Tous les matins, entre le film, l'interview et la star du jour, le point à chaud en direct du 74e festival de Cannes.
Le film du jour : La Fièvre de Petrov (Sélection officielle en compétition)
L’intrigue du nouveau film de Kirill Serebrennikov (à qui l'on doit le beau Leto) tient en peu de phrases : dans une ville de Russie, on suit quelques jours de la vie de Petrov, un garagiste et auteur de bande dessinée amateur. Il est marié à Petrova, une bibliothécaire et ils ont un fils, Petrov. La fête du Nouvel An approche et un sale virus de grippe se propage d’un membre de la famille à l’autre… Dit comme cela tout paraît clair et relativement simple. Mais Serebrennikov s’emploie dès la première scène à tout dynamiter. Il mélange la fantasmagorie la plus débridée et le réel le plus prosaïque ; la cacophonie du monde se traduit par une surcharge d’accessoires et de figurants, ou par des envolées théâtrales épuisantes... Petrov est fiévreux et très alcoolisé et les scènes de rêves ou de cauchemar viennent progressivement grignoter le déroulement de sa journée. Alors qu’il est dans un bus, il est tout à coup inviter à participer à un peloton d’exécution dans la rue ; un peu plus tard, il se retrouve avec un cadavre sur les bras… Qu’est-ce qui est vrai ? Et qu’est-ce qui provient de ses délires fiévreux ? De son côté, Petrova est sujette à des pulsions meurtrières et la moindre goutte de sang la plonge dans des états de violente excitation…
On parlait hier du film de Sergei Loznitsa sur le massacre de Babi Yar et c'est à un autre film du cinéaste ukrainien qu'on pensait hier soir, Une Femme douce. Le film de Serebrennikov déroule une fresque hallucinée sur la Russie et ses vieux démons dans une suite de scènes outrancières, filmées dans des plan-séquences hallucinants. C’est parfois difficile à suivre, parfois totalement incompréhensible, pourtant, cette déambulation surréaliste finit par décrire un univers d’aliénation absolue, dont les causes semblent dépasser l’histoire (l’héritage soviétique ou le désarroi post-soviétique) pour devenir métaphysiques.
Et c'est dans un segment final clairement allégorique que tout s’assemble. Le passé de Petrov remonte à la surface et vient contaminer le film. Dans un Noir et Blanc somptueux, le cinéaste raconte alors une autre soirée de nouvel an, avec un Petrov enfant...
Bordélique, foutraque, parlant tout le temps de mort ou de déchéance, ce film est paradoxalement constamment nourrit et traversé par un élan vital hors-norme.
La star du jour : Wes Anderson
Qui est la véritable star de The French Dispatch ? Bill Murray, figure tutélaire absolue du cinéma de Wes Anderson, incarnant ici le rédac chef du journal fictif mis en scène dans le film ? Tilda Swinton ? Benicio Del Toro ? Peut-être plutôt Timothée Chalamet ? Ou alors Adrien Brody, Léa Seydoux, Frances McDormand ? A moins que ce ne soit Mathieu Amalric, Denis Ménochet, Lyna Khoudri, Willem Dafoe, Henry Winkler ? Impossible de savoir par où, et surtout par qui, commencer, quand il s’agit de faire le tri dans l’hallucinant aréopage de visages connus qui défilent au générique du dernier Wes Anderson. Car en réalité, la star, la vraie, celle qui plane au-dessus de toutes les autres, c’est Wes Anderson lui-même, qui livre ici un film plus wes-andersonien tu meurs, un degré plus loin encore que The Grand Budapest Hotel dans le délire monomaniaque, compilatoire et millimétré. The French Dispatch est à la fois totalement terminal dans son ambition de film-monde autarcique, et parcouru de quelques-uns des gags et des idées poétiques parmi les plus irrésistibles vus chez son auteur depuis longtemps. Rafraîchissant et hermétique à la fois. En circuit fermé mais aussi follement accueillant. En un mot : wes-andersonissime.
La révélation du jour : Bruno Reidal de Vincent Le Port présenté à la Semaine de la Critique.
