M. Night Shyamalan revient dans Première sur les origines de sa trilogie.
La semaine prochaine sortira Glass, un film événement puisqu’il boucle une trilogie initiée il y a 19 ans avec Incassable et relancée en 2017 grâce à Split. Le réalisateur M. Night Shyamalan nous en parle au sein des deux nouveaux numéros de Première : le n°492, paru début janvier avec le casting du Chant du loup en couverture, et le hors-série bilan 2018/preview 2019, dont la une est justement consacrée à James McAvoy, Samuel L. Jackson et Bruce Willis.
Glass : Du grand Shyamalan [Critique]Le cinéaste revient notamment sur le fait qu’il a eu l’idée de créer trois histoires liées dès l’écriture d’Incassable, à la fin des années 1990. Voici un extrait de cet entretien captivant, en attendant la sortie de Glass, le mercredi 16 janvier.
PREMIÈRE : Parlez-nous de la genèse de Glass. Je crois savoir que le film était déjà plus ou moins conceptualisé à l’époque d’Incassable.
M. NIGHT SHYAMALAN : Oui, les trois films – Incassable, Split et Glass – étaient inclus dans le traitement original d’Incassable. D’un côté, vous aviez ce type, Kevin, qui kidnappe trois jeunes filles et dont on apprend qu’il est habité de personnalités multiples, lesquelles anticipent la visite d’une nouvelle entité dans leur groupe, appelée la Bête. « La Bête arrive ! La Bête arrive ! » À l’autre bout de la ville, David Dunn échappait par miracle à une catastrophe. Il est le seul survivant d’un crash ferroviaire et un vieux fou en chaise roulante, Elijah Price, vient le trouver en lui disant qu’il est un authentique superhéros, du moins le descendant d’une lignée de gens « spéciaux » ayant directement inspiré la mythologie moderne des Super. David n’y croit pas, mais pendant ce temps-là, tic-tac tic- tac, Kevin part réveiller la Bête dans un dépôt de trains abandonné. Finalement, Elijah, qui dans cette version était une sorte de mentor bienveillant dans le genre du professeur Xavier, réussit à convaincre David Dunn de tester ses pouvoirs dans un lieu public. Dunn se rend donc dans une gare et tombe nez à nez avec la Bête, qui le conduit jusqu’aux filles kidnappées... Le cinéma est l’art de la structure, le résultat d’un alignement quasi scientifique entre intrigue et personnages. Plus l’intrigue prend l’ascendant, et plus les spectateurs se sentent engagés et « conduits » à l’intérieur du film, mais le développement des personnages en souffre d’autant plus. (…) Dans cette première version d’Incassable, comme vous le voyez, l’intrigue prenait énormément de place. Du coup, je n’étais pas en mesure de développer les thèmes qui m’avaient intéressé en premier lieu : le sentiment de ne pas connaître sa place dans le monde et de se réveiller le matin complètement vide parce qu’on ne sait pas qui on est. Pourquoi le mariage de David Dunn n’a pas fonctionné ? Pourquoi est-il un mauvais père ? Qu’est-ce qui, dans son boulot, le rend si malheureux ? Les filles kidnappées devaient être sauvées, l’intrigue faisait tic-tac-tic-tac, et on n’avait plus vraiment le temps pour parler de ça... J’ai donc pris la décision de retirer Kevin du film, avec (déjà) l’idée que je m’occuperai de son cas ultérieurement.
Et Elijah Price est devenu l’antagoniste d’Incassable…
Et si le confident du héros était en fait le vilain de l’histoire ? Oui, ça fonctionnait. Et ça me permettait d’y ajouter ce concept de ying et de yang très répandu dans les comics. Le héros a besoin du méchant pour exister, et vice-versa.
Seize ans séparent Incassable de Split. Pourquoi un tel intervalle ?
Le tournage d’Incassable a pris fin en 1999 et les gens de Disney ne savaient pas comment le vendre. Ils ne voulaient pas le sortir comme un film comic book parce qu’ils pensaient que personne ne se déplacerait pour le voir. Bon, ils n’ont pas fait preuve d’une grande clairvoyance avec le recul, mais c’est toujours facile de se moquer aprèscoup. (Rires). On avait fait Sixième Sens ensemble et ils ont insisté pour positionner Incassable comme un film à suspense. On sortait d’une ère de cinéma mainstream définie par Steven Spielberg, Robert Zemeckis et Ron Howard, optimiste, euphorisante, qui renforçait le modèle de la famille nucléaire, et mon petit film sombre et contemplatif sur la mélancolie est plus ou moins passé à la trappe. N’oubliez pas qu’à l’époque, David Fincher et Chris Nolan étaient perçus comme des garnements asociaux qui faisaient leurs trucs maléfiques dans leur coin. Aujourd’hui, ils sont devenus l’épicentre du cinéma mainstream, une boussole esthétique pour l’industrie, qui ne jure plus que par les ambiances glauques et pessimistes – et je ne prétends pas savoir ce que ça dit sur nous en tant que société. De mon côté, j’ai aussi connu des bouleversements. L’insuccès de mes films de studio (Le Dernier Maître de l’air, After Earth) m’a contraint à redéfinir mes priorités en tant qu’artiste et à revoir mon système de production de fond en comble, au profit de films plus petits, plus noirs et plus malicieux, sur lesquels je me paye le luxe du contrôle absolu. Avec mon propre argent, littéralement. Ma maison est sous hypothèque au moment où je vous parle... Naturellement, organiquement, Split est né de cet intense processus de transformation. Le marché était mûr pour entendre l’histoire dark et maboule de Kevin, et moi aussi.
L’interview complète est à retrouver dans le hors-série n°6 :
Bande-annonce de Glass :
Commentaires