Guide Cannes 2024
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Megalopolis, Emilia Perez, Les Linceuls, L'Amour ouf, Kinds of Kindness ou encore Bird et Parthenope : on passe en revue tous les candidats au prix suprême.

Qui repartira du Festival de Cannes avec la Palme d'or cette année ? La bataille s'annonce rude, avec le retour ultra-attendu de Francis Ford Coppola (Megalopolis), la présence de nombreux habitués de la Croisette (Paolo Sorrentino, Andrea Arnold, Arnaud Depleschin, Jacques Audiard, Serguei Loznitsa), et quelques petits nouveaux jamais vus en compétition comme Gilles Lellouche et son Amour ouf. Le jury présidé par Greta Gerwig va devoir trancher. 

Pour le coup d'envoi de la 77e édition du Festival de Cannes, donné par Le Deuxième acte de Quentin Dupieux, voici notre guide complet des 22 films en compétition : 

All We Imagine As Light de Payal Kapadia

Ça parle de quoi ?

De deux femmes qui partagent tout à la fois leur solitude affective, un logement et leur job d’infirmières au sein d’un hôpital de Mumbai. Entre insouciance pour l’une et résignation pour l’autre, elles vont s’échapper un temps du brouhaha de la ville pour trouver une forme d’apaisement au bord de la mer.

Ça va être bien ?

On avait découvert le cinéma de cette jeune cinéaste indienne de 38 ans avec son documentaire présenté à la Quinzaine des Cinéastes, Toute une nuit sans savoir (2022), film à la presque première personne où la réalisatrice s’interrogeait sur la vitalité d’une jeunesse désireuse de changements. Ce premier long métrage de fiction semble en être un prolongement direct. Entre documentaire et fiction, réalité et fantasme, on pressent une expérience sensorielle forte.

Ça palme ?

En 1946, le premier sacre de l’histoire cannoise revient à La ville basse de l’indien Chetan Anand, portrait de personnages en quête de liberté adapté des Bas-fonds de Maxime Gorki. Depuis cette Palme qui n’en avait pas encore le nom, le cinéma indien a dû se contenter d’un Prix du Jury en 1983 pour Affaires classées de Mrinal Sen. On peut aussi ajouter L’œil d’or du meilleur documentaire obtenu pour Toute une nuit sans savoir en 2021 de Payal Kapadia. Un Palme assurerait donc une forme de continuité magique dans la trajectoire de la cinéaste et une reconnaissance pour un cinéma indien résolument dynamique.

All we imagine as light
Condor Distribution

L’Amour ouf de Gilles Lellouche

Ca parle de quoi ? 

On y suivra, de l’enfance à l’âge adulte, l’histoire d’amour mouvementée, née dans le nord- est de la France, au cœur des années 80, de deux ados issus de milieux sociaux opposées.

Ca va être bien ? 

Evidemment, il en réalisera d’autres. Mais L’Amour ouf a tout du projet d’une vie pour Gilles Lellouche qui en rêve en tout cas depuis 13 ans et ce jour où Benoît Poelvoorde lui avait fait découvrir ce roman de Neville Thompson en lui assurant qu’il fallait en faire un film. Mais il lui a fallu du temps… et le succès du Grand bain (pour lequel la présentation cannoise hors compétition en 2018 a constitué le plus beau des tremplins) pour obtenir les moyens nécessaires à l’ambition annoncée : une fresque romantique ultra- violente de 2h45 avec une BO annoncée aussi démente qu’onéreuse en termes de droits

Ca palme ? 

Pour Gilles Lellouche qui ne possède la fameuse "carte", synonyme d’immunité pour une part de la critique française qui l’a si souvent gratuitement pris pour cible, se retrouver en compétition constitue déjà une victoire. Un prix serait un merveilleux pied de nez supplémentaire à ses détracteurs ! Et pourquoi pas une récompense collective pour ses deux duos de comédiens, Adèle Exarchopoulos-François Civil, Mallory Wanecque-Malik Frikah qui incarnent successivement les personnages au fil du récit ?

L'Amour ouf
StudioCanal

Anora de Sean Baker

Ça parle de quoi ?

