The Highwaymen Costner Harrelson
Netflix

The Highwaymen de John Lee Hancock diffusé sur Netflix, renverse le mythe de Bonnie & Clyde en s’intéressant aux hommes qui ont traqué le célèbre couple de hors-la-loi. Kevin Costner armé jusqu’aux dents, incarne Frank Hamer, le Texas Ranger qui a mis fin à la cavale. Entretien madrilène avec un éternel cow-boy

Kevin Costner, 64 ans, a toujours une belle gueule et tant pis si elle se fait plus rare.  Dans la subtile pénombre d’une suite d’un palace madrilène où Netflix centralise une partie de la promo européenne de The Highwaymen de John Lee Hancock, l’acteur affiche la même classe qui à partir du début des années 80 symbolisait à elle seule une certaine idée du héros américain viril et raffiné, digne hériter de Robert Redford et Paul Newman. Malgré la patine du temps, on reconnait sans mal : Eliot Ness (Les incorruptibles), le lieutenant John Dunbar (Danse avec les loups), Robin des bois, Jim Garrison (JFK) et bien-sûr Frank Farmer le plus célèbre Bodyguard de tous les temps. Dans le Hollywood clinquant d’alors, l’échec était interdit. Costner a accumulé deux fours coup sur coup - l’un critique et public (Waterworld), l’autre financier (Postman) - et a donc passé sa  crise de la quarantaine à l’ombre du star-system donc de lui-même. Mais les expériences, même les plus chaotiques, paient un jour ou l’autre. Dans The Highwaymen, il joue un cow-boy bedonnant qui sort de sa retraite pour rejouer les héros. Il est parfait en Franck Hamer, le Texas Ranger old school qui a dirigé la traque contre Bonnie & Clyde.

Et même si la mise en scène impersonnelle de John Lee Hancock qui l’avait déjà dirigé dans le direct-to-DVD The Blind Side en 2009, ne brille pas par sa subtilité, Costner fait le job et sauve le film de sa propre impasse. L’idée séduisante du départ était de renverser le mythe de Bonnie & Clyde en se plaçant de l’autre côté du film culte d’Arthur Penn de 1967 qui avait su saisir et perpétuer la modernité des deux anti-héros devenus icônes. Malheureusement, The Highwaymen ne parvient pas à restituer les vrais enjeux de cette traque, ni son contexte particulier - la Grande Dépression - où le surgissement d’un couple de meurtriers décomplexés renvoyait à la jeunesse une certaine idée de la rébellion. Pour le gouvernement et les autorités, il fallait rétablir au plus vite l’ordre, sous peine de voir sa légitimité mise à mal. Ils ont donc sorti du placard, deux Texas Rangers (incarnés ici par Costner donc mais aussi Woody Harrelson), pour régler une affaire qui s'enlisait. Hancock regarde avec un curieux détachement les deux cow-boys mener avec application leurs tâches et reste trop à l'extérieur de ces intimités blessées. Pour bien faire, il aurait peut-être fallu que Costner se charge lui-même de la mise en scène. Ou mieux, Clint Eastwood. Il aurait comme personne, sondé dans ses moindres recoins le feu intérieur du personnage.

En 1967, Bonnie & Clyde d’Arthur Penn a fait du couple de hors-la-loi des icônes glamour de l’Amérique. Est-ce que The Highwaymen vient corriger les choses en se plaçant volontairement contre le film de Penn ?

Kevin Costner : La vérité d’une histoire dépend du point de vue où l’on se place. En s’intéressant au parcours de ceux qui ont traqué Bonnie et Clyde, on se rend bien compte qu’il n’y avait rien de sexy là-dedans. Bonnie et Clyde formaient un couple qui a délibérément choisi une existence perverse où la vie, la leur comme celle de leurs victimes, n’avait aucune importance. S’ils se sentaient menacés ou gênés, ils éliminaient froidement ceux qui avaient la malchance d'être face d’eux. Eux-aussi, allaient vers la mort. The Highwaymen désacralise ce mythe.

Que pensez-vous du film d’Arthur Penn ?

Je l’aime beaucoup. C’est un classique qui au-delà de son sujet a imposé une certaine modernité dans le cinéma américain. En revanche, en préparant The Highwaymen, j’ai pu constater à quel point le portrait qui est fait de mon personnage, Frank Hamer, est grotesque. On dirait un clown avec sa grosse moustache. C’est une caricature du bad guy. Il faut savoir que sa veuve a fait un procès à la Warner à la sortie du film pour déformation volontaire d’identité.Le studio a reconnu son erreur et a été contraint de s’excuser.

