Trois questions à l’acteur de 51 ans, célébré au Festival du cinéma américain de Deauville.
Grand acteur modeste à la filmographie gargantuesque (Gatsby le Magnifique, Warrior, It Comes at Night, Master Gardener, Zero Dark Thirty, Animal Kingdom, Star Wars : épisodes II et III…), l'Australien Joel Edgerton recevait hier un Deauville Talent Award au Festival du cinéma américain, et inaugurait sa cabine de plage sur les célèbres Planches. "Je n’ai jamais pensé être particulièrement talentueux. Mais j’accepte humblement cette distinction puisqu’elle signifie une reconnaissance des années de travail que j’ai consacrées à ma passion : raconter des histoires", a expliqué celui qui est également réalisateur, scénariste et producteur.
Venu défendre le très beau Train Dreams (le 21 novembre prochain sur Netflix) et le pas moins passionnant The Plague (sans date chez nous), il a pris quelques minutes pour discuter avec Première.
Première : On imagine le scénario de Train Dreams assez aride et plutôt intimidant pour un acteur : tout le film repose sur votre personnage, un taiseux qui cherche sa place dans le monde au début du XXe siècle… Pas si simple à faire tenir debout sans tomber dans le pathos.
Joel Edgerton : Effectivement, mais certaines de mes performances préférées sont celles d'hommes qui cachent leurs sentiments. Je pense instinctivement à Anthony Hopkins dans Les Vestiges du jour : quand je le vois, je me dis qu’il est tellement investi qu’il devait se cacher de la caméra pour verser une larme. J’aime beaucoup que mon personnage de Train Dreams, Robert Grainier, s’excuse à un moment d’avoir montré son chagrin : « Je suis désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris… »
Et en tant que spectateur qui a suivi ce qui lui est arrivé, vous vous dites : « Si si, on comprend bien ce qui t’as pris ! » (Rires.) C’est très subtil mais ça raconte tout de lui. Le réalisateur, Clint Bentley, a réussi à transposer à l’écran un livre extrêmement difficile à adapter [le film est tiré du roman de Denis Johnson]. Plus qu’avec tout personnage que j’ai incarné jusqu’ici, j’ai senti que j’étais taillé pour ce rôle.
Pourquoi ?
C’est très lié aux émotions. J’ai deux jeunes enfants, qui avaient deux ans quand on a tourné le film. L’idée de les perdre me hante. Quand ils étaient nourrissons, je les observais à l’hôpital et je me m’inquiétais de savoir s’ils allaient survivre. Tout va bien pour eux, hein, ils sont en bonne santé, mais à chaque fois que je repense à cette période, la peur me submerge. Et sans trop en dire sur ce qui se déroule dans Train Dreams, il y avait une logique et une simplicité absolue à jouer avec ça pour incarner Grainier, d’utiliser cette intériorité. La grande question était : est-ce que je voulais réellement utiliser ces sentiments dans mon travail ? C’était un défi, car je ne l’avais jamais fait auparavant.
Donc devenir père a changé votre rapport à l’acting ?
En partie. Mais en fait, c’est autre chose qui m’a fait évoluer. J’ai toujours admiré les acteurs qui se transforment. Cependant, avec l'âge, je me rends compte que ces transformations ne valent la peine d'être observées par un spectateur que si elles sont authentiques. Je peux bien m’habiller comme je veux, prendre différents accents ou changer de corps : si cela ne repose pas sur une vérité, alors ce n'est qu'une imitation. Une mascarade. Mes acteurs préférés sont ceux qui ne se cachent derrière rien. Ceux qui vous donnent l’impression d’ouvrir leur cage thoracique ou le haut de leur crâne et d’exposer leurs sentiments l’air libre. Et ça, j’en ai longtemps eu la trouille. Je ne me sentais peut-être pas assez profond pour me montrer ainsi à nu…
Je ne suis évidemment pas Robert, je ne suis pas bûcheron, et son accent n’est pas le mien. Mais il y a réellement en lui une sorte de manifestation de moi. Ce personnage m’a offert une dose de confiance que je n’avais pas. Je n’ai plus besoin de me cacher.







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