D’une travailleuse du sexe de Brooklyn qui tombe sous le charme du rejeton d’un oligarque russe. Anora, c’est son nom, va bientôt épouser son prince charmant provoquant l’ire des riches parents de ce dernier. Ceux-ci décident illico de faire le voyage jusqu’à New-York pour mettre un terme à cette embarrassante union.

Ça va être bien ?

Celles et ceux qui suivent le travail du cinéaste américain de 53 ans depuis au moins Tangerine en 2015, connaissent sa façon très rock’n’roll de raconter les péripéties d’outsiders plus ou moins magnifiques d’une Amérique contemporaine cabossée. The Florida Projet (2017) voyait ainsi des bambins quasiment livrés à eux-mêmes à l’ombre d’un Disney World voisin. Dans Red Rocket, présenté en compétition en 2021, un ex-star du porno (Simon Rex dément) tentait un improbable retour dans sa ville natale. Sean Baker représente presque à lui tout seul un cinéma d’auteur indépendant à la fois iconoclaste et pop qui sous un vernis baroque parvient à sonder avec tendresse l’intériorité fissurée de ses protagonistes. Anora est l’une de nos grosses attentes de cette compétition.

Ça palme ?

Bien que déjà présent en compétition où il est reparti bredouille en 2021 pour Red Rocket, Sean Baker ressemble un peu à ses personnages et fait figure d’outsider n’ayant rien d’autre à offrir que sa poésie d’auteur. Certes les fans de Once Upon a Time in… Hollywood (on en connaît !) se réjouissent d’avance de voir dans le rôle-titre d’Anora, Mikey Madison, l’une des adeptes de la Charles Manson family qui finissait cramée au lance-flamme. Est-ce suffisant pour faire buzzer en amont le palmomètre ? Pas sûr. Encore que, Greta Gerwig, en (ex-)égérie du cinéma indie américain pourrait voir d’un bel œil ces volutes new-yorkaises autour d’une possible anti-Barbie cherchant à s’extraire de sa condition.   

Anora
FilmNation Entertainment

The Apprentice de Ali Abbasi

Ca parle de quoi ? 

Le jeune Donald Trump (Sebastian Stan) passe un « pacte faustien » (dixit le dossier de presse) avec un avocat conservateur pour bâtir son empire immobilier dans les USA des années 80.

Ca va être bien ? 

Plus crapuleux que frappant, Les Nuits de Mashhad ne parvenait pas à surpasser le stupéfiant Border (la barre était très haute, ceci dit). Là, Ali Abbasi s’attaque à un Trump Begins arty - la première image évoque un huis-clos en limo, et donc le Cosmopolis de Cronenberg… Pas son meilleur moment, OK, mais on ne risque pas de s’ennuyer avec le duo Sebastian Stan/Jeremy Strong en costards carrés.

Ca palme ? 

Ali Abbasi est comme un poisson dans l’eau à Cannes, et a accompli la trajectoire des très bons élèves (Un certain regard pour Border puis compét’ direct pour Les Nuits…). A six mois de l’élection présidentielle US, The Apprentice a le bon timing qui pourrait bien plaire à Greta Gerwig. Au reste du jury, c’est une autre histoire.

The Apprentice Ali Abbasi Cannes 2024
APPRENTICE PRODUCTIONS ONTARIO INC. / PROFILE PRODUCTIONS 2 APS / TAILORED FILMS LTD. 2023

Bird d'Andrea Arnold

Ça parle de quoi ?

De la rencontre entre Bailey (Nykiya Adams), une fille de douze ans qui vit avec son frère et son père Bug (Barry Keoghan) dans un squat au nord du Kent, et le mystérieux Bird (Franz Rogowski)…

Ça va être bien ?

Un coming-of-age signé Andrea Arnold ? On est toujours curieux de voir les films de l’Anglaise experte en récits initiatiques, portraits sensibles et autres chroniques à fleur de peau. D’autant qu’elle a réuni, autour de l’inconnue Nykiya Adams, deux des acteurs les plus désirables du moment : l’Irlandais Barry Keoghan (dont l’ascension ne s’arrête plus, après Les Banshees d’Inisherin et Saltburn) et l’Allemand Franz Rogowski, qui poursuit donc en Angleterre sa tournée européenne, après l’Italie de Freaks Out et le Passages parisien d’Ira Sachs. 

