De Mean Streets à Killers of the Flower Moon, Scorsese raconte ses dix films avec De Niro
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En un demi-siècle, ce duo légendaire a marqué le cinéma moderne de manière indélébile.

Après avoir démarré sur les chapeaux de roue, avec 5 films en 9 ans (!), le rythme des collaborations entre Martin Scorsese et Robert de Niro a sérieusement ralenti par la suite. Les deux hommes ne tourneront en effet que 5 nouveaux longs-métrages au cours des quatre décennies suivantes. 8 ans après La Valse des Pantins, ils se retrouvent dans les nineties pour Les Affranchis, Les Nerfs à Vif et Casino. Avant d'entamer une pause interminable de 23 ans jusqu'à leurs retrouvailles dans The Irishman. 

Ils n'ont pourtant jamais cessé de discuter de divers projets (De Niro a failli jouer dans Gangs of New York et Les Infiltrés), et même si le réalisateur a trouvé un nouveau chouchou en la personne de Leonardo DiCaprio, Bob demeure l'acteur fétiche de Marty. Et il a enfin pu réunir ses deux partenaires privilégiés dans son dernier film, Killers of the Flower Moon, actuellement à l'affiche. 

De Mean Streets à Killers of the Flower Moon, Scorsese raconte ses dix films avec De Niro (partie 1)

Les Affranchis (Goodfellas, 1990)

Le film des retrouvailles. Alors qu’ils ont tourné cinq films ensemble entre 73 et 82, dans une symbiose artistique totale, Scorsese et De Niro passent la majeure partie des années 80 à mener des carrières parallèles. Hollywood a changé et la période voit les deux hommes assurer leurs arrières en tournant des films plus commerciaux, comme La Couleur de l’Argent (pour Marty) ou Midnight Run (pour Bob).

Les Affranchis est un retour aux fondamentaux : la Mafia, l’identité italo-américaine, le sang sur les murs et les Stones en bande-son. De Niro a vieilli, il ne pourra pas tenir le rôle principal, qui échoit à Ray Liotta. Mais l’acteur lit néanmoins le livre de Nicholas Pileggi dont s’inspire le film, et appelle Scorsese pour lui dire que le personnage de l’Irlandais, Jimmy « the Gent » Conway, l’intéresse. Un temps envisagé pour le rôle, John Malkovich va donc laisser sa place à De Niro... Scorsese, de toute façon, préfère tourner avec des comédiens proches de lui, de son monde : « Des tas d’acteurs formidables se bousculaient pour jouer dans Les Affranchis et j’aurais bien aimé les employer, mais il leur aurait fallu se documenter longuement sur ce style de vie. J’ai choisi des comédiens comme Ray Liotta, Joe Pesci, Lorraine Bracco, De Niro, qui y avaient été exposés en grandissant. Cela les avait marqués. Ils ont pu puiser dans leurs souvenirs. »

Martin Scorsese et Robert De Niro sur le tournage des Affranchis
Moviestore Collection Ltd / Alamy / Abaca

Les Nerfs à vif (Cape Fear, 1991)

Ce remake d’un thriller sixties de J. Lee Thompson avec Robert Mitchum est le film le plus ouvertement – et presque agressivement – commercial tourné par Scorsese et De Niro. Le personnage de Max Cady, qui terrorise Nick Nolte et sa famille, peut être vu comme une version quasi cartoonesque de l’Archange de la mort que jouait De Niro dans Taxi Driver. Encore un film que l’acteur a poussé son ami à réaliser.

Scorsese : « A l’origine, c’était De Niro qui voulait le faire. Le rôle de Max Cady l’excitait ; il voyait le potentiel du sujet. Lui et Steven Spielberg. Ils m’avaient demandé de lire le script quand j’étais en plein montage des Affranchis. Je l’ai lu et relu. Trois fois. Et chaque fois je l’ai détesté. La famille heureuse était beaucoup trop cliché. Des Martiens ! Max était un croque-mitaine et c’est avec lui que je sympathisais : qu’il nous débarrasse de ces saintes nitouches ! Bobby et Steven insistèrent. Quand je lui ai dit que je détestais cette famille, que je détestais ce script, Steven a fini par dire : « Si tu ne l’aimes pas, tu peux le changer. Pourquoi ne le réécris-tu pas ? C’est ce que j’ai fait. En reprenant tout à zéro avec Wesley Strick. Il y eut 24 moutures du scénario avant que nous commencions à tourner. »

Martin Scorsese et Robert De Niro sur le tournage des Nerfs à vif
Entertainment Pictures / Alamy / Abaca

Casino (1995)

Les Affranchis au carré. Le monument du film de mafia, dans lequel De Niro joue un personnage inspiré de Frank « Lefty » Rosenthal, l’homme qui gérait le Stardust de Las Vegas pour le compte de la mafia de Chicago. Le film va bénéficier du proverbial investissement de sa star dans son travail préparatoire.