Dans The Highwaymen, Bonnie et Clyde ne sont pas vraiment montrés à l’écran. Ils sont comme des ombres menaçantes et sanguinaires. On pourrait aussi parler de caricature…

Le film a été conçu comme ça. Pour la société et pour ceux qui étaient à leurs trousses, ils étaient des fantômes insaisissables. La police arrivait toujours trop tard et ne pouvait que constater leurs dégâts. Sur ce point-là, rien n’est exagéré, on peut recenser précisément leurs crimes. Tout ce qui est montré s’appuie sur des faits. Certains excusent Bonnie et Clyde pour en faire des victimes voire des martyrs de la Grande Dépression. C’est faux.  Ma propre famille a été ruinée durant cette période, ils ont tout perdu et ne sont pas devenus des assassins pour autant.

En quoi, était-il important de raconter cette histoire aujourd’hui ?

On m’avait soumis le projet il y a 10 ans mais le film n’avait pas pu se faire. Il ne répond donc pas à une actualité précise. Dans cette industrie, faire des films peut prendre des années. Il s’agit avant tout d’une bonne histoire avec des personnages intéressants à suivre. Ne cherchez pas à la rattacher à quoi que ce soit d'autre. 

Quel regard portez-vous sur Frank Hamer, qui incarne une certaine idée de l’autorité blanche américaine de l’époque, pour qui la violence semblait être la seule réponse à la violence ?

J’aime Frank et je comprends ses actes. L’Amérique est née dans la violence et le sang. Votre pays aussi mais notre histoire est encore très récente. Elle n’a pas plus de 200 ans. Nous sommes des descendants directs des pionniers. Voilà pourquoi le western est un genre cinématographique indémodable. Les pionniers étaient des gens simples, pour qui les armes étaient le seul moyen de se défendre et surtout de protéger l’idée qu’ils se faisaient d’une société juste et solide. La violence qu’emploie Frank Hamer est une réponse directe à la barbarie de tueurs incontrôlables. Il faut les supprimer sinon tout s’effondre. Ni vous, ni moi, ne pouvons juger Frank Hamer. Nous ne sommes pas fait du même bois. On peut juste lui reconnaître sa ténacité pour stopper des criminels qui ont traumatisé l’Amérique pendant des mois, voire des années. Cet homme s’est construit en fonction de la mission qui lui a été donnée : tuer Bonnie et Clyde. Il a eu carte blanche. 

Dans la séquence où Frank Hamer choisi ses armes, on sent une jubilation du metteur en scène à montrer le rapport quasi charnel qu’il entretient avec elles…

Il n’y  a rien de jubilatoire ici. Frank Hamer est un chasseur, un guerrier. Dans sa carrière, il a tué plus de monde que Bonnie et Clyde. Quand le gouvernement fait appel à lui, il est à la retraite. Dans sa maison, il n’y a qu’une carabine un peu rouillée à force d’être restée au placard. Pour lui, cette mission, c’est une renaissance. Il sait parfaitement ce dont il va avoir besoin pour stopper les tueurs. Il part à la guerre et aucun soldat ne va sur le champ de bataille avec un canif. Cette séquence sert à démontrer sa connaissance des armes. Si vous remarquez bien, après avoir opté pour un arsenal très sophistiqué, composé uniquement d’armes automatiques, il choisit en dernier, un modèle plus ancien donc plus basique, mais dont il a une confiance absolue. J’aime cette idée. Elle rend le personnage plus sensible.

Frank appartient donc à un autre monde ?

Une autre génération oui. Pour revenir à cette séquence, il faut aussi noter qu’aujourd’hui, avec toutes les nouvelles technologies à disposition, Bonnie et Clyde seraient arrêtés en moins d’une heure. A cette époque-là, tout était plus compliqué, plus rudimentaire. Il fallait traquer les tueurs pendant des semaines, voire des mois ou des années. Un autre détail important. La climatisation n’existait pas, or dans les états comme le Texas ou la Louisiane, il pouvait faire horriblement chaud. Les gens étouffaient, ça les rendaient fou.

N’avez-vous jamais envisagé de réaliser le film vous-même ?

Non c’était le projet de John Lee [Hancock], je ne me voyais pas le lui prendre. Il m’est arrivé parfois de m’immiscer dans sa mise en scène quand il avait besoin d’un conseil, mais ça reste son film à 100%.

En tant que réalisateur avez-vous des projets ?

Oui, j’en ai quatre ou cinq que j’aimerais voir aboutir, mais ce sont des gros films qui nécessitent de gros financements. Dans le lot il y a bien-sûr un western mais surtout un gros film d’aventures à l’ancienne, inspiré du livre que j’ai co-écrit : Explorer  Guild, a passage to Shambhala, autour d’un groupe d’explorateurs qui va essayer de révéler la vraie nature de notre civilisation, submergée de mythes et de légendes.