Ça palme ?

Ça prix du jury, surtout. Andrea Arnold est en effet la recordwoman de ce « petit » prix (quelque chose comme la médaille de bronze du festival de Cannes), qu’elle remporte à chaque fois qu’elle présente un film en compétition : Red Road en 2006, Fish Tank en 2009, American Honey en 2016. Son Bird lui permettra-t-il de déployer ses ailes pour aller plus haut ?

Bird Andrea Arnold Cannes 2024
Ad Vitam

Diamant brut de Agathe Riedinger

Ca parle de quoi ? 

Une ado de 19 ans, vivant avec sa mère et sa sœur à Fréjus, pense enfin toucher du doigt le rêve de sa vie – devenir célèbre – en entamant les auditions pour une émission de télé-réalité. 

Ca va être bien ? 

La rumeur précédant ce premier long métrage – le seule de toute la compétition, qu’il ouvre dès ce mercredi après midi – est plus qu’élogieuse. Et elle ne vient pas de nulle part : J’attends Jupiter, son court métrage de 2017 déjà inspiré par l’univers de la télé- réalité mais sous un autre angle, avait été très salué pour son esthétique tranchante et son sens de la mise en scène. 

Ca palme ? 

Décrocher la récompense suprême serait un exploit ! Dans toute l’histoire de Cannes, seuls trois premiers longs métrages de fiction y sont parvenus : Marty de Delbert Mann en 1955, Une aussi longue absence d’Henri Colpi en 1961 et Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh en 1989. L’an passé, dans cette même position de seule réalisatrice d’un premier long métrage en lice pour la Palme, Ramata Toulaye-Sy était repartie bredouille avec Banel & Adama.

Diamant Brut
Pyramide distribution

Emilia Pérez de Jacques Audiard

Ca parle de quoi ? 

Un chef de cartel fait appel à une avocate pour se retirer des affaires -et surtout changer de sexe. Le tout en chansons, parce que c’est un musical !

Ca va être bien ? 

Des superstars planétaires, de la bonne musique (Camille, qui co-compose la BO, chantait Le Festin à la fin de Ratatouille), Les Parapluies de Cherbourg comme modèle absolu, le superviseur musical d’Annette de Carax, un sujet affolant et affolé (Sicario en musical trans ?)… Oui, allez, on y croit. On croise les doigts, en chansons.

Ca palme ? 

Palme d’or 2015 à Cannes pour le controversé Dheepan, de toutes façons un peu lointain (la frange vigilante de la rédaction en garde un bon souvenir), Audiard risque de se refaire une santé avec cette Emilia-là. Entre nous, c’est surtout Selena qu’on guette, mais la surprise risque de venir de Karla Sofía Gascón, actrice andalouse de telenovelas qui pourrait mettre la Croisette en feu.

Emilia Perez - Zoe Saldana
Pathé

Caught by the Tides (Feng Liu Yi Dai) de Jia Zhang-Ke 

Ça parle de quoi ?

Du début des années 2000 à nos jours, itinéraire d’une femme à la recherche d’un amant jadis évaporé dans la nature parti tenter sa chance loin de la province où les tourtereaux se sont connus.  

Ça va être bien ?

Depuis Plaform en 2000, l’actrice Zhao Tao est la muse de tous les films de Jia Zhang-ke et son épouse depuis 2012. Une liaison qui se confond forcément un peu avec l’histoire de ce nouveau long-métrage dont la structure se nourrit d’images de leurs anciens films. Feng Liu Yi Dai s’envisage donc comme un film-somme du plus grand cinéaste « indépendant » chinois en activité.  

Ça palme ?

Malgré son statut d’auteur cannois respecté dont la présence en compet’ ne semble souffrir d’aucune discussion, Jia Zhang-ke n’a à son palmarès croisette qu’un Prix du scénario pour A Touch of Sin en 2013. Pas franchement de quoi décorer le sapin ! Avec cette plongée introspective au cœur de son propre corpus le cinéaste chinois serait bien inspiré d’écrire en avance son discours du 25 mai.  

Feng Liu Yi Dai
Ad Vitam

Les Graines du figuier sauvage (The seed of the sacred fig) de Mohammad Rasoulof

Ça parle de quoi ?

