Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’EVENEMENT
JOSEP ★★★★☆
D’Aurel
L’essentiel
Un récit trépidant, magnifié par la beauté singulière de son animation.
Voilà un film qui fait regretter encore plus l’annulation du Festival de Cannes cette année. Tant il paraît évident que cette manifestation (dont il a reçu le Label 2020) aurait joué le rôle de tremplin mérité dans la carrière du premier long métrage du dessinateur Aurel, à l’image de ce qu’a pu vivre l’an passé Jérémy Clapin avec J’ai perdu mon corps, de sa sélection à la Semaine de la critique jusqu’aux Oscars et aux César. Mais le sort en a décidé autrement. Ce qui accroît notre responsabilité à partager avec le plus de justesse possible l’enthousiasme ressenti lors de sa découverte. Josep, c’est d’abord un coup de projecteur bienvenu sur un pan d’histoire tragique et longtemps tabou de l’histoire de France du XXe siècle. La Retirada. Ces 450 000 Espagnols fuyant en 1939 le régime franquiste (qui venait de conquérir l’Espagne) pour la France où ils se sont retrouvés parqués dans des camps construits à la hâte le long des plages des Pyrénées-Orientales. Ou comment en pensant être accueillis à bras ouverts dans le pays prétendument des Droits de l’homme, ces républicains se retrouvèrent maltraités et humiliés.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A ADORÉ
UN PAYS QUI SE TIENT SAGE ★★★★☆
De David Dufresne
À intervalles réguliers, le cinéma s’essaie à rebondir sur l’actualité récente. Mais ce geste se révèle souvent une course-poursuite perdue d’avance : le temps de fabrication d’un film rend rapidement son propos obsolète ou bégayant avec ce qu’on a pu voir ou lire entre-temps sur le sujet. Soit tout le contraire de ce Un pays qui se tient sage, le premier documentaire pour le grand écran de David Dufresne, consacré à l’analyse des affrontements violents récents et à répétition entre la police et les manifestants contre la politique du gouvernement. Pourquoi Dufresne réussit-il là où tant d’autres échouent régulièrement ?
Thierry Cheze
PREMIÈRE A AIMÉ
MON COUSIN ★★★☆☆
De Jan Kounen
L’irréductible Kounen se serait-il assagi ? L’enfant terrible parti sur les terres de la VR et des docs fumants aurait-il finalement décidé de rentrer dans le rang ? Sinon que vient-il faire à la tête de cette comédie inspirée par les comédies françaises popus des 70s ? Pierre (Vincent Lindon) est le PDG d’un alcoolier très puissant. Tous les cinq ans, il doit renouveler le contrat qui le lie à son cousin Adrien (François Damiens). Ce dernier est son antithèse : dépressif, maladroit, il a depuis des années délégué son pouvoir sans jamais demander de comptes. Mais cette fois, c’est terminé. Au cours d’un voyage qui les mènera dans les vignobles bordelais, ils vont être amenés à se rapprocher…
Pierre Lunn
KAJILLIONAIRE ★★★☆☆
De Miranda July
C’était il y a quinze ans déjà. On découvrait à la Semaine de la critique cannoise le nom de Miranda July avec son premier long métrage, Moi, toi et tous les autres. Auréolée d’une Caméra d’or, ce film venait en réalité de Sundance où July avait suivi un atelier d’écriture. On y retrouvait tous les stigmates d’un cinéma indé américain poético-intello (on ne disait pas encore bobo) où des êtres faussement banals se réinventaient un quotidien par la seule force de leur singularité. Des superhéros sans capes ni collants en somme, avec l’amour de l’autre comme unique et bel horizon. July – devant et derrière la caméra – produisait ainsi un cinéma raffiné et coloré dont Wes Anderson serait le totem, et pétri de bonnes ondes. Des ondes positives qui remettaient toutefois en cause l’esprit décalé de l’entreprise. Moi, toi et tous les autres était en réalité un film plutôt sage déguisé en clown triste, à l’instar de ses frères et sœurs du même âge (Juno, Little Miss Sunshine…). Quinze ans sont passés et voici Kajillionaire, son troisième long qui sonne comme un grand retour (on avait un peu oublié son deuxième, The Future, en 2011).
Thomas Baurez
BILLIE ★★★☆☆
De James Erskine
Elle s’appelait Eleanora Harris Fagan. Mais c’est sous le nom de Billie Holiday qu’elle a par sa voix écrit quelques-unes des plus grandes pages de l’histoire du jazz. Avec Billie, James Erskine ambitionne de résumer son œuvre impressionnante et sa vie mouvementée en 98 minutes. Et ce n’est pas la moindre de ses gageures ! Car, en lieu et place d’une biographie classique, de sa naissance en 1915 à sa disparition à seulement 44 ans, le réalisateur choisit un récit sortant des sentiers battus. Où il se fait télescoper l’histoire de la chanteuse avec celle de Lipnack Kuehl, une journaliste qui avait enquêté sur elle pour une biographie qu’elle n’a pas eu le temps d’achever avant de mourir dans des circonstances mystérieuses. Billie mêle donc images d’archives (restaurées et colorisées) de la chanteuse et témoignages sonores (Count Basie, Charlie Mingus, les avocats, les agents du FBI et les proxénètes de la diva du jazz…) d’une valeur inestimable recueillis par Kuehl. Ce documentaire rappelle que derrière la chanteuse culte, il y a une vie à la fois cabossée (viol dans sa pré-adolescence, drogues…) et engagée (sa chanson Strange Fruit, censurée par de nombreuses radios, est devenue au fil du temps l’hymne de la lutte pour l’égalité des Noirs américains). Mais il raconte aussi comment, en cherchant à retracer sa vie, Lipnack Kuehl a fini par perdre la sienne. Sur le papier, le geste peut paraître aussi capillotracté que confus. Mais la manière subtile dont Erskine joue avec les archives comme d’un puzzle, dont on sait qu’il restera toujours des pièces cachées, emporte le morceau.