Scorsese : « Bob nous a aidé à développer certaines séquences, à donner une plus grande cohérence à son rôle, et nous avons incorporé dans le script le résultat de nos séances avec lui. Pareil avec Joe Pesci, dans une certaine mesure, mais c’est Bob qui était le personnage principal et le fil conducteur. Bob a passé un certain temps avec Rosenthal en Floride. Il a dû faire un long travail de préparation. Ce n’était pas évident pour lui de maîtriser tous les jeux qui sont offerts dans un casino. Quand il prit la direction du Stardust, Rosenthal lui-même ne les connaissait pas tous. C’était avant tout un handicapeur. Savoir comment parier, et combien, c’est une chose, mais gérer un casino, c’est une toute autre affaire. »

Martin Scorsese, Robert De Niro et Sharon Stone sur le tournage de Casino
United Archives GmbH / Alamy / Abaca

The Irishman (2019)

Près d’un quart de siècle après leur dernière collaboration, De Niro et Scorsese se retrouvent. Entre-temps, le réalisateur s’est choisi un nouvel acteur fétiche en la personne de Leonardo DiCaprio. Un fils plutôt qu’un frère. Mais son vieux complice n’est jamais loin. C’est d’abord à lui que l’acteur pense pour les rôles de Bill le Boucher dans Gangs of New York, puis de Frank Costello dans Les Infiltrés (finalement tenus par Daniel Day-Lewis et Jack Nicholson). Et De Niro vient frapper à la porte de Scorsese pour lui proposer la réalisation de Mafia Blues, que le cinéaste décline poliment (« J’ai dit à Bob : « on a déjà fait ce film, ça s’appelle Les Affranchis ! »). Les deux hommes se croisent à l’occasion pour une pub American Express, ou au casting vocal du dessin animé Gang de requins.

Ils finissent par décider de raconter la vie de Frank Sheeran, l’homme qui aurait tué Jimmy Hoffa. Encore un projet que De Niro a apporté à Scorsese : « Avant même que je lise la première page, Bob m’a décrit le livre avec beaucoup de détails. En en parlant, il devenait très émotif. »

Le temps a passé, et cette folie Netflix à 200 millions de dollars dans laquelle De Niro se livre aux joies du de-aging, parlera justement de ça : du temps qui passe. « Bob et moi sommes septuagénaires désormais, nous avons une nouvelle perspective sur l’existence et nous pouvons approcher ce genre d’histoire d’un œil neuf. (…) C’est un film réflexif, sur des personnes âgées. Presque un huis-clos d’une certaine façon. Il y a de l’action, de l’énergie, une vraie ampleur narrative, tout ce qu’on veut, mais aussi le rythme du souvenir, de la réminiscence. »

Robert De Niro, Joe Pesci et Martin Scorsese sur le tournage de The Irishman
Credit: Niko Tavernise/ Netflix / The Hollywood Archive

Killers of the Flower Moon (2023)

Après le tour de chauffe The Audition en 2015 (une pub pour un hôtel-casino de Manille en forme de court-métrage comique), Martin Scorsese réunit pour la première fois ses deux acteurs préférés, De Niro et DiCaprio, dans un long-métrage en bonne et due forme. La légende raconte que quand Bob tournait Blessures secrètes, de Michael Caton-Jones, avec le petit Leo, au début des années 90, il avait téléphoné à Marty pour lui dire que ce gamin avait un truc à part…

C’est le dixième Scorsese de De Niro, le sixième de DiCaprio : un projet initié par Scorsese et DiCaprio, inspiré du livre-enquête de David Grann sur des meurtres d’Indiens Osage dans l’Oklahoma des années 1920, et sur lequel s’est greffé De Niro, attiré par la perspective d’ajouter des nuances nouvelles à son vieil emploi de monstre mafieux au sang-froid.

Scorsese : « Avec Robert, nous avons connu des périodes de collaboration intense et d’autres où nos carrières nous ont tenus longtemps éloignés, même si nous restions en contact. J’avais vraiment espéré qu’il jouerait le rôle principal de Gangs of New York en 2002 (interprété par Daniel Day-Lewis – ndlr) mais ça ne l’a pas vraiment intéressé. Nous étions déjà en train de travailler sur le scénario de Killers of the Flower Moon quand nous avons commencé le tournage de The Irishman, et tout s’est fait assez naturellement. Il était intrigué par la noirceur du personnage du riche fermier William Hale et, comme moi, par son ambivalence, le sentiment que ces crimes affreux étaient dans l’ordre des choses. » Avec DiCaprio, le travail passe par beaucoup de discussions, de questionnements, de recherches documentaires. La méthode est différente avec De Niro, basée sur une entente tacite : « J’ai commencé le cinéma avec lui, nous venons du même endroit, nous parlons le même langage et nous avons développé une entente quasi instinctive. »

Robert de Niro, Jesse Plemmons et Martin Scorsese sur le tournage de Killers of the Flower Moon
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Sources : Martin Scorsese, entretiens avec Michael Henry Wilson (Centre Pompidou / Cahiers du cinéma), Conversations avec Martin Scorsese de Richard Schickel (Sonatine), Télérama n°3848, Première, Deadline