Une fresque de près de trois heures explorant les tourments d’une famille entre la soumission au pouvoir et les manifestations Femme, Vie, Liberté qui secouent le pays. Le récit tournerait principalement autour d’un juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran frappé par la méfiance et la paranoïa liés au brouillement politique ambiant.

Ça va être bien ?

Le nom de Mohammad Rasoulof est associé à celui de son ami Jafar Panahi, embêtés tous les deux par la justice de leur pays depuis 2009 suite à la réalisation d’un film en marge des manifestations en réaction à la réélection controversée de Mahmoud Ahmadinejad. Depuis Rasoulof, empêché de quitter son pays et de tourner des films, subit des intimidations à répétition. Il vient d’ailleurs d’être récemment condamné à huit ans de prison pour "collusion contre la sécurité nationale" mais a réussi à fuir l'IranSon cinéma contestataire et clandestin n’empêche pas un souffle à la fois intimiste et épique. On se souvient encore de la force de son précédent long Le diable n’existe pas, fable poético-politique sur les contradictions de la société iranienne.

Ça palme ?

Si l’ampleur artistique et politique du film est à la hauteur des attentes placées en lui, une Palme d’or célébrerait un des auteurs les plus stimulants du cinéma moderne et serait également un message fort envoyé au monde et à la République islamique d’Iran en particulier.   

The Seed of the Sacreed Fig
Pyramide Distribution

Grand Tour de Miguel Gomes

Ça parle de quoi ?

A Rangoon, en Birmanie, en 1917, Edward, un fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour de ses noces avec Molly. Celle-ci part sur les traces de l’époux en cavale et entame un « Grand Tour » à travers l’Asie.

Ça va être bien ?

La bande-annonce de Grand Tour, entre noir et blanc et couleurs, entre modernité et échos du cinéma « primitif », semble renouer avec l’esprit de Tabou, le plus célébré des films de Miguel Gomes, Ours d’argent à Berlin en 2012 – jusqu’à l’interrogation sur l’héritage du colonialisme et le filmage 16mm signé par le directeur photo Rui Poças. On peut espérer un regain de forme pour le Portugais, dont le dernier long, le confiné Journal de Tuoa, en 2021, ne parlait pas que de la crise sanitaire, mais aussi de sa propre crise artistique.

Ça palme ?

C’est la première fois en compétition pour Miguel Gomes, auteur d’ordinaire chouchou de la Quinzaine des Cinéastes, où Ce cher mois d’août et Les Mille et une nuits ont fait sensation, respectivement en 2008 et 2015. Il n’est pas le seul débutant dans la course (plein de petits nouveaux cette année : Payal Kapadia, Agathe Riedinger, Coralie Fargeat, Gilles Lellouche, Magnus Von Horn et Emanuel Parvu) mais le plus chevronné d’entre eux. Son parcours (Quinzaine, critiques cinq étoiles dans les Cahiers et les Inrocks, compétition) fait penser à celui d’Albert Serra, qui a secoué l’édition 2022 avec Pacifiction.

Grand Tour
Shellac Distribution

La Jeune femme à l’aiguille (Pigen med nålen) de Magnus von Horn

Ca parle de quoi ?

Copenhague, 1919. Karoline, une jeune ouvrière, lutte pour survivre. Alors qu’elle tombe enceinte, elle rencontre Dagmar, une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline accepte un rôle de nourrice à ses côtés.

Ca va être bien ? 

Le film précédent de Von Horn, Sweat et son influences sportive, a été peu apprécié à la rédaction. Là, son nouveau film évoque aussi bien Une grande fille de Kantemir Balagov (Cannes 2019) que le maniérisme clinique (le Danemark de 1919 shooté en noir et blanc). Bref, on ne demande qu’à se tromper, mais ça a l’air trop propre pour être honnête.

Ca palme ? 

Passé par la Quinzaine en 2015 avec Le Lendemain, le réalisateur suédois devait être à Cannes 2020 (celui de la pandémie) avec son Sweat -le voilà en compétition, donc, avec du noir et blanc historique. Pas dit que ça palme, donc, mais les accros à Cold War nous jugent déjà fort et ils ont bien raison.

