Cannes jour 10
DR

Tous les jours, le point à chaud en direct du 78e festival de Cannes.

Le film du jour : Woman and Child de Saeed Roustaee

Après La Loi de Téhéran de Leïla et ses frères, qui était déjà en compétition à Cannes en 2022, Saeed Roustaee continue de disséquer la société iranienne avec Womand and Child. Un pur drame familial dans la lignée d’Une Séparation d’Asghar Farhadi, et un parfait complément du film de son compatriote Jafar Panahi, Un Simple accident, lui aussi en course pour la Palme d’Or cette année. 

Infirmière veuve de 40 ans, Mahnaz (Parinaz Izadyar, sublime) élève seule ses enfants, avec sa mère et sa sœur. Elle est sur le point de se remarier avec son petit ami Hamid, mais un drame survient et tout s’écroule. Trahie par ses proches, elle se bat pour obtenir justice dans ce pays croulant sous le poids du patriarcat et de règles archaïques. Dans l’Iran des mollahs, en collectant quelques témoignages (du voisin, du collègue, du beau-père…) on peut faire perdre son emploi à l’un, la garde de sa fille à l’autre. 

La multiplication des rebondissements frise parfois avec la telenovela, mais grâce à l’interprétation impeccable des acteurs (dont le toujours juste Payman Maadi et la révélation Soha Niasti, dans le rôle de la sœur de l’héroïne) et à une mise en scène inspirée, ça fonctionne toujours. Et Woman and Child nous tient en haleine jusqu’à son final déchirant. Le prodige Roustaee, 35 ans, sera-t-il cette fois récompensé au palmarès ? 

Woman and child
ABACA

L’uppercut du jour : Yes de Nadav Lapid

Cette après-midi à la Quinzaine des cinéastes, il y avait de la tension dans l’air. Les vigiles avaient visiblement reçu l’ordre de redoubler de vigilance dans le contrôle des sacs. On projetait Yes de l’Israélien Nadav Lapid, brûlot égotique et tourmenté sur la violence de son pays depuis les attentats du 7 octobre. Le cinéaste (Synonymes, Le Genou d’Ahed...) connu pour ses prises de positions à l’encontre de la politique droitière de son pays, ne pouvait pas rester silencieux.

Yes raconte le parcours d’un musicien-ambianceur engagé pour écrire un hymne de propagande à la gloire de Tsahal. Dans un pays enfiévré et déboussolé depuis les attentats du Hamas, notre homme est tiraillé entre son désir d’ascension sociale et ses convictions artistiques et politiques. La mise en scène opère des embardées, des ruptures de ton, des montées de fièvre, ne laissant aucun répit à une (mauvaise) conscience ressentie physiquement par le héros et les spectateurs. Radicalité tapageuse mais jamais racoleuse, Lapid semble parler à la première personne à travers les contradictions de son protagoniste. 

Après 2h30 de ce régime-là, l’électricité dans la salle était palpable. Quelques sifflets de rigueur ont été vite recouverts par des applaudissements. L’acteur Ariel Bronz s’est cru autorisé à faire des saluts nazis à l’encontre des spectateurs hostiles sans que ce geste violent ne provoque de réactions particulières. Il est temps que tout ça se termine. 

Yes de Nadav Lapid
Les films du losange

La vidéo du jour : Cédric Klapisch pour La venue de l’avenir 

En marge de la course à la Palme d’or, l’évènement du jour, hier à Cannes, c’était aussi la projection du nouveau Cédric Klapisch, La venue de l’avenir, hors compétition. Le réalisateur de L’Auberge espagnole, qui n’avait jamais présenté un film sur la Croisette (!), nous a parlé de l’influence de la Nouvelle Vague sur son œuvre, et du travail de reconstitution du Paris du XIXe siècle qu’il a effectué pour son récit en double temporalité qui parle justement d’héritage. 

