Dans Sous le vent des marquises, il bouleverse en comédien qui, malade, quitte le tournage du film où il devait jouer Brel pour tenter de regagner le temps perdu avec sa fille. Rencontre.
Comment avez-vous réagi quand Pierre Godeau vous a parlé pour la première fois de Sous le vent des marquises et de ce rôle de comédien qui, apprenant qu’il est atteint d’une grave maladie alors qu’il entame un tournage où il doit jouer Jacques Brel, décide de tout plaquer pour partir en Bretagne passer du temps alors que ses liens avec elle se sont distendus au fil des années ?
François Damiens : Mon premier réflexe a été de me dire que si ça parle de Brel, il ne fallait surtout pas y aller ! (rires) Ca fait partie des figures auxquelles il ne faut surtout pas toucher. J’ai donc eu très peur, même après avoir compris qu’il ne s’agissait pas d’un biopic mais que je devais incarner un acteur jouant Brel. Car il était alors question que je chante. Je n’avais aucune envie de me faire dézinguer à la Kalashnikov ! (rires) Ca, Pierre l’a très vite entendu. Et à partir de là, en dehors du fait d'interpréter un acteur qui joue un acteur, ce récit a vite trouvé un écho en moi. Sous le vent des marquises parle de de la liberté, de la lâcheté, du déni de la maladie, de cette utopie qu’il y a à vouloir rattraper le temps passé qui est perdu pour toujours. J’ai aimé la pudeur avec laquelle Pierre traite de ces sujets- là.
Ce rôle de comédien vous a donc tout de suite parlé ?
Je vois ça à ma toute petite échelle. Quand je pars en tournage et que je reviens deux mois après, j’ai l’impression qu’un trou s’est creusé entre ma famille et moi. Car ils ne vont évidemment pas mettre leur vie entre parenthèses pour moi. Je me rappelle qu’à mes débuts, je voulais que tout le monde soit présent la veille de mon départ et à mon retour. Mais j’ai compris que je ne pouvais pas exiger ça d’eux, leur imposer mon emploi du temps. On entend souvent des comédiens regretter de ne pas avoir vu grandir leurs enfants. Or personne ne fait carrière en restant dans sa cuisine et personne ne peut rattraper le temps passe. Benoît (Poelvoorde) a dit un jour très justement qu’on n’était pas payé pour faire un film mais pour ne pas être chez soi. Je pense souvent à ça. J'essaie donc de pas trop me tromper quand je choisis un film. Ne pas partir deux mois pour faire un truc pas vraiment nécessaire.
Comment choisissez-vous vos films justement ?
J’ai un agent, Laurent Grégoire, qui n’est pas le plus mauvais… (rires) Mais ce que j’aime au fond, c’est faire des films qui me font peur. Je lis souvent des scénarios où d’emblée je vois que j’ai déjà fait ça. Et moi, je pense toujours aux spectateurs, je n’aime pas les prise d’otage, je n’ai pas envie de prendre 1h30 de la vie de quelqu'un pour lui montrer un truc qu'il a déjà vu. Bruel disait « il est urgent d'être imprudent » et je partage tout à fait son, avis. On ne meurt pas de se planter !
Comment avez-vous construit votre personnage ?
Ça s’est fait simplement. Pierre (Godeau) est déjà quelqu'un de très doux, très à l'écoute. Et lui derrière la caméra comme nous devant, avons essayé de tout ramener à la simplicité. Je crois que je n’ai jamais aussi peu joué que face à Salomé (Dewaels) qui joue si génialement ma fille. Il suffisait qu’on se regarde droit dans les yeux pour se comprendre. D’autant plus que Pierre a réussi à écrire avec beaucoup de légèreté la situation pesante entre ce père et cette fille. On n’est jamais dans le pathos. On a beaucoup joué avec le silence pour éprouver ce temps long du lien distendu.
Comment avez-vous vécu cette journée de tournage où votre personnage entre dans la peau de Brel ?
Ca a vraiment été une journée très spéciale pour moi car j'avais navigué toute la journée : j’avais amené, de Lorient à Saint-Malo, un bateau qui faisait la Route du Rhum. Puis j'avais roulé toute la journée vers le plateau comme on tournait de nuit. Donc là, je me suis vraiment pris pour Jacques Brel ! (rires) On a commencé à 2 h du matin et terminé deux heures plus tard. C'est l’un de mes plus beaux souvenirs de scène. C’était assez jouissif.
Pratiquer la voile régulièrement est, pour vous, une quête de liberté ?
Complètement ! C'est en ça que j'apprécie Brel. Je partage avec lui ce sentiment d'aller vers l'inconnu et de se sentir libre. En mer, personne ne te dit ce que tu dois faire. C'est toi le seul et unique responsable de toi même et de ton équipage du bateau. Toi qui dois te sentir ou capable ou pas de faire une traversée. Dans un monde de plus en plus corseté par des règles, ça n’a pas de prix !
Sous le vent des Marquises. De Pierre Godeau. Avec François Damiens, Salomé Dewaels, Roman Kolinka : Durée : 1h31
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