Puisqu’à Cannes, il est bien de (sur-)vendre en peu de mots un film pour faire monter la sauce, disons que Bruno Reidal de Vincent Le Port est un film de Robert Bresson gore, soit l’histoire d’un (presque) curé de campagne criminel. Evidemment, ce teasing veut tout et rien dire – « gore» faut pas pousser ! - mais ça fait monter la température d’un cran (n'est-ce pas ?). Plane aussi le spectre de Michel Foucault (là, c’est carrément le sauna sur la croisette !) qui s’était passionné en son temps pour un autre jeune tueur issu de la paysannerie française, Pierre Rivière. Rivière en 1835 a égorgé sa mère, sa sœur et son frère à coup de serpette. Dans la foulée de son arrestation, il écrira un mémoire de quarante pages sur lequel vont s’extasier Foucault donc, puis le cinéaste René Allio qui en tira un film magnifique en 1976. Fermez le ban, voici Bruno Reidal qui raconte quasiment la même histoire, avec là-aussi un récit de première main d’une puissance hors du commun. Le cinéaste Vincent Le Port dont c’est le premier long-métrage signe un film d’une épure quasi divine qui contraste parfaitement avec l’intériorité bouillonnante du jeune homme prisonnier de ses pulsions de mort (voix off blanche et grave façon Un condamné à mort s’est échappé de Bresson - on y revient). Dieu n’est jamais absent et Bruno Reidal qui effectuait alors des études de séminariste, se tourne sans arrêt vers Lui pour tenter de comprendre ce qui se passe en lui (Bernanos n’est pas loin non plus). Nous voilà donc avec un film terrassant qui ne méritait pas qu’on le charge autant. Alors, on oublie séance tenante Bernabresson et Foucallio et l’on plonge sans réfléchir dans cette eau froide purificatrice !
La scène du jour : l'assaut de Bac Nord (Cédric Jimenez, hors compétition)
Dans BAC Nord, des flics de la BAC des quartiers Nord (titre tout à fait raccord avec l'histoire, on ne nous prend pas en traître, premier bon point) de Marseille franchissent la ligne jaune. Cédric Jimenez s’inspire de cette histoire vraie pour en faire un thriller policier musclé et explosif, formidablement incarné par Karim Leklou, Gilles Lellouche et François Civil. Dans une scène assez démente - dont on ne dévoilera pas les tenants et les aboutissants -, ces deux derniers débarquent par le toit d'un immeuble qui cache un labo de drogues. Les flingues aboient, les balles fusent dans les couloirs et les cloisons, alors que la tension grimpe et que les corps s'empilent. Quinze minutes de cinéma guerilla, qui ne rougit jamais devant les standards américains. Un grand moment d'action rêche et brut, qui fait du film une sorte de miroir (déformant) des Misérables de Ladj Ly, avec lequel Bac Nord ferait un parfait double programme. Patience, ça arrive vite : sortie programmée le 18 août au cinéma.
La tendance du jour : l’écologie
Au rouge de la montée des marches, Cannes 2021 a décidé d’ajouter cette année une touche de vert. Avec une double première. Un montant de 24 euros à débourser au moment de son accréditation pour compenser la pollution générée par la manifestation. Et la création de la section “Cinéma pour le climat” mêlant fictions et documentaires alertant des dangers en cours ou célébrant les solutions. Quelques jours après Bigger than us, produit par Marion Cotillard, docu dans la droite lignée de Demain, le co- réalisateur de ce dernier, Cyril Dion, était aujourd’hui à l’honneur avec Animal, cette fois- ci réalisé en solo, où il alerte sur l’extinction de nombreuses espèces et appelle à une meilleure cohabitation entre monde humain et monde animal, par le prisme de deux ados engagés dans cette lutte. Cette même idée du salut qui viendra de la seule jeunesse face à des adultes sourds et aveugles sur la question se retrouve aussi au coeur de La Croisade, la nouvelle réalisation de Louis Garrel, présentée hier soir dans la même section. Une comédie utopiste délicieusement enfantine, son tout premier film à destination d’un jeune public où le couple qu’il forme avec Laetitia Casta est dépassé par leur fils qui prend les choses en main pour sauver le monde avec les camarades de son âge, en commençant par l’Afrique. Mais si le nouveau monde semble en train de s’écrire sur la Croisette, l’ancien bouge encore… en remontant la croisette, hier soir, on pouvait entendre les bolides de FF9 débouler plein gaz sur le grand écran du Cinéma de la plage. L’art du contraste dans toute sa splendeur.
L'interview du jour : Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre (présenté à la Semaine de la critique)
Le morceau du jour : The House of rising sun de The Animals dans Medusa (Quinzaine des réalisateurs)
Avec sa bande-son hallucinée et ses couleurs vénéneuses, Medusa, le thriller horrifique de Anita Rocha da Silveira a électrisé la Quinzaine des Réalisateurs. Le film a tout pour plaire aux fans de fluos, dans une programmation cannoise désespérément pastel : Marina, 21 ans, et sa bande de jeunes filles bigotes, chassent et traquent les infidèles à la tombée de la nuit avant de se mettre à la recherche d'une sainte au visage brûlé. Morbide, flippant et politique, ce pamphlet anti-Bolsonaro est la carte postale (pleine d'antrax) que nous enverrait John Carpenter s'il passait ses vacances au Brésil avec le chef-opérateur de Dario Argento. On doit également à Medusa la reprise la plus malsaine de The House of the rising sun depuis un bail. Le tube intemporel de The Animals est ici saccagé par une chorale de brésiliennes intégristes qui le transforment en chant de propagande évangéliste à la gloire de la femme au foyer. Flippant.
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