La jeune fille à l'aiguille
Bac Films

Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos

Ca parle de quoi ? 

Trois histoires distinctes mais vaguement connectées. Une petite bande d’acteurs qui jouent un rôle différent dans chaque segment. Ce sera loufoque, ce sera déroutant, ce sera du Lanthimos. 

Ca va être bien ? 

Le cinéma de Yorgos Lanthimos divise, y compris au sein de la rédaction de Première. Mais après le succès de Pauvres créatures, qui a valu à Emma Stone l’Oscar de la meilleure actrice, on est très curieux de découvrir la nouvelle collaboration entre le réalisateur grec et la star américaine, qui ne se lâchent plus depuis La Favorite. D’autant que le reste du casting est tout aussi excitant, avec notamment Jesse Plemmons, Willem Dafoe et Margaret Qualley. Et que Lanthimos retrouve son co-scénariste fétiche, Efthimis Filippou, sept ans après La Mise à mort du cerf sacré

Ca palme ?

Avant de trouver refuge à Venise, où il a remporté le Grand Prix du jury avec La Favorite puis Le Lion d’Or pour Pauvres créatures, Yorgos Lanthimos était un pur cinéaste cannois. Il a été récompensé trois fois sur la Croisette (pour Canine, The Lobster et Mise à mort du cerf sacré) et son retour en grâce pourrait s’avérer triomphal même si Kinds of Kindness n'a pas un profil de Palme d'Or. Mais si Ruben Ostlund en a deux sur son étagère, Lanthimos peut bien espérer repartir avec la sienne à l’issue de la Quinzaine. 

Kinds of Kindness
Searchlight

Les Linceuls (The Shrouds) de David Cronenberg

Ca parle de quoi ? 

Un homme d’affaires quinquagénaire, inconsolable depuis le décès de sa femme, a inventé un système qui permet aux vivants de se connecter avec l’intérieur des tombes des disparus chers à leur cœur. Avant qu’une nuit, le système se retrouve victime de hacking et les tombes vandalisées.

Ca va être bien ? 

C’est en tout cas un film pas comme les autres dans la carrière de Cronenberg. Son plus personnel. Car il lui a été inspiré par la douleur de la perte de sa femme pour laquelle il s’était pendant de longues années éloigné des plateaux afin de passer tout ce temps au plus près d’elle. Les Linceuls a donc tout sur le papier pour être son film le plus déchirant, celui où il fend pour la première fois l’armure

Ca palme ? 

Si la première participation de Cronenberg à la compétition avec Crash en 1996 avait fait grand bruit et suscité la controverse, ce film reste à ce jour le seul reparti de la Croisette avec un prix (celui du Jury, présidé cette année- là par un certain… Francis Ford Coppola !). Depuis les cinq autres (SpiderA history of violenceCosmopolisMaps to the starsLes Crimes du futur) sont repartis bredouille. Les Linceuls changera t’il la donne ? A moins qu’il n’offre son premier prix cannois à Vincent Cassel (son interprète des Promesses de l’ombre et  d’A dangerous method) qui joue ici son alter ego ou un doublé à Diane Kruger (qui incarne sa femme et la sœur de celle- ci), sept ans après son trophée pour In the fade de Fatih Akin.

Les Linceuls
Pyamide

Limonov, la ballade de Kirill Serebrennikov

Ça parle de quoi ?

De la vie d’Edouard Limonov, telle qu’elle fut racontée par Emmanuel Carrère dans un livre paru en 2011. Voici comment l’auteur de D’autres vies que la mienne décrivait le sujet de son livre : « ll a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement. » Depuis la parution du livre, le monde a changé, Limonov est mort, et on ignore de quel côté penche Serebrennikov vis-à-vis de son sujet : héros ou salaud ?

Ça va être bien ?

La culture rock, la fièvre créatrice, l’âme russe, l’errance et le chaos… Limonov, la ballade se présente comme un condensé des obsessions de Serebrennikov. En guise de double de fiction de Limonov, le réalisateur de Leto a préféré un Anglais à un Russe : Ben Whishaw, qui a déjà joué les poètes à Cannes (dans Bright Star, de Jane Campion, en 2009). A noter que le scénario est co-écrit par un lauréat du prix de la mise en scène : Pawel "Cold War" Pawlikowski. Raison de plus pour être très impatient.