 

La star du jour : Renate Reinsve dans Valeur sentimentale 

Après son explosion sur la Croisette en 2021 avec le somptueux Julie (en 12 Chapitres), la norvégienne Renate Reinsve fait son grand retour chez Joachim Trier avec Valeur sentimentale, film en compétition sur deux soeurs qui voient leur père, réalisateur (ça a son importance), revenir dans leur vie après de longues années d’absence. Un joli objet résolument bergmanien, fragile et théorique, sur le cinéma comme seul moyen de communication intrafamilial. Reinsve y est grandiose dans une partition downtempo, tout en regards fuyants et petites phrases assassines. Une girl next door fracassée par le désintérêt de son papounet à son endroit, mais fièrement sûre de son pouvoir d’attraction. Même Elle Fanning, également au casting, ne peut pas rivaliser. Aucun doute, a star is reborn à Cannes.

Sentimental value (avec Renate Reinsve)
MUBI

L’interview du jour : Cannes vu par John C. Reilly

Tout le monde adore John C. Reilly, acteur de quelques comédies légendaires des années 2000 (Frangins malgré eux, Walk Hard…) et vieux compagnon de route de Paul Thomas Anderson. L’acteur présente à Un Certain Regard Testa o Croce ? (Pile ou face ?), un western italien où il incarne Buffalo Bill face à Nadia Tereszkiewicz. L’occasion pour lui de nous raconter sa relation privilégiée à un festival où il a désormais son rond de serviette.

Comment ai-je fait pour devenir un 'régulier' cannois ? Je choisis les bons projets, voilà comment ! La première personne avec qui je suis venu à Cannes, c’était Paul Thomas Anderson, pour son premier film (Sydney, présenté à Un Certain Regard en 1996). Moi, c’était déjà mon 13ème film, ce qui veut dire que j’avais quand même fait 12 films non-sélectionnés à Cannes, ah ah ! On était encore des gosses avec Paul, on n’avait chacun qu’un seul costard digne de ce nom à nous mettre. Puis il y a eu d’autres films au fil du temps, We Need to Talk about Kevin, Tale of Tales, The Lobster… Mon anniversaire est le 24 mai, donc quand je suis à Cannes, je souffle des bougies ! J’ai fêté mes 50 ans ici en 2015, et je vais y fêter mes 60 ans cette année… C’est vraiment devenu un marqueur de ma vie.

Le plus fort, c’était la présidence du jury Un Certain Regard, il y a deux ans. Quand on m’a proposé cette responsabilité, j’étais un peu déprimé vis-à-vis du cinéma, je me disais que c’était devenu ce truc de niche, que le streaming avait gagné… Puis je suis venu, pas pour parler de moi ou me faire prendre en photo, non : pour voir 19 films en dix jours, des films venus du monde entier, faits par des gens pour qui le cinéma est essentiel. Et ça m’a totalement regonflé ! En rentrant aux Etats-Unis, j’étais content que la série dans laquelle je jouais (Winning Time) prenne fin, parce que Cannes m’avait rappelé que mon médium, mon moyen d’expression, c’est vraiment le cinéma. Vous savez, quand les choses se passent bien ici, on a l’impression d’être sur le toit du monde. Il n’y a pas d’endroit plus cool. Je ne parle pas que pour moi : je suis sûr que Martin Scorsese, Leonardo DiCaprio ou Tom Cruise ressentent exactement la même chose.

John C. Reilly, Nadia Tereszkiewicz et Alessandro Borghi (Testa o Croce)
ABACA

Aujourd’hui à Cannes

On file à la conversation avec Thomas Cailley à la Quinzaine, on regarde attentivement la version restaurée 4K de Barry Lyndon à Cannes classics, puis on repart dans le dur avec The Mastermind de Kelly Reichardt et Jeunes Mères des frères Dardenne en compétition. Petite pause, puis 13 Jours 13 nuits de Martin Bourboulon hors compète et Honey Don't d'Ethan Cohen en Séance de minuit. Joli programme pour un avant-dernier jour, non ?