Audrey Estrougo présente en séance de minuit, son biopic sur NTM. Malgré deux interprètes formidables, la platitude du scénario empêche l’ensemble de décoller.
En attendant de découvrir la série coproduite par Arte et Netflix sur le même sujet, voici Suprêmes d’Audrey Estrougo (La Taularde...) sur les premières années du groupe de rap français, NTM, à la fin des eighties dans une France encore mitterandienne. Présenté en grandes pompes en séance de minuit, ce biopic était programmé pour réveiller la croisette à coup de beats syncopés et du flow tonitruant de Kool Shen et surtout Joey Starr, seul du duo venu voir in situ une projection de lui-même en fiction. On imagine sans mal, leurs jeunes interprètes, Sandor Funtek et Théo Christine, regardant leurs pompes pour ne pas croiser le regard de leur imposant modèle les yeux rivés sur le grand écran noir Lumière. Ils auraient tort tant l’un et l’autre refusant tout mimétisme, donnent une grâce inattendue à un film qui ne parvient malheureusement jamais à se placer à leur hauteur.
Le monde de demain : la série sur les débuts de NTM avec Anthony Bajon est en tournageLa faute à un scénario d’une platitude inouïe qui se contente de raconter au fil des séquences, un parcours sans jamais se projeter dedans (soit l’exact contraire du réjouissant Aline de Valérie Lemercier). Au-delà de son amour sincère pour le groupe, on se demande où la réalisatrice veut en venir. S’il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’authenticité de ce qu’elle raconte (la chose cornaquée par la maison de disque et supervisé par Joey Starr lui-même, a dû être mille fois relue avant validation), il manque l’essentiel : une vibration. Cette vibration qui permet de ressentir l’énergie démente qui a permis de réveiller tout un pays endormi et surtout une jeunesse prête « à foutre le souk » pour contrer la montée du FN. Mais le contexte politique est totalement absent du film, à part une archive de François Mitterrand en ouverture. Un comble !
La scène du rap français prenant le relais de celle du rock alternatif (Bérurier noir et consorts), s’est infiltrée rapidement dans toutes les couches de la société, avant de prendre littéralement possession de la pop culture. Suprêmes raconte cet avant, l’époque des premiers live au Globo, des concerts miteux en province devant des punks interloqués, jusqu’à la mise sur orbite définitive avec le premier Zénith parisien du groupe. Entre-temps, le scénario aura pris le soin de délimiter les contours de l’hydre à deux têtes, d’un côté, le sérieux Kool Shen garant de l’équilibre de l’entreprise, de l’autre, le fragile et imprévisible Joey Starr essayant vainement de prouver à son paternel qu’il vaut quelque chose. Estrougo filme ça façon "téléfilm" et illustre plus ou moins efficacement un scénario très premier degré. Difficile pour des non-initiés, de mesurer réellement le talent de Kool Shen et Joey Starr et cette alchimie de boxeur qui faisait de chaque lyrics une punchline pour les temps présents. L’écueil de tout biopic est cette quasi impossibilité à retranscrire les mystères de la création, les cinéastes s'échouant inexorablement sur les rives d'un drame prémâché par une fiche Wikipédia. Dans Suprêmes, c’est sur scène que surviennent les étincelles, lorsque que Sandor Funtek et Théo Christine s’emploient avec autorité à devenir NTM. Quelque chose passe soudain. Malheureusement, pour eux et pour nous, il y a aussi les coulisses et un film à faire.
Suprêmes d’Audrey Estourgo. Avec : Sandor Funtek, Théo Christine... Sortie le 24 novembre.
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