Ça palme ?

C’est la quatrième sélection en six ans pour Serebrennikov (après LetoLa Fièvre de Petrov et La Femme de Tchaïkovski), qui a donc son rond de serviette au festin cannois mais n’a encore jamais eu son nom au palmarès. Il est temps que ça change, non ?

Cannes 2024 Limonov
Wildside

Marcello mio de Christophe Honoré

Ca parle de quoi ? 

Chiara Mastroianni décide de s’approprier l’identité de son père Marcello et de l’imposer à son entourage personnel (sa mère Catherine Deneuve, ses ex Benjamin Biolay et Melvil Poupaud) et professionnel (Nicole Garcia et Fabrice Luchini avec qui elle s’apprête à tourner) d’abord dubitatif avant de comprendre qu’il s’agit de tout sauf une simple lubie

Ca va être bien ? 

Le désir annoncé de Christophe Honoré de signer à travers ce rapport père- fille et ce voyage dans la vie et l’oeuvre du génie du jeu italien doublement primé à Cannes pour Drame de la jalousie (1970) et Les Yeux noirs (1987) un hommage joyeux au cinéma et à ceux qui le font, promet énormément. C’est en tout cas sur le papier l’un des pitchs les plus secoués de la compétition

 Ca palme ? 

Comme pour Christophe Honoré (Les Chansons d’amour en 2007, Plaire, aimer et courir vite en 2018), les passages dans la compétition cannoise de Chiara Mastroianni (notamment pour Ma saison préférée en 1993, N’oublie pas que tu vas mourir en 1995 ou  Trois vies et une seule mort… avec son père en 1996) n’ont jamais été récompensés. Mais pour prolonger l’esprit malicieux du film, pourquoi ne pas imaginer un prix… d’interprétation masculine pour celle qui avait décroché celui de la section Un Certain Regard en 2019 pour Chambre 212 du même Honoré ?

GALERIE
Ad Vitam

Megalopolis de Francis Ford Coppola 

Ça parle de quoi ?

Dans une New York en pleine décadence, le conflit entre un artiste ayant le pouvoir d’arrêter le temps et un maire ultra-conservateur. 

 Ça va être bien ?

C’est le film qui fait le plus rêver les cinéphiles à l’approche de ce 77ème festival. Le come-back de Francis Ford Coppola ! Avec un film qu’il ambitionne de tourner depuis 40 ans ! Et qu’il a financé lui-même ! Le titre, qui n’essaye pas de la jouer modeste, fait fantasmer un nouvel opus magnum de la part du réalisateur du Parrain et de la Palme d’or Apocalypse Now, loin de l’avant-gardisme un peu abscons de sa dernière période (la trilogie L’Homme sans âge / Tetro / Twixt). Le casting est plein de têtes connues (Shia LaBeouf, Dustin Hoffman, Jon Voight…) et emmené par Adam Driver, qui, après le Don Quichotte de Terry Gilliam et le Ferrari de Michael Mann, poursuit la mission qu’il s’est fixée : aider les grands cinéastes vieillissants à accoucher de leur dream projects les plus fous.

Ça palme ?

Coppola, qui a vendu ses vignobles californiens pour financer Megalopolis, est toujours à la recherche d’un distributeur nord-américain pour son blockbuster expérimental. En choisissant de lancer celui-ci à Cannes, au risque des mauvaises critiques et du bad buzz, il tente un des coups de poker les plus flamboyants d’une carrière qui n’en manque pas. S’il réussit son pari, il pourrait écrire l’histoire en devenant le premier cinéaste lauréat de trois Palmes d’or. Ce qui serait somme toute logique, puisqu’il fut le premier à en avoir deux. La première fois – pour Conversation secrète – c’était il y a cinquante ans tout ronds.

Megalopolis - Francis Ford Coppola
Le Pacte

Motel Destino de Karim Aïnouz

Ca parle de quoi ? 

Un jeune homme débarque dans un motel onirique plongé dans la chaleur permanente du nord-est brésilien, et trouble les règles du lieu.

Ca va être bien ? 