Thierry Cheze
LA FEMME QUI S’EST ENFUIE ★★★☆☆
De Hong Sang-soo
À chaque nouveau film de Hong Sang-soo, on évolue en territoire connu. De l’alcool à foison, un récit construit au gré de rencontres impromptues, un rythme envoûtant où langueur ne rime jamais avec longueurs, et une mise en images qui bouscule cet envoûtement par des mouvements de zooms aussi inattendus que soudains. Son nouvel opus obéit à ces règles. Une femme, dont le mari est en voyage, rend visite à trois amies. Et à chaque fois, un homme surgit et interrompt le fil de leurs conversations. Est-on face à trois amies ou à trois variations de la même personne ? Face à des visites amicales ou à un ultime adieu avant un départ plus lointain ? Les films de Hong Sang-soo, où réalisme et fantastique flirtent si joliment, multiplient les questions en laissant le spectateur imaginer les réponses. Voilà pourquoi en apparence si semblables, ils se révèlent si différents.
Thierry Cheze
L’ORDRE MORAL ★★★☆☆
De Mário Barroso
Inconnue en France, Maria Adelaide Coelho da Cunha est une pionnière du féminisme européen comme le montre ce très beau film de Mário Barroso. Riche héritière, elle sera internée de force par son mari après avoir quitté le domicile conjugal pour vivre avec son amant roturier. En ce temps-là, dès qu’elle sortait des clous de la morale bourgeoise, la femme était suspecte d’hystérie… Seulement, Maria Adelaide ne se laissera pas faire et son combat pour l’égalité constitue l’intérêt majeur d’une intrigue qui n’en manque pas par ailleurs, notamment dans sa description d’un monde patriarcal bousculé dans ses certitudes, mais figé dans son arrogance. Habitée par son rôle, Maria de Medeiros livre une composition saisissante et se rappelle à notre bon souvenir.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
À CŒUR BATTANT **
De Keren Ben Rafael
Un couple fait l’amour. La caméra les filme sensuellement, en champ contre-champ très serré. Bébé pleure. Julie se lève précipitamment devant le regard subjectif de Yuval. Le sexe, c’est fini, tout comme le suspense esthétique de cette scène : on comprend que le couple dialogue par écrans interposés, elle à Paris, lui à Tel Aviv. La cinéaste va-t-elle tenir ce pari fou de nous faire vivre leur relation à distance pendant 1h30 suivant le même procédé ? Elle y parvient plutôt, oui. Ce n’est finalement pas tant ce choix narratif et esthétique qui dérange un peu, mais plutôt le côté programmatique assez prévisible de l’histoire. Les deux acteurs, quant à eux (la délicate Judith Chemla et le charismatique Arieh Worthalter) sont formidables et parviennent à rendre tangible ce couple virtuel.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
LES HÉROS NE MEURENT JAMAIS ★☆☆☆☆
D’Aude Léa-Rapin
Ce film présenté au Festival de Cannes en 2019 a tout du survivant. Mais à l’image de Zoran, soldat bosniaque disparu au combat en 1983 et possiblement réincarné aujourd’hui en Joachim, un jeune Parisien, rien ne meurt vraiment. Tout se transforme. Ailleurs. Si le film n’a pas bougé, cela ne l’empêche pas de prendre ce possible transfert d’identité au pied de la lettre. D’où le ton volontairement comique qui infuse ici et là. Pour le reste, la cinéaste Aude Léa-Rapin, dont c’est le premier long métrage de fiction, cherche quel ton donner à son histoire et, lorsqu’elle ne sait plus, elle a recours à la forme documentaire façon carnet de voyages avec les personnages qui s’adressent à la caméra. Il lui reste toujours sur les bras cette idée de fantôme dont tout le monde cherche la trace mais qui se dérobe. Dieu, que le chemin qui mène à lui, est pénible !
Thomas Baurez
AUTONOMES ★☆☆☆☆
De François Bégaudeau
Après N’importe qui, son documentaire sur la représentation politique, François Bégaudeau s’est intéressé aux personnes qui choisissent de vivre en autosuffisance. Du marginal qui habite dans la forêt aux familles qui s’installent dans une ferme collective, le réalisateur passe en revue ces hommes et ces femmes ayant opté pour un mode de vie alternatif. Un sujet pleinement d’actualité à l’heure où l’on tente de redonner la primeur aux circuits courts. Sauf qu’au fil de ces histoires qui s’enchaînent, certaines paraissent hors sujet, comme cette longue séquence avec le magnétiseur. On comprend aussi après coup que François Bégaudeau a inséré une séquence fictionnelle dans son documentaire et l’on cherche en vain à savoir pourquoi tant ce parti pris gâche la dynamique d’un sujet qui méritait mieux. Ce documentaire rate sa cible.
Sophie Benamon
Et aussi…
Ai-je le droit d’avoir des droits ?, de Catherine Rechard
Reprises
Les trois jours du Condor, de Sydney Pollack
Jours d’amour, de Giuseppe de Santis et Leopoldo Savona
Avant de t’aimer, d’Ida Lupino et Elmer Cilfton
Bigamie, d’Ida Lupino
Faire face, d’Ida Lupino
Le voyage de la peur, d’Ida Lupino
Nazarín, de Luis Buñuel
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