négociations avec les studios, grâce à l'IA, afin de rééquilibrer le rapport de force. L'outil permet de transformer ce qui était de l’intuition ou du ressenti en données tangibles : qui génère le plus de buzz ? Qui est vraiment mis en avant dans les critiques ? Qui fait partager des extraits sur les réseaux ?
Mais le terrain est glissant. Parce que les données peuvent être biaisées par des groupes de fans hyperactifs, capables d'orchestrer un maximum de bruit sur la toile (Zack Snyder a gagné un Oscar comme ça). Voire par un marché national très connecté capable d'écraser artificiellement la conversation, comme ce fut le cas pour Priyanka Chopra Jonas, qui a largement bénéficié - dans le cas de Head of State - de son immense popularité en Inde (le pays compte 1,5 milliard d'habitants). Et puis les studios utilisent déjà ces outils de leur côté, et disposent de leurs propres métriques, ce qui risque de transformer les négociations du futur en duel de chiffres, parfois contradictoires, une bataille de chiffres IA contre chiffres IA.
Et la valeur artistique dans tout ça ? À trop s'appuyer sur des datas, Hollywood risque à terme de réduire les performances des actrices et acteurs à une métrique de “buzz”, en renforçant une logique de visibilité déjà bien présente dans les castings des studios : on sait que tel rôle est plus facilement donné à une star qui dispose d'un grand nombre d'abonnés sur Instagram ou Tik Tok. Quand l’attention médiatique devient une monnaie aussi précieuse que le talent.







Commentaires