Prix Un certain regard en 2019 avec son terrassant mélo La Vie invisible d'Eurídice Gusmão, Aïnouz était revenu à Cannes l’an dernier avec Le Jeu de la reine, surtout apprécié par la frange de la rédaction adepte d’history-porn. Bonne nouvelle : il revient au Brésil pour ce qu’il sait faire de mieux (le désir, le destin, tout ça), et franchement, avec un tel pitch, ça ne peut qu’être bien.

Ca palme ? 

Où sont passés les films cannois-lessiveuses, qui nous bouleversent et nous retournent dans tous les sens (comme La Vie invisible d'Eurídice Gusmão, vous l’avez compris) ? Il faut peut-être chercher au Motel Destino.

Motel Destino
Tandem

Oh, Canada de Paul Schrader 

Ça parle de quoi ?

Au soir de sa vie, un documentariste célèbre, interviewé par l’un de ses étudiants, se décide enfin à dire la vérité sur son existence. Pas tant pour celui qui l’interroge que pour sa femme, présente dans la pièce à côté de la caméra…

Ça va être bien ?

Légèrement has-been au début du siècle, Paul Schrader est revenu en force depuis l’excellent accueil réservé à First Reformed, en 2017. Il enchaîne depuis les films secs, tranchants, sous l’influence de son maître de toujours, Robert Bresson. Avec Oh, Canada, il est en terrain connu : il y adapte un livre de Russell Banks (dont il s’était déjà inspiré dans l’excellent Affliction, en 97) et y retrouve Richard Gere, la star de son classique 80’s American Gigolo. Cette évocation des tourments d’un artiste vieillissant est présentée par Schrader – qui a enchaîné les problèmes de santé ces dernières années – comme une sorte d’autoportrait.  

Ça palme ?

Paul Schrader s’y connaît en Palme d’or, puisqu’il a scénarisé l’une des plus mythiques de toutes – Taxi Driver, de l’ami Scorsese, en 76. A Cannes, en tant que réalisateur, il n’a été que deux fois en compétition – pour Mishima (prix de la contribution artistique en 85) et l’oublié Patty Hearst en 88. Son retour dans la course confirme sa résurrection artistique et médiatique de ces dernières années. Quant à Richard Gere, très discret au cinéma ces derniers temps, il rêve peut-être d’un prix d’interprétation. Tout est prêt en tout cas pour une célébration en bonne et due forme : sur l’affiche de Cannes cette année, il y a l’image d’un Kurosawa dans lequel il jouait en 91 (Rhapsodie en août). Et la musique officielle du festival (Le Carnaval des Animaux de Saint-Saëns) résonne encore plus fort à ses oreilles qu’aux nôtres, puisque c’est aussi celle des Moissons du ciel, chef-d’œuvre de Malick pour lequel il monta les marches en 1979.  

Oh, Canada -Jacob Elordi
ARP Sélection

Parthenope De Paolo Sorrentino

Ça parle de quoi ?

D’une femme (incarnée jeune par Celesa Dalla Porta et par Stefania Sandrelli plus âgée) et de Naples. Le portrait à travers quelques décennies de Parthenope, femme libre, belle et rebelle.  

Ça va être bien ?

Un grand film sur Naples, mélancolique et extravagant par le cinéaste napolitain, esthète surdoué ? Après La Main de Dieu, projet si personnel, Sorrentino semble creuser toujours plus loin ses obsessions. Mais s’il a l’habitude de portraiturer les vieux sages, les misanthropes ou les pervers décatis (parfois même les trois en même temps), cette fois-ci Parthenope se concentre sur une figure féminine. Les proches du cinéaste évoquent un grand film baroque, une ronde avec toujours plus de personnages, une déclaration d’amour à sa Cité, aux femmes, et à la liberté. 

Ça palme ?

Pur produit cannois, ça faisait quand même un moment qu’on n’avait pas vu le cinéaste sur la Croisette (pour cause de films trop long ou de deal Netflix). Quoiqu’il en soit, jusque là, ça n’avait jamais marché pour lui. Sorrentino est reparti avec deux prix du jury (pour Il Divo et This Must Be The Place), mais jamais la récompense suprême. Avant le début du festival, ChatGPT l’annonçait cette fois-ci grand gagnant. Mais peut-on se fier à un logiciel d’intelligence artificielle pour parler du plus instinctif, du plus sensuel et du plus libre des cinéastes en compétition ?

Parthenope
THE APARTMENT -PATHE

La Plus Précieuse Des Marchandises de Michel Hazanavicius

Ca parle de quoi ?

Au cœur de la seconde guerre mondiale, un couple de bûcherons polonais recueille un bébé juif que son père a jeté du train le conduisant avec sa femme et le frère jumeau de ce nouveau- né vers un camp de concentration. En espérant ainsi lui sauver la vie  

Ca va être bien ? 

Ce film d’animation est adapté du magnifique livre (publié en 2019) de Jean- Claude Grumberg qui y abordait les horreurs de la seconde guerre mondiale – thématique au centre de son œuvre - sous la forme d’un conte. La Plus précieuse des marchandises a déjà été porté au théâtre avec une nomination aux Molières 2022 dans la catégorie meilleur auteur francophone vivant. Tous les signaux sont donc au vert pour la version de Michel Hazanavicius

Ca palme ? Déjà peu présents au palmarès (Dumbo, Grand Prix du dessin animé en 1947, La Planète sauvage, Prix du jury en 1973, Persepolis Prix spécial du jury en 2007), aucun film d’animation n’a décroché la fameuse Palme. Un sommet du genre comme Valse avec Bachir était même reparti bredouille. Hazanivicius, grand habitué de la Croisette où il a connu des fortunes diverses (encensé avec The Artist, descendu pour The Search et accueilli sans enthousiasme avec Le Redoutable et Coupez !) a donc la possibilité d’écrire l’histoire !

La Plus Précieuse Des Marchandises 37
StudioCanal

The Substance de Coralie Fargeat

Ça parle de quoi ?

Sur la foi énigmatique de son synopsis en forme de pacte faustien qui pose en préambule cette vertigineuse question : « Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? », on imagine sans mal que l’héroïne campée par Demi Moore va être tentée par une cure de rajeunissement miraculeuse. Sur la foi des propos de sa réalisatrice Coralie Fargeat qui définit son film comme un « body-horror féministe », on imagine aussi sans mal que les choses n’auront de miraculeuses que le nom et que la métamorphose aura des conséquences, disons, dantesques. 

Ça va être bien ?

Demi Moore et Dennis Quaid pour l’aspect iconique, saupoudré de Margaret Qualley (OUATIH, Pauvres créatures…) en représentante d’une jeunesse triomphante, le casting de The Substance promet beaucoup. Quant à Coralie Fargeat, les souvenirs aussi sanglants que lumineux de son Revenge en 2018 laissent augurer d’un geste jusqu’au-boutiste certes ultra-référencé mais jubilatoire. C’est d’ores et déjà un grand oui. 

Ça palme ?

Titane de Julia Ducournau ayant ouvert la voie royale au "mauvais genre" qui clignote de partout, The Substance pourrait profiter de cette percée que d’aucuns voudraient voir se reproduire afin d’installer tous les fantômes dans la bergerie cannoise, ou au contraire pâtir d’une inévitable comparaison avec cet encombrant modèle. Reste donc à découvrir le film afin de mesurer la portée de sa singularité émancipatrice.   

The Substance
Universal Pictures / Working Title Films

Trois Kilomètres Jusqu’à La Fin Du Monde (Trei Kilometri Pana La Capatul Lumii) de Emanuel Parvu

Ca parle de quoi ? 

Un jeune gay se fait agresser une nuit d’été, alors qu’il passait les vacances dans son village natal. Sa famille -et son bled- vont se fissurer jusqu’à l’effondrement.

Ca va être bien ? 

Difficile de ne pas penser à Mungiu (même pays, même feeling européo-claustro) en voyant apparaître le film sur le radar cannois. Ou à Dolan avec son titre eschatologique… Bref, un candidat idéal pour Cannes.

Ca palme ? 

Trop idéal ? Le film précédent de Parvu, Meda ou Le moins bon côté des choses, est visible sur Netflix, si vous voulez savoir à quoi vous attendre. C’est l’histoire d’un bûcheron qui bascule dans l’illégalité pour garder sa fille adoptive…

3 kilomètres jusqu'à la fin du monde
